La malédiction européenne du gaz russe

Des tuyaux pour les conduites de gaz sont photographiés à Open Grid Europe (OGE), l'un des plus grands opérateurs de réseau de transport de gaz d'Europe, à Werne, dans l'ouest de l'Allemagne, le 15 juillet 2022. (Photo, AFP)
Des tuyaux pour les conduites de gaz sont photographiés à Open Grid Europe (OGE), l'un des plus grands opérateurs de réseau de transport de gaz d'Europe, à Werne, dans l'ouest de l'Allemagne, le 15 juillet 2022. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 17 août 2022

La malédiction européenne du gaz russe

La malédiction européenne du gaz russe
  • Ceux qui croient que les autorités politiques européennes sont en train de passer un été tranquille se trompent lourdement
  • La baisse du pouvoir d’achat, qu’aucune loi parlementaire, même la plus efficace, ne pourra endiguer, sera selon toutes les prévisions à l’origine de nombreuses colères sociales

Ceux qui croient que les autorités politiques européennes sont en train de passer un été tranquille se trompent lourdement. L’angoisse d’une rentrée sociale et politique explosive est dans tous les esprits, et pour cause. Les effets de la crise énergétique liée à la raréfaction du gaz russe et à sa possible coupure se font déjà sentir. L’illusion d’optique que procurent actuellement les vacances estivales ne saurait cacher les réalités et les transformations à venir. Elles sont d’ordre économique, social et politique. 

D’un point de vue économique, la situation est d’autant plus grave qu’elle fait suite à la pandémie de Covid-19, qui avait occasionné une séquence aussi pénible que coûteuse pendant de longs mois. La stratégie d’exception qui a été adoptée a conduit à un niveau inédit de l’endettement européen. Emmanuel Macron, le président français, avait résumé les affres de cette séquence par sa célèbre expression, «quoi qu’il en coûte». Elle avait agi à la fois comme une garantie contre la destruction des emplois et comme un anesthésiant national.

Ces pays ne sont pas encore sortis de cette coûteuse convalescence qu’ils doivent déjà imaginer des solutions financières et économiques d’urgence pour traiter les effets de l’inflation et de la hausse inéluctable des prix. Paris, comme d’autres capitales européennes, est contraint de revoir à la baisse ses prévisions, de trancher dans certaines dépenses, de faire le tri entre l’essentiel et le secondaire. Pour beaucoup, il s’agit d’une sévère politique d’austérité qui ne veut pas dire son nom et qui aura de dangereuses conséquences sociales.

La baisse du pouvoir d’achat, qu’aucune loi parlementaire, même la plus efficace, ne pourra endiguer, sera selon toutes les prévisions à l’origine de nombreuses colères sociales. Par secteurs et par catégories, la rentrée sociale française s’annonce explosive. Atteints de plein fouet dans leur pouvoir d’achat, les Français – qui ont enfilé leurs gilets jaunes pour quelques centimes de hausse du prix du diesel – pourront de nouveau surprendre par leurs penchants rebelles.

Les plus pessimistes tablent sur une généralisation de la colère sociale qui pourrait aboutir à cette fameuse convergence des luttes que le phénomène des gilets jaunes a été incapable de créer. Mais les optimistes affirment  le contraire. En effet, cette gauche radicale et cette extrême droite qui encadraient les colères de rue lors du premier mandat d’Emmanuel Macron sont confortablement installées au sein du Parlement comme de nouveaux notables. Ces forces pourront faire baisser le niveau de contestation des rues et tenter de traduire ces frustrations sous la coupole de l’Assemblée.

Pour beaucoup, il s’agit d’une sévère politique d’austérité qui ne veut pas dire son nom et qui aura de dangereuses conséquences sociales.

Sur le plan politique, de nombreuses transformations et d’autres accélérations sont à prévoir. Les temps de crise et de tensions sociales sont propices à la propagation des discours démagogiques et populistes. Les dernières consultations électorales ont déjà montré que la majorité des Français ont épousé un discours extrémiste, qu’il soit de gauche ou de droite. Vivre une séquence dans laquelle l’État providence est limité dans ses moyens encouragerait inévitablement toutes les formes de radicalité.

En outre, avec cette situation, des principes fondateurs comme la tolérance ou le vivre-ensemble pourraient connaître un recul dangereux.

À un tout autre niveau, non moins décisif – et parce que les gouvernements européens sont condamnés à revoir leurs stratégies de consommation et de production des énergies –, le retour triomphal du nucléaire est susceptible de miner, voire de saboter toutes les postures écologiques qui ont marqué et configuré les discours politiques de ces dernières années. L’écologie comme discours, comme religion politique, pourrait subir un coup violent. 

Sous la pression de la guerre que mène Vladimir Poutine en Ukraine, toute une vision du monde, de la manière de vivre, de produire et de consommer est à revoir. Il y a fort à parier que, sous les effets de cette guerre, l’intention de produire des énergies propres et le discours politique qui va avec au niveau national et international connaissent un net recul.

En observant de loin toutes les conséquences de sa guerre en Ukraine sur ses voisins européens, Vladimir Poutine, devenu un paria international, ne pourra réprimer un souffle de satisfaction. Son voisinage européen est en train d’encaisser un terrible coup qui pourrait accélérer ses déchirures et provoquer des révisions douloureuses.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.