Dans Observations de plusieurs singularités et choses mémorables…, publié en 1553, le naturaliste français Pierre Belon du Mans décrit et explore la faune et la flore des pays du Levant.
Au cours de son périple en Égypte, le naturaliste français Pierre Belon du Mans passe par Alexandrie, Rosette et Le Caire, identifiant de nombreuses espèces de plantes, d’animaux et d’aliments.
Pierre Belon du Mans (1517-1564) est l’un des naturalistes français les mieux connus du XVIe siècle. Esprit curieux et scientifique, il parcourt le Levant et d’autres pays méditerranéens, dans l’intention de décrire les mœurs de leurs habitants et le paysage archéologique, mais surtout d’étudier la faune et la flore. Il publie plusieurs livres en relation avec l’histoire naturelle, dont un premier sur les plantes, un autre sur les poissons, et un troisième sur les oiseaux. Ils abondent tous en nouveautés scientifiques illustrés par de beaux dessins originaux. On lui doit également l’introduction en France de plusieurs espèces de plantes.
En 1553, Belon publie un ouvrage sur son long périple qu’il intitule Les Observations de plusieurs singularités et choses mémorables…, réédité et traduit à plusieurs reprises. Dans cet article, nous avons choisi de faire référence à la version éditée en 2001 par Alexandra Merle.
Belon effectue son voyage entre 1546 et 1569 au Levant, où il se rend en différentes régions de la Grèce, la Turquie, l’Égypte et la Palestine.
Nous tâcherons de résumer ici les observations sur la faune et la flore faites par Pierre Belon du Mans lors de son voyage en Égypte, plus précisément au cours de son trajet entre Alexandrie et le Caire. Nous avons fait le choix d’indiquer les noms latins ou grecs utilisés par Belon, qui constituent à son époque une contribution scientifique majeure dans la reconnaissance et l’identification des espèces animales, végétales et aquatiques. Il va sans dire que plusieurs de ces définitions ont ensuite été corrigées, complétées et même dépassées.
«Figuiers du pharaon»
et «palmiers éventails»
En s’approchant d’Alexandrie en août 1547, ce que Belon remarque en premier depuis son navire, ce sont les palmiers, les sycomores que les Égyptiens nomment eux «les figuiers des pharaons», et la «haute colonne de Pompée qui s’élève sur le promontoire au-dessus d’Alexandrie.»
Parmi les animaux d’Égypte, Belon cite une espèce de chèvres que l’on appelle «gazelles», les oryx des Grecs, ainsi que des chèvres aux longues oreilles. Il décrit, en détail, la civette et la mangouste ichneumon appelée «rat des pharaons» par les Égyptiens. Il se livre à un amusant reportage sur la guerre victorieuse que mène une espèce de guêpe ou frelon, qu’il nomme ichneumon vespa, contre l’araignée dite «phalangion».
Parmi les poissons, Belon identifie les brèmes de mer, les bars, les maigres, les dentés communs qu’il appelle «dentals», ainsi que les mulets, raies, anges, chiens et gournaux. Il nomme cette dernière espèce «gournault » dans un ouvrage publié en 1551 et consacré aux poissons. Il le définit (p.202) comme une espèce de rouget, mais en plus grand, de couleur plus sombre, et ayant les ailes bleuâtres et non rouges.
Parmi les fruits, Belon reconnaît les grenades, les bananes qu’il appelle «mouse», terme probablement dérivé de l’arabe mawz, les limons, les oranges, les cédrats qu’il appelle «ponciers», les figues de figuier, les figues de sycomore et les caroubes. En outre, Belon cite une espèce de palmier, que l’on peut identifier comme étant le «palmier éventail» (Chamaerops humble), dont les Égyptiens coupent la tige pour manger la moelle blanche au goût proche de l’artichaut.
Enfin, s’intéressant également aux végétaux, Belon évoque la dolique, espèce de haricot aux feuilles jaunes, la gesse qu’il appelle «cerres», l’aconitum napellus que les Égyptiens appellent «bich», plante très piquante et toxique.
Dans la campagne sablonneuse d’Alexandrie, Belon remarque une espèce d’herbe non identifiable, nommée «anthillis» par les Grecs. Les Arabes l’appellent «kali», nom générique des cendres des plantes à soude. Brûlée avec de la chaux, cette herbe à soude laisse des cendres qui sont vendues aux Vénitiens qui, à Murano, les mélangent aux cailloux de Pavie pour approvisionner l’industrie des verres cristallins. Belon remarque également des câpriers sans épines, des tamaris, ainsi qu’une espèce de rue sauvage, le harmal: les Levantins «ont coutume de s’en parfumer tous les matins, et se persuadent par cela qu’ils chaussent tout mauvais esprit.»
Le pain égyptien, consommé également en Syrie, «est formé en tourteaux, aplati en fouasses, au-dessus lequel ils ont coutume de semer de la nigelle franche». En fait, Belon décrit là le pain égyptien qu’on appelle aujourd’hui «al-‘aych al-baladi» (pain local ou pain du terroir), lequel est généralement aplati, ou bien le mahlab qui est parsemé de graines de nigelle appelées «habbet al-baraka» (graine de la bénédiction). Quant au repas principal dans la région d’Alexandrie, il est constitué de taro, que Belon appelle «colocase», cuit avec de la viande.
Les myrtes sur le chemin de Rosette
Sur le chemin longeant la mer entre Alexandrie et Rosette, Belon observe les myrtes et se remémore leur association avec Vénus, déesse de l’amour, telle que décrite dans Les Fastes par Ovide :
«C'est Vénus qui l'ordonne, et je vous dirai pourquoi. Un jour, nue sur le rivage, elle séchait ses cheveux ruisselants; une troupe de satyres impudiques vient à l'apercevoir; la déesse aussitôt se cache dans le feuillage de myrtes voisins, et échappe ainsi à leurs regards; voilà le souvenir qu'elle veut perpétuer par nos fêtes.»
Il décrit aussi à l’occasion le pélican, dont les pécheurs de Rosette utilisent le sac gulaire pour égoutter leurs bateaux. À Rosette, Belon remarque une herbe que les Italiens appellent «dolceguini», ainsi que «l’herbe de papyrus».
Le savant naturaliste se livre aussi à une description du caméléon qui aime se cacher sous les rameaux du nerprun alaterne (Rhamnus alaternus), auquel il s’adapte pour se transmuer en vert, jaune et bleu.
Le long du Nil, entre Rosette et Le Caire, Belon identifie plusieurs oiseaux dont le râle des genêts qu’il appelle «crex crex», et l’ibis noir qui évoque le butor. Il remarque un oiseau qu’il assimile au bièvre français (Harle bièvre) et que les Latins appellent «vulpanser». Cet oiseau pourrait être celui qui doit son nom à notre voyageur zoologiste, le tadorne de Belon, ou bien l’oie du Nil comme le suggère l’éditrice des Observations de plusieurs singularités.
Parmi les oiseaux charognards qui occupent la région, Belon cite le vautour, le milan, le sacre égyptien, que les anciens auteurs nomment «Accipiter Ægyptius», et qui a «le corsage de corbeau, la tête de milan, le bec entre corbeau et aigle, car il est un peu crochu par le bout, ses jambes et pieds entre le corbeau et l’oiseau de proie.»
Belon s’intéresse également à d’autres bêtes de la région du Nil, comme l’hippopotame et le crocodile. Parmi les poissons, il cite le brochet, dans lequel il croît reconnaître l’oxyrinchus des Grecs. On y pèche un poisson rond «gros comme la tête» ou «comme une bouteille», nommé «flascopsari» par les Grecs et «orbis» ou «orchis» par les Latins. C’est le tétrodon hérissé décrit dans l’œuvre du comte de Lacépède, en 1831. Un autre poisson du Nil, le silure glane ou silurus glanis, est réputé pour sa peau utilisée dans la fabrication des violons.
D’autres découvertes au Caire
Arrivé au Caire, Belon observe d’autres arbres fruitiers tels que les cassiers, grenadiers, orangers, acacias, tamaris, sébestiers.Pour couver les œufs de poule, les Égyptiens utilisent des fours communs artisanaux où ils mettent 3 000 à 4 000 œufs et, grâce à un bon réglage de la température, ils parviennent à les faire éclore tous en même temps.
À Matariyeh, non loin du Caire, Belon visite le jardin bien conservé et protégé des baumes. Après avoir discuté de l’histoire du baume chez les anciens auteurs et conclu que ses origines viennent d’Arabie heureuse, il livre à son lecteur l’expérience de sa dégustation :
«Ayant trouvé moyen d’en recouvrer un petit rameau, duquel je goûtai, et aussi de ses feuilles, je les trouvai être quelque peu astringentes, avec un goût onctueux et au demeurant aromatique ; mais l’écorce des rameaux est encore plus odorante. Le rameau est vêtu de deux écorces : la première est rougeâtre par le dehors, et couvre comme un parchemin sur l’autre de dessous, qui est verte et qui touche au bois. Cette écorce goûtée baille une saveur entre l’encens et la feuille de térébinthe, approchant à la saveur de sarriette sauvage, qui est une saveur fort plaisante, et frottée entre les doigts, tient de l’odeur de [la] cardamome.»
Parmi les légumes de l’Égypte, Belon est impressionné par les pommes de mélanzanes, autrement dit les aubergines, que les Français désignent par «pommes d’amour», et qui sont de plusieurs variétés : blanches, rouges, longues et rondes. Les Égyptiens «en mangent presque à tous leurs repas, cuites dessous la cendre, bouillies, ou frites.»
Autour des pyramides, on trouve beaucoup de stellions, espèce de lézards qui se logent entre deux pierres et mangent des mouches. Leurs excréments servent à fabriquer une drogue et «les Turcs s’en fardent le visage». Les chauves-souris que Belon examine à l’intérieur des pyramides sont différentes de l’espèce qui vit en France, car elles portent «une queue qui passe quatre doigts outre les ailes, longue comme aux souris.»
Au cours de réunions de chant et de danse célébrées par les Égyptiens, Belon observe, ravi, des chèvres et des ânes auxquels on fait apprendre «des singeries» :
«Ils en apprennent à des chèvres, et les sellent, et mettent des singes à cheval dessus, et apprennent à la chèvre à faire bonds et ruer comme font les chevaux. Aussi apprennent à des ânes à contrefaire le mort, en se vautrant par terre, et font semblant de ruer aux singes qui montent dessus.»
Au sein des différentes espèces de singes, il reconnaît la guenon, et en décrit un autre entièrement jaune comme un fil d’or avec une queue longue qu’il appelle «callitriche», du genre des cercopithèques, et qu’Aristote appelle «cebus».
Pour conclure, voyons ce que Belon dit d’un troisième type de singes qui participent aux cirques et qu’il appelle «le gros maimou», peut-être le babouin, du genre des cynocephali. Ces maimous sont «si sages et bien appris qu’ils vont d’homme à homme qui regardent jouer le bateleur, et leur tendent la main, faisant signe qu’on y mette de l’argent; et l’argent qu’on leur baille, ils le portent à leur maître.»
L’aventure scientifique de Belon se poursuit par la visite des régions du Mont-Sinaï et de la mer Rouge, avant que le voyageur ne se dirige vers Jérusalem.
L'auteur est le directeur de la bibliothèque centrale de l'Université Saint-Esprit de Kaslik au Liban.