Non pardonnés : Comment les Al-Ghofran ont été bannis du Qatar

Au Qatar, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants du clan Al-Ghofran paient depuis plus de vingt ans le prix d’une tentative de coup d’État dans laquelle ils n’ont pourtant joué aucun rôle.

La nuit du 14 février 1996, les forces de sécurité du Qatar ont fait échouer ce qui aura été le second coup d’État en moins d’un an dans ce minuscule État du Golfe.

Au mois de juin précédent, le cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, le prince héritier, s’était emparé du pouvoir à 44 ans, alors que son père le cheikh Khalifa, 63 ans, se trouvait en dehors du pays. Les partisans de ce dernier ont dès lors tenté de rétablir sur son trône le cheikh destitué et exilé. Sans succès.

Le coup d’État prit fin sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré. Le cheikh Hamad, reconnu par Washington et par le reste du monde comme nouvel émir du Qatar, devait en rester le dirigeant incontesté jusqu’à sa décision, en juin 2013, de se désister et de remettre le pouvoir à son quatrième fils, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, actuel dirigeant de l’émirat.

L’infructueuse tentative de renversement du 14 février 1996 est restée jusqu’à ce jour dans les mémoires de l’élite dirigeante du Qatar. La maison des Al-Thani n’aura cessé depuis cet instant de se venger des tribus qataries comptant dans leurs rangs tout fidèle de l’émir évincé impliqué dans le complot. 

C’est dans cette logique que, au cours des vingt dernières années, des milliers de membres du clan Al-Ghofran (« le pardon », en arabe), une branche de la tribu Al-Murra, ont été victimes de persécutions.

Le problème est le suivant : l’écrasante majorité de ces hommes, femmes et enfants – nombre de ces derniers étant nés bien après 1996 ! – n’ont rien à voir avec les faits qui leur sont reprochés. Ils sont innocents, et ne peuvent prétendre au « pardon » de fautes qu’ils n’ont même pas commises. Il n’empêche : ils ont systématiquement été spoliés de leurs droits et de leur nationalité.

Au cours des mois passés, de nombreux ressortissants qataris ont affirmé que le gouvernement leur avait retiré leur nationalité. Selon diverses sources, le groupe le plus touché par ces révocations serait la branche Al-Ghofran de la tribu Al-Murra : une tribu qui possède de solides liens avec l’Arabie saoudite, et dont les membres sont eux-mêmes d’origine saoudienne. La tentative de coup d’État de 1996 contre l’actuel émir avait été largement soutenue par la branche Al-Ghofran. Par la suite, nombre des membres de cette tribu se sont vu retirer leur nationalité. Le gouvernement du Qatar affirme de son côté qu’il a été contraint de procéder ainsi, les Al-Ghofran, qui possèdent la double nationalité saoudo-qatarie, ayant depuis trop longtemps refusé de se soumettre à l’exigence de renoncer à l’une d’elles. Ces pratiques gouvernementales, pour le moins surprenantes, suscitent de réelles inquiétudes auprès des principaux concernés, et nécessiteraient de plus amples explications.
Extrait d’une dépêche secrète envoyée à Washington le 10 mai 2005 par Chase Untermeyer, ambassadeur des États-Unis au Qatar, et décrivant la situation déplorable des Al-Ghofran.

« Sans maison, apatrides et sans droits »

La nuit du coup d’État manqué, Jaber Al-Kahla, âgé de 23 ans, a reçu l’ordre de se présenter comme d’habitude à son travail. Il était alors employé au sein de la garde rapprochée du tout récent émir, le cheikh Hamad. Quelques jours après la tentative de renversement, il a été convoqué par un officier supérieur.

« Il m’a demandé si j’étais membre de la tribu Al-Ghofran. J’ai répondu par l’affirmative. Il a cité les noms d’autres personnes de mon unité, qui étaient des parents, et m’a demandé s’ils appartenaient aussi à la tribu. Je lui ai dit que oui.

Il m’a alors annoncé que nous étions suspendus de nos fonctions jusqu’à nouvel ordre. »

Pour M. Al-Kahla et nombre de ses compatriotes, c’est le début d’un cauchemar qui dure encore aujourd’hui.

Sa suspension a duré près de huit mois, qu’il a passés chez lui, à Doha, en conservant son salaire. Puis il a été rappelé à la base et interrogé au sujet du lieu où il se trouvait la nuit du coup d’État manqué. « Je leur ai répondu que j’étais au quartier général de mon unité, et que mes collègues pourraient le confirmer. » M. Al-Kahla a alors été mis en détention durant plusieurs jours.

La suspension a fini par être levée, cependant l’épreuve qu’il traversait était loin d’être terminée. « Ensuite, j’ai demandé six jours de vacances parce que je voulais assister au mariage d’un parent en Arabie saoudite », poursuit-il.

Le congé accordé, M. Al-Kahla s’est rendu en voiture dans la province orientale du Royaume avec sa femme et ses deux enfants. Lorsque, après cette semaine passée en famille, ils ont fait chemin inverse pour rentrer au Qatar, ils ont été arrêtés au poste-frontière d’Abu Samra. M. Al-Kahla explique : « On m’a dit que ma citoyenneté m’était retirée, et que je n’avais pas le droit de rentrer dans mon pays. »

Jaber Al-Kahla était alors âgé de 23 ans. Il a été contraint d’abandonner sa maison à Doha, et vit depuis en Arabie saoudite, à Al-Mane’ya, où il est chômeur.

« Ces vacances se sont prolongées durant vingt-trois ans, raconte-t-il. J’ai 46 ans à présent, et 12 enfants, tous privés de leur pays. »

Après tout ce temps, il demeure profondément blessé par l’affront fait à sa loyauté. « J’étais juste un militaire qui faisait son travail, qui défendait le souverain de son pays. Et si on m’avait laissé rentrer, c’est ce que j’aurais continué de faire », ajoute-t-il. À ce jour, Jaber Al-Kahla, membre de la garde de l’émir, n’a toujours pas été autorisé à revenir au Qatar.

Jaber Al-Kahla, membre de la Garde émirienne, n'a pas été autorisé à retourner au Qatar.

Trois mois avant la tentative de coup d’État de 1996, un autre membre de la tribu Al-Ghofran, Saleh Jaber Al-Humran, travaillant lui aussi au sein de la garde rapprochée de l’émir, s’est absenté du travail un mois pour rendre visite à sa mère à Doha. À son retour, il a été placé en détention : « Le jour où je suis sorti, le prétendu coup d’État a eu lieu, et j’ai été accusé d’y avoir pris part.

Peu après un ami m’a dit qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre moi, se souvient-il. J’ai appelé un autre ami à l’aéroport, qui m’a confirmé que mon nom était en effet sur la liste. J’ai donc pris la décision de partir au Koweït jusqu’à ce que les choses se calment. Depuis, je suis interdit d’entrée dans mon pays. »

Saleh Jaber Al-Humran raconte comment il est parti au Koweït après le coup d’État.

M. Al-Humran et sa famille sont restés au Koweït plusieurs mois avant de se rendre à Abqaiq, dans la province orientale de l’Arabie saoudite, où ils se trouvent toujours. M. Al-Humran est lui aussi au chômage actuellement.

Alors qu’il était en exil, sa mère, qui elle vivait toujours à Doha, est tombée malade. Il a pris le premier vol en partance du Koweït, mais à peine ses enfants et lui-même étaient-ils descendus de l’avion qu’une interdiction d’entrée à l’aéroport international Hamad de Doha leur a été signifiée.

Saleh Jaber Al-Humran parle de l’épreuve qu’il a vécue

En dépit des précisions que M. Al-Humran a fournies au sujet des graves problèmes cardiaques dont il est atteint, « les autorités de l’aéroport l’ont interrogé sept heures durant. » Elles ont fini par le renvoyer au Koweït, où son état s’est aggravé. M. Al-Humran s’est ensuite envolé pour l’Arabie saoudite. Il a été opéré du cœur à l’hôpital Prince-Sultan-Abdel-Aziz, à Al-Ahsa.

« Que mon propre pays m’ait refusé le droit de me faire opérer à côté de ma mère et de mes frères m’attriste, notamment parce que ma mère est âgée, et qu’elle ne peut pas voyager. Cela fait quatre ans que je ne l’ai pas vue. Les membres de ma famille vivant encore au Qatar ne pourraient pas revenir dans leur pays s’ils franchissaient la frontière saoudienne. »

Saleh Jaber Al-Humran raconte comment on lui a refusé de rentrer au Qatar, même pour enterrer son frère.

Quand l’un de ses frères est mort, « les autres membres [de sa fratrie] n’ont pas pu l’enterrer, parce qu’il n’avait pas de document prouvant son identité ni son statut de citoyen qatari. Son corps est resté à l’hôpital un jour entier, jusqu’à ce qu’un Qatari intercède en leur faveur et obtienne un permis d’inhumation ». M. Al-Humran affirme qu’il ne peut mentionner le nom du bienfaiteur en question, de peur que son geste ne soit puni par les autorités qataries.

Rashed Al-Amrah, officier de police qatari et membre de la tribu Al-Ghofran, a également été déchu de sa nationalité. Aujourd’hui âgé de 60 ans, il se souvient très clairement de la confusion qui régnait pendant et après la tentative de coup d’État.

Rashed Al-Amrah parle de sa carrière dans l’armée et dans la police au Qatar.

« De nombreux Qataris avaient accepté de tourner la page après le renversement huit mois plus tôt du cheikh Khalifa ben Hamad Al-Thani, qui avait gouverné le Qatar depuis 1972 », raconte-t-il.

Certains d’entre nous n’arrivaient pas croire ce qui se passait, un fils commettait un coup d’État contre le père, dit-il. Le père a une stature très importante dans la religion islamique, et particulièrement auprès des communautés du Golfe. »

Selon un rapport du New York Times, le coup d’État était la conclusion d’un « long conflit familial », lequel avait vu père et fils « se quereller pendant plus de deux ans ». L’agence Reuters avait signalé que le coup d’État « était intervenu après plusieurs semaines de lutte pour le pouvoir, au cours desquelles le cheikh Khalifa […] avait manifestement tenté de retirer le pouvoir à son fils aîné de 44 ans, qui avait assuré la gestion des affaires courantes du petit État pétrolier du Golfe pendant les trois années précédentes. »

Rashed Al-Amrah avec son petit-fils, également prénommé Rashed.

À l’occasion d’une brève allocution télévisée rapportée dans les journaux du monde entier, le nouvel émir, le cheikh Hamad, déclarait : « Je ne suis pas content de ce qui est arrivé, mais il fallait le faire, et j’ai dû le faire… ».

Son père, renversé alors qu’il se trouvait à Genève, avait publiquement condamné ce qu’il avait qualifié de « conduite anormale, de la part d’un homme ignorant. »

Le 28 juin 1995, le journal britannique The Independent rapportait que « des personnes âgées de la famille dirigeante Al-Thani, laquelle compte 1 500 hommes, s’étaient rassemblées à Doha pour prêter allégeance ». Néanmoins, se souvient M. Al-Amrah, « il y avait des rumeurs et des déclarations faites par le cheikh Khalifa disant qu’il retournerait au Qatar et en deviendrait de nouveau l’émir. »

Dans une déclaration faite à Genève, le cheikh Khalifa avait déclaré : « Je suis toujours leur émir légitime, que ce soit pour la famille royale, pour le peuple ou pour l’armée, et je retournerai chez moi quel qu’en soit le prix. »

« Les gens étaient déconcertés, précise M. Al-Amrah. Devaient-ils appuyer le cheikh Hamad ou soutenir leur précédent dirigeant légitime ? De nombreux Qataris avaient protesté contre le coup d’État, et affirmé que le cheikh Khalifa était le dirigeant légitime du Qatar. »

En février 1996, le bruit courait que le cheikh Khalifa avait planifié son retour au Qatar, et demandé à certains de ses proches parents et partisans de le retrouver à l’aéroport militaire de Doha. « Chacun, précise M. Al-Amrah, se tenait prêt pour le retour du dirigeant légitime ». Mais ce jour n’est jamais arrivé.

Le stratagème a été découvert et déjoué, et les autorités françaises ont empêché le cheikh Khalifa de décoller – à la demande expresse du cheikh Hamad, selon certains. Le cheikh Khalifa, qui avait d’abord obtenu le droit d’asile à Abou Dhabi, avait fini par se rendre en France. En 2004, il a finalement pu revenir vivre au Qatar, où il est mort douze ans plus tard. Ses anciens sujets, cependant, n’ont pas eu droit à la même compassion.

Bien que n’ayant joué aucun rôle dans le complot, M. Al-Amrah, qui avait voyagé en Arabie saoudite pour le congé de l’Aïd afin de rendre visite à des parents, a fini par se retrouver en difficulté. « Les autorités qataries ont commencé à enquêter et à se mettre à la recherche des partisans du cheikh Khalifa », affirme-t-il. Les soupçons se sont portés sur les membres de plusieurs tribus, parmi lesquelles Al-Kaabi, Al-Suwaidi, Bani Hajjar, Al-Abdallah, Al-Mouhannadi, Al-Kuwari, ainsi qu’Al-Thani et Al-Ghofran.

Le passeport qatari de l’un des fils de Rashed Al-Amrah, Mohammed, qui spécifie que son lieu de naissance est le Qatar.

Les nombreux membres des Al-Ghofran qui faisaient partie des forces de sécurité ou des forces armées ont été arrêtés et emprisonnés, de même que les membres d’autres tribus. Plus d’une douzaine de personnes ont quant à elles été condamnées à mort pour leur participation au coup d’État. Mais personne n’a finalement été tué, une partie des prisonniers ayant bénéficié d’une grâce, et l’autre ayant vu sa sentence commuée en une peine plus légère.

« Après l’Aïd, nous avons appris que des ordres avaient été donnés pour que soient arrêtés et emprisonnés tous les membres du clan Al-Ghofran qui tentaient de rentrer au Qatar, rappelle M. Al-Amrah. J’avais peur pour ma famille et pour moi : j’ai donc décidé de ne rentrer qu’une fois que les conditions seraient plus claires. Nous avons également appris que tout Qatari se trouvant en dehors du Qatar et craignant de retourner dans son pays pouvait se rendre auprès du cheikh Khalifa à Abou Dhabi, où il serait accueilli. »

L’émir destitué avait reçu du cheikh Zayed ben Sultan Al-Nahyan, alors président des Émirats arabes unis (EAU), le droit d’asile à Abou Dhabi. « Je me suis rendu à Abou Dhabi. Nous avons été logés à l’hôtel Intercontinental et avons reçu un salaire de la part de cheikh Khalifa, atteste M. Al-Amrah. Je suis resté dans cette ville pendant quatre ans ». Il a ensuite quitté les EAU pour Riyad, capitale de l’Arabie saoudite.

« La vie pour les membres de la tribu demeurés au Qatar devenait intolérable », se souvient Jaber, le fils de Rashed Al-Amrah.

« Le Bureau de l’émir qatari avait remis une lettre à tous les départements gouvernementaux du Qatar, laquelle leur demandait de ne pas traiter avec les membres des tribus Al-Ghofran. Ces derniers ne pouvaient dès lors plus obtenir d’abonnement à l’eau ni à l’électricité. Il était également interdit aux associations caritatives de leur venir en aide, et les organes dépendant du ministère de la Santé avaient ordre de refuser les patients issus de leur tribu. »

Une telle politique a conduit à des situations tragiques. « Le frère de l’un des prétendus suspects du coup d’État, qui était tombé malade, a un jour été pris de convulsions, raconte Jaber Al-Amrah. Quand il s’est rendu à l’hôpital, on a refusé de le recevoir. Il est resté toute la journée au fond de son camion, jusqu’à en mourir».

Après avoir attendu des jours entiers devant la morgue, sa famille a pu finalement l’enterrer, grâce à l’intervention humanitaire d’un membre de la tribu dirigeante Al-Thani.

Jaber Al-Amrah, né au Qatar, avait 11 ans le jour où le coup d’État a été déjoué. « Je n’ai pas compris ce qui se passait », se souvient-il. Après avoir voyagé en Arabie saoudite avec sa famille durant le congé de l’Aïd, il s’est exilé à Abou Dhabi avec son père.

Jaber Al-Amrah explique ce que grandir sans avoir la possibilité de rentrer chez soi signifie.

« Je ne pouvais retourner ni dans ma maison, ni dans mon école, ni chez mes amis au Qatar. Je me suis rendu dans un autre pays où j’ai vécu six ans, puis j’ai quitté les Émirats pour me rendre en Arabie saoudite. »

Il possède toujours un certificat de naissance qatari prouvant qu’il est né à la maternité de Doha. « Mon nom a été ajouté au passeport de ma mère en tant que citoyen qatari, mais après que mon père a quitté le Qatar, sa citoyenneté lui a été retirée. Et il en a été de même pour ma mère, et pour tous mes frères et sœurs. »

Par la force des choses, Jaber Al-Amrah s’est forgé une nouvelle vie. Pendant quatre ans, lui et ses frères ont poursuivi leur scolarité à Abou Dhabi, avant de partir vivre avec leurs parents en Arabie saoudite, où ils se trouvent encore aujourd’hui. Âgé de 33 ans et père de 3 enfants, Jaber Al-Amrah travaille au sein d’une institution gouvernementale à Riyad. Grâce à l’intervention du futur roi Salman, qui était à cette époque gouverneur de Riyad, lui et sa famille ont reçu la citoyenneté saoudienne.

Il sera pour toujours reconnaissant envers le Royaume, sans toutefois pouvoir oublier la perte de son droit de naissance en tant que citoyen qatari. « Je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé en 1996. Je ne savais ni qui était l’émir, ni qui était le prince héritier, ni même le sens de ce coup d’État. J’étais un enfant quand ma citoyenneté m’a été retirée et que mes droits ont été violés. On m’a empêché de poursuivre mes études et de mener une vie normale. »

Tout cela était, selon lui, le résultat du caprice d’un seul homme. « Le dirigeant du Qatar, le cheikh Hamad ben Khalifa, a décidé que je devrais vivre sans maison, apatride et sans droits », affirme-t-il.

Un grand nombre de membres non pardonnés de la tribu d’Al-Ghofran en veulent seulement au cheikh Hamad pour l’injustice qui les a frappés. « Vous ne pouvez pas blâmer tous les membres de la famille Al-Thani pour une erreur commise par Hamad ben Khalifa Al-Thani, insiste Jaber Al-Kahla. Ils ont toujours traité les gens de la meilleure façon.

Notre conflit est dû à un dirigeant injuste, qui a violé les droits de la tribu Al-Ghofran » – laquelle comptait alors six mille membres, et encore davantage aujourd’hui. En se voyant retirer leur citoyenneté, c’est de leur droit le plus élémentaire qu’ils ont été spoliés.

« Si vous êtes membre de la tribu Al-Ghofran, vous ne pouvez pas même prétendre à une carte SIM pour un téléphone portable, parce que vous n’avez pas de citoyenneté. Et, bien sûr, vous ne pouvez pas non plus protester contre cette situation, vous ne pouvez pas avoir recours à la loi pour protéger vos droits », conclut Jaber Al-Kahla, qui n’a lui non plus jamais été autorisé à rentrer au Qatar.

Jaber Al-Kahla, membre de la Garde émirienne, n'a pas été autorisé à retourner au Qatar.

Jaber Al-Kahla, membre de la Garde émirienne, n'a pas été autorisé à retourner au Qatar.

Rashed Al-Amrah avec son petit-fils, également prénommé Rashed.

Rashed Al-Amrah avec son petit-fils, également prénommé Rashed.

Le passeport qatari de l’un des fils de Rashed Al-Amrah, Mohammed, qui spécifie que son lieu de naissance est le Qatar.

Le passeport qatari de l’un des fils de Rashed Al-Amrah, Mohammed, qui spécifie que son lieu de naissance est le Qatar.

« Une action vengeresse de Hamad ben Khalifa »

Pourquoi le Qatar a-t-il harcelé les membres de la tribu Al-Ghofran ? « C’est ce qui nous perturbe le plus, déclare Jaber Al-Kahla. De 1996 à 2020, le gouvernement n’a pas réussi à expliquer les vraies raisons qui motivaient l’annulation de notre citoyenneté. La seule réponse que l’on nous a donnée est que les membres du clan Al-Ghofran possédaient une double nationalité.

“Mais la vraie raison, nous la connaissons : nous sommes accusés d'avoir participé au coup d'État”

Il s’agit d’une réponse à la participation de vingt et un membres de la tribu Al-Ghofran à cette tentative de coup d’État, lequel a, rappelons-le, été perpétré par pas moins de cent vingt et une personnes représentant dix-sept tribus qataries. Alors pourquoi cibler uniquement Al-Ghofran et pas les autres ? »

Il n’en reste pas moins que « six mille innocents sont tenus pour responsables d’une faute commise par vingt et une personnes à peine. Certaines des personnes mises en cause suivaient à ce moment leurs études aux États-Unis et d’autres suivaient des traitements en Allemagne. Ils ont également tenu pour responsables du coup d’État une veuve dont l’enfant le plus âgé avait six ans », précise Jaber Al-Kahla.

Le gouvernement qatari affirme nous avoir retiré notre citoyenneté à cause de notre double nationalité. Mais des gens possédant une double nationalité existent dans toutes les tribus. Le problème n’est donc pas là. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une vengeance malveillante de Hamad ben Khalifa. »

Historiquement, les membres de la tribu Al-Murra, tribu mère des Al-Ghofran, ont été dispersés à travers l’ouest du Qatar, dans des zones comprenant Wadi Jallal, Al-Kharra et Al-Sharqi, ainsi que dans des parties proches de l’est de l’Arabie saoudite, comme Abqaiq, Al-Hofuf et Al-Taweelah.

Cependant, l’indépendance du Qatar en septembre 1971 a vu la tribu divisée en deux. Après le coup d’État, ses membres vivant au Qatar ont été contraints d’émigrer en Arabie saoudite. Et longtemps déjà avant que le Qatar ne devienne un État – et bien que des générations d’Al-Ghofran aient vécu au Qatar –, ils n’étaient pas considérés comme des ressortissants du pays.

Jaber Al-Kahla pense que les Al-Ghofran ont servi de boucs émissaires pour permettre au nouvel émir de sauver la face : « Le coup d’État s’est produit sept ou huit mois seulement après que cheikh Hamad a destitué son père et pris le contrôle du Qatar. Il n’était pas bon pour son image dans le monde de révéler que 17 tribus y avaient pris part, et qu’il était lui-même une figure rejetée par la majorité des Qataris. Il a donc mis en cause la tribu Al-Ghofran. »

Amjad Salfiti, un avocat des droits de l’homme et des libertés civiles installé en Grande-Bretagne, pense que la persécution continue des Al-Ghofran est menée non pas par le cheikh Tamim ben Hamad, devenu émir après le retrait de son père en 2013, « mais par la vieille garde qui représente le père, et qui aime toujours punir les gens ».

L'avocat Amjad Salfiti explique l'affaire.

Il explique : « Quel que soit le point de vue de cheikh Tamim sur le sujet, ou sa capacité de mettre fin à ce bannissement, la persécution acharnée sur des dizaines de milliers de citoyens qataris contraste nettement avec les efforts du pays de se présenter comme un membre raisonnable de la communauté internationale. Accueillir le monde entier à Doha pour les Championnats du monde d’athlétisme ainsi que pour la Coupe du monde de la Fifa en 2022 est hautement incompatible avec le fait de ne pas garantir les droits de ses propres citoyens pourtant nés sur son sol. »

La suspicion à l’égard des Al-Ghofran était partagée par M. Chase Untermeyer, l’ambassadeur des États-Unis au Qatar de 2004 à 2007. Dans une dépêche confidentielle envoyée à Washington en mai 2005 – divulguée par la suite dans le cadre de messages diplomatiques américains publiés à travers WikiLeaks –, l’ambassadeur indiquait qu’un tel antagonisme tenait au fait que « cette tribu a des liens étroits avec l’Arabie saoudite, et que ses membres sont d’origine saoudienne. »

« Il y avait une hypothèse, écrivait l’ambassadeur, selon laquelle la campagne de retrait de la nationalité avait été intensifiée. Elle faisait partie de la préparation du gouvernement pour les prochaines élections, et faisait état des inquiétudes concernant les interférences saoudiennes dans la politique qatarie. »

« La tribu Al-Murra – dont Al-Ghofran fait partie –, est la plus grande tribu au Qatar, et l’on suppose qu’il existe une certaine appréhension quant au fait qu’elle constituera un important bloc électoral au sein du nouveau Parlement. De plus, étant donné l’influence et les liens de l’Arabie saoudite avec cette tribu, la préoccupation demeure de voir le Royaume utiliser son influence sur la tribu Al-Murra pour s’immiscer dans les affaires internes et la politique du Qatar. »

La tribu Al-Murra – dont Al-Ghofran fait partie –, est la plus grande tribu au Qatar, et l’on suppose qu’il existe une certaine appréhension quant au fait qu’elle constituera un important bloc électoral au sein du nouveau Parlement. De plus, étant donné l’influence et les liens de l’Arabie saoudite avec cette tribu, la préoccupation demeure de voir le Royaume utiliser son influence sur la tribu Al-Murra pour s’immiscer dans les affaires internes et la politique du Qatar.
Extrait de la dépêche confidentielle envoyée le 10 mai 2005 à Washington par Chase Untermeyer, l’ambassadeur américain au Qatar, et soulignant la situation déplorable d’Al-Ghofran.

Le message envoyé par Untermeyer réduit dès lors à néant l’argument du gouvernement qatari, lequel affirmait « avoir été contraint de retirer la nationalité à ces ressortissants en raison de leur double nationalité, et de leur refus de se conformer à l’exigence, formulée de longue date, de renoncer à l’une d’elles ». 

Les chefs des familles avaient reçu des lettres les informant que leur nationalité leur avait été retirée, et qu’ils « devaient signer un document acceptant d’abandonner tout droit à la nationalité et à la citoyenneté qatarie ». En signant, « ils étaient tenus soit de quitter le pays et de gagner le pays de leur seconde nationalité, soit de trouver un garant qatari pour rester au Qatar ». Certains de ceux qui refusèrent de signer le document les dessaisissant de leur nationalité furent emprisonnés. 

En fait, écrivait M. Untermeyer, « la loi qatarie ne semble pas interdire la double nationalité, mais stipule que “la nationalité qatarie peut être retirée à quiconque la détient si ce dernier a acquis une autre nationalité”.

Pourtant, et selon de nombreuses sources, des milliers de Qataris dont le gouvernement de Doha sait qu’ils ont deux passeports n’ont pas reçu l’ordre d’abandonner leur autre nationalité. D’autres sources ont par ailleurs affirmé que les personnes déchues de leur nationalité par le gouvernement n’avaient pas toutes la double nationalité. »

Notant que l’ambassade avait « formellement exprimé sa préoccupation concernant cette pratique au même titre qu’elle avait demandé de plus amples explications au sujet de cette politique », le représentant américain a mis en avant ses conséquences sur des milliers de citoyens qataris.

« On suppose qu’entre six mille et dix mille personnes ont perdu la nationalité qatarie, écrit-il. Ceux qui travaillaient pour le gouvernement ont perdu leur emploi, et des familles entières ont perdu les prestations gouvernementales (logement, scolarité, emploi, santé…) dont elles bénéficiaient en ayant la citoyenneté qatarie. De nombreuses personnes, auxquelles la nationalité a été retirée, résident au Qatar en tant qu’apatrides (“bidoun”) et ne peuvent pas voyager en dehors du pays. »  

Drewery Dyke explique combien de personnes de la famille Al-Ghofran sont restées apatrides.

Selon Drewery Dyke, président du Rights Realization Center (« Centre de réalisation des droits », Royaume-Uni) et spécialisé dans les questions des droits de l’homme dans les pays du Golfe, en Iran et en Afghanistan, ce processus de privation de citoyenneté a commencé en octobre 2004, à la suite d’un décret gouvernemental.

« Les conséquences de la décision, déclare-t-il, ne devraient pas être sous-estimées. Peu de temps après que les autorités aient commencé à démettre les gens de leurs fonctions, ces derniers se sont retrouvés privés d’enseignement et exclus de leurs écoles. Ils n’avaient plus accès aux soins médicaux, leurs comptes bancaires ont été fermés et ils n’ont plus eu de droit à la propriété. Ils ont été rendus invisibles, et sont du même coup devenus ''personnes''. »

Ils ont été rendus invisibles, et sont du même coup devenus ''personnes''.
Drewery Dyke, Président du Rights Realization Center basé au Royaume-Uni

M. Dyke affirme : « Il est très difficile de savoir exactement combien de membres du clan Al-Ghofran sont devenus apatrides. Le décret original visait 927 chefs de famille et toutes les personnes à leur charge, soit environ cinq mille personnes. Mais depuis lors, étant donné la croissance naturelle de ces communautés et de leurs familles, certains estiment ce nombre à dix mille. »

Pour Amjad Salfiti : « Il s’agit là d'un chiffre qui ne tient probablement compte que des membres du clan Al-Ghofran. D’autres estimations évaluent le nombre total de membres des différentes tribus ayant été expulsés ou déchus de leur nationalité à plus de cinquante mille – tous soumis à des mesures draconiennes.

Les citoyens de n’importe quel pays sont dans leur ensemble couverts par une loi internationale, grâce à laquelle leur citoyenneté est supposément protégée. Et dès qu’un État prend la moindre initiative pour priver une personne de sa nationalité, que ce soit en tant que groupe ou individuellement, cela contrevient aux droits de l’homme. 

Ce qui est arrivé dans le cas présent constitue une forme collective de sanction, qui est également interdite par la loi internationale. Une infraction a été commise par l’État envers ses propres citoyens. »

La contre-attaque

En septembre 2018, une délégation des Al-Ghofran a plaidé son cas devant la 39e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, demandant l’aide du rapporteur spécial sur les droits des peuples indigènes au Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH). À cette occasion, ils ont déclaré vouloir faire appel à la communauté internationale « seulement après que le gouvernement de notre pays a fermé toute possibilité de recours, et refusé d’écouter ou de s’intéresser à nos requêtes. »

À Genève, Jaber Saleh Al-Ghofrani, l’un des membres de la délégation, a adressé un appel émouvant aux dirigeants qataris et à ses concitoyens. « Nous faisons appel aux plus anciens de l’honorable famille Al-Thani, au juste et généreux peuple du Qatar, ainsi qu’à la tribu Al-Murra, connue pour sa noblesse et sa courtoisie. »

« Nous faisons appel à vous en tant que frères, jeunes et vieux, adultes et enfants, hommes et femmes, à l’intérieur comme à l’extérieur du Qatar, et nous faisons appel à votre fière origine arabe, parce que le gouvernement qatari nous a laissé tomber, a fait à notre égard des déclarations mensongères, et nous a privés de nos droits. »

Nous faisons appel à vous en tant que frères, jeunes et vieux, adultes et enfants, hommes et femmes, à l’intérieur comme à l’extérieur du Qatar, et nous faisons appel à votre fière origine arabe, parce que le gouvernement qatari nous a laissé tomber, a fait à notre égard des déclarations mensongères, et nous a privés de nos droits.
Jaber Saleh Al-Ghofrani

Au cours d’une conférence de presse à Genève, Jaber Saleh Al-Ghofrani, l’un des doyens de la tribu, a déclaré : « Le gouvernement qatari nous avait retiré nos droits sociaux, politiques et économiques […]. Je suis parti en vacances en 1996, et maintenant, je ne peux plus rentrer dans mon pays. Je peux me rendre n’importe où sur cette Terre, mais pas chez moi, pas au Qatar. »

Un porte-parole du HCDH a déclaré à Arab News qu’après cette réunion avec les représentants d’Al-Ghofran, son équipe avait en conséquence « exprimé ses préoccupations au Comité national des droits de l’homme au Qatar. »

La réponse du HCDH a plongé dans la consternation un grand nombre de membres d’Al-Ghofran. Ces derniers, au cours de leur requête auprès du Haut-Commissariat, avaient clairement fait part de leur préoccupation vis-à-vis du Comité national des droits de l’homme du Qatar, lequel n’était, au même titre que tout autre instrument d’État de l’Emirat, pas impartial.

Dans leur requête, les représentants de la tribu avaient écrit : « Les autorités qataries – l’émir du Qatar, le Premier ministre, le Procureur général, le président du Comité national pour les droits de l’homme, les hauts responsables de la sécurité et les hauts dignitaires – étaient toutes conscientes de la discrimination. Et tous ces hauts responsables sont fortement impliqués dans le préjudice. »

Des membres d’Al-Ghofran à Genève présentent leur cas au Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en 2018.

Ils ont ajouté : « Nous espérons que votre intervention aura pour effet de rétablir la justice, et ce grâce à votre traitement objectif et impartial de cette souffrance. Nous espérons également ne pas dépendre uniquement des décisions du Comité National des droits de l’homme du Qatar, cet organe étant malheureusement devenu un obstacle à notre lutte pour la justice. »

Le HCDH a déclaré à Arab News avoir reçu une réponse du comité, mais qu’il ne peut pas la communiquer en raison de « la confidentialité de cette information. »

Ce n’était pas la première fois que la détresse des membres d’Al-Ghofran était portée devant les Nations unies. Dans un rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2010, Amnesty International relevait que, sur vingt personnes condamnées à mort au Qatar, dix-sept avaient été convaincues d’implication dans la tentative de coup d’état de 1996, leur sentence « résultant de procès inéquitables ». Initialement condamnés à la prison à vie, ils ont vu leurs sentences transformées en peine de mort par la Cour d’appel du Qatar en mai 2001.

AÀ l’époque du procès initial, le rapport d’Amnesty International notait qu’« un grand nombre d’entre eux affirmaient que “des confessions avaient été soutirées sous la torture”. »

Un rapport aux Nations unies de l’organisation des droits de l’homme Alkarama (enregistrée en Suisse), présenté également au Conseil des droits de l’homme, déclarait qu’entre 1996 et 2000, des dizaines de personnes avaient été arrêtées dans le cadre d’enquêtes sur le coup d’État manqué. D’autres sources affirment que plus de 300 suspects originaires de plus de 17 tribus qataries ont été arrêtés. En 1997, 121 personnes, dont 21 membres d’Al-Ghofran, ont été traduites en justice. Les procès se sont achevés en 2001, et le retrait systématique de la nationalité des Al-Ghofran a commencé début 2004.

D’après le résumé des observations publiées par le Conseil des droits de l’homme en 2010, « un code régissant la nationalité a été promulgué en 2005 » (Loi No. 38 de 2005). Ironie du sort, c’est cette même année qu’un département des droits de l’homme a été institué au sein du ministère de l’Intérieur –, selon lequel « l’émir se voyait confier de larges pouvoirs pour accorder, retirer ou rétablir la nationalité qatarie. »

Amnesty International signale que la loi a été utilisée « contre un grand nombre de personnes et de tribus, ciblant des opposants politiques, et notamment les 6 000 membres – nombre impressionnant – de membres de la branche Al-Ghofran de la tribu Al-Murra, […] considérés comme des ressortissants étrangers. »

Des membres d’Al-Ghofran lors d’une réunion à Genève.

On estime à 4 000 le nombre de ceux qui ont pu recouvrer leur nationalité qatarie, mais, dans la majorité des cas, leur lieu de naissance a été modifié. Considérés dès lors comme nés dans un pays voisin, ils n’ont par conséquent pas pu obtenir de droit de vote au Qatar.

En 2010, le roi saoudien Abdallah est intervenu en faveur des 21 membres de la tribu Al-Ghofran condamnés à la prison à vie. Il est parvenu à les faire libérer, et à les conduire vers une nouvelle vie en Arabie saoudite.

Selon l’ancien officier de police qatari Rashed Al-Amrah, qui comme des milliers d’autres membres d’Al-Ghofran avait été déchu de sa citoyenneté, une délégation de la tribu avait porté le cas devant le roi. « Ils lui ont dit que les détenus n’avaient rien fait, mais possédaient la double nationalité, et que cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani les avait accusés de tenter de le tuer lorsque cheikh Khalifa avait essayé de rentrer au Qatar. »

Ils ont affirmé au roi qu’il n’y avait aucune preuve venant étayer les accusations portées contre eux. La délégation a expliqué au roi qu’elle avait, dans un premier temps, espéré recourir à lui un an plus tôt, mais sans succès. « Le roi Abdallah leur a révélé que cheikh Hamad lui avait menti :“Il m’a menti deux fois, mais j’espère que vous aurez bientôt de bonnes nouvelles” », poursuit M. Al-Amrah.

Un mois plus tard, le roi Abdallah a envoyé son fils le prince Mutaib au Qatar. « Il lui a demandé de dire au cheikh Hamad que “le roi Abdallah lui envoyait ses salutations et lui demandait de relâcher les membres de la tribu Al-Ghofran”. La réponse fut positive. »

Rashed Al-Amrah raconte comment l’ancien roi saoudien Abdallah est intervenu dans cette affaire.

Plus tard, les hommes libérés ont raconté de quelle manière on leur avait dit de prendre leurs affaires, avant de les emmener à l’aéroport en tenue de prisonniers. « Ils ont vu l’avion saoudien et le prince Mutaib juste devant, raconte M. Al-Amrah. Il les a accueillis un par un. L’avion a atterri à Djeddah, et le soir même ils ont rencontré le roi Abdallah. Leur souffrance a alors pris fin, car le roi Abdallah était convaincu de leur innocence. »

Un épilogue en vue?

Beaucoup espèrent que 2019 sera l'année qui mettra fin aux souffrances d'Al-Ghofran.

Au fil des ans, le clan a gagné le soutien de différents groupes – notamment de la Fédération arabe pour les droits de l’homme, de l’Organisation égyptienne pour les droits de l’homme, du Centre Manama pour les droits de l’Homme, de l’organisation humanitaire mondiale pour les droits de l’homme Amnesty International (dont le siège est aux États-Unis), et en mai 2019, de Human Rights Watch (qui a son siège à New York) – qui tous appuient sa cause.

Les membres apatrides du clan, signale Human Rights Watch, « sont privés de leur droit à un travail décent, de l’accès aux soins médicaux, du mariage et de la fondation d’une famille, ou encore de l’accès à la propriété privée et à la liberté de mouvement. »

Rashed Al-Amrah explique comment les membres du clan Al-Ghofran ont été persécutés.

« Sans papiers d’identité valides, ils font face à des restrictions pour l’ouverture d’un compte bancaire ainsi que pour l’obtention d’un permis de conduire, et sont menacés de détention arbitraire. Ceux qui vivent au Qatar sont privés d’une série de prestations gouvernementales assurées aux citoyens de cet émirat : l’obtention d’un emploi au sein de l’État, les subventions alimentaires ainsi qu’en matière d’énergie, et la gratuité des soins de santé. »

Sans papiers d’identité valides, ils font face à des restrictions pour l’ouverture d’un compte bancaire ainsi que pour l’obtention d’un permis de conduire, et sont menacés de détention arbitraire. Ceux qui vivent au Qatar sont privés d’une série de prestations gouvernementales assurées aux citoyens de cet émirat : l’obtention d’un emploi au sein de l’État, les subventions alimentaires ainsi qu’en matière d’énergie, et la gratuité des soins de santé.
Human Rights Watch, New York

Après avoir interviewé neuf membres issus de trois familles apatrides du clan vivant au Qatar ainsi qu’une personne d’une quatrième famille résidant en Arabie saoudite, l’ONG a appelé le gouvernement qatari à « mettre immédiatement fin à la souffrance des apatrides, et à leur donner, à eux comme à ceux qui ont depuis acquis une autre nationalité, la possibilité de retrouver leur citoyenneté qatarie. »

Human Rights Watch a écrit au ministère de l’Intérieur qatari pour lui faire part de ses préoccupations, sans recevoir de réponse. (Arab News a également essayé de joindre le ministère ainsi que le bureau de presse du Qatar, qui n’ont souhaité faire aucun commentaire).

En septembre 2019, les rapporteurs du groupe de travail de l’ONU sur l’Examen périodique universel (EPU) – un mécanisme qui passe en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme – ont publié un rapport sur le Qatar, affirmant que le retrait de la nationalité des membres d’Al-Ghofran « n’avait pas été une mesure futile ou injuste », mais « appliquée en accord avec la loi, qui interdit la double citoyenneté ».

Le rapport – un long document qui inclut des observations de dizaines d’États – comprenait également une requête faite par l’Arabie saoudite, intimant au Qatar de « prendre toutes les mesures nécessaires et immédiates pour restituer la nationalité à la tribu Al-Ghofran […] et lui rendre les biens et l’argent qui lui avaient été confisqués. »

Un grand nombre de membres d’Al-Ghofran, déplacés et dépossédés placent leurs derniers espoirs dans une session du Segment de haut niveau sur l’apatridie du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui se tiendra le Lundi 7 octobre. La date marque un point central de la campagne des Nations Unies “J’appartiens” pour mettre fin à l'apatridie dans le monde d'ici 2024. Les Nations unies précisent qu’il sera demandé à des chefs d’État et à des représentants des gouvernements « de mettre en relief les avancées majeures dans le traitement de la question des apatrides depuis le lancement en novembre 2014 de la campagne “J’appartiens” pour éradiquer l’apatridie, et de fournir des engagements concrets pour le règlement du problème des apatrides dans les cinq années restantes de la campagne. »

« C’est là la chance du Qatar de prendre la bonne décision », estime Drewery Dyke.

Drewery Dyke parle des défis du Qatar en matière des droits de l’Homme.

« Il incombe au gouvernement du Qatar de respecter les engagements pris les années précédentes – ou bien déjà évoqués – dans le cadre de la campagne “J’appartiens”, pour que tous les membres du clan Al-Ghofran qui souhaitent rentrer dans leur pays puissent recouvrir la nationalité » .

Au cours de la réunion ministérielle intergouvernementale sur les personnes réfugiées et apatrides des Nations unies en 2011, plus de soixante États ont pris des engagements concrets pour traiter le problème des apatrides. Le Qatar s’est cependant limité à une déclaration qui esquivait manifestement la question : « Nous renouvelons l’appui de l’État du Qatar aux nobles principes humanitaires du HCR, et son engagement à continuer de fournir le soutien nécessaire aux différentes activités du HCR en vue de garantir une vie digne à tous. »

Tous les regards seront tournés vers le Qatar le 7 octobre prochain, explique Drewery Dyke.

Le Centre de réalisation des droits, l’Institut des apatrides et de l’inclusion, ainsi que d’autres groupes des droits de l’homme – sans parler des membres de la communauté d’Al-Ghofran eux-mêmes – appellent le Qatar à permettre leur retour dans le pays, à rendre la nationalité à tous ceux qui auront arbitrairement et injustement été dénaturalisés, et à reconnaître les épreuves qu’ils ont traversées ».

Des membres d’Al-Ghofran à Genève présentent leur cas au Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en 2018.

Des membres d’Al-Ghofran à Genève présentent leur cas au Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en 2018.

Des membres d’Al-Ghofran lors d’une réunion à Genève.

Des membres d’Al-Ghofran lors d’une réunion à Genève.

Crédits

Producteur exécutif : Mohammed Al-Sulami
Directeur artistique : Simon Khalil
Auteur : Jonathan Gornall
Design : Omar Nashashibi
Illustrations : Alex Green
Graphisme : Douglas Okasaki
Caméramen : Mohammed Al-Baigan, Seif Almutairi
Vidéos : Ali Noori, Yasser Hammad, Rawan Alkhelawi Traduction : Sarah Sfeir
Recherche : Sarah Glubb
Recherche photo : Sheila Mayo
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Rédacteur en chef : Faisal J. Abbas