Ardente défenseure de l'hindutva, une idéologie militante qui croit en la suprématie de l'hindouisme sur toutes les autres religions en Inde, Laxmi Dubey se donne le nom de Kali, la déesse de la mort.
A 30 ans, Laxmi Dubey est l'une des chanteuses les plus populaires de la « pop safran », qui propage l’idéologie selon laquelle l’Inde doit revenir exclusivement à la majorité hindoue, idéologie dont le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), est le représentant sur la scène politique.
Certaines de ses chansons sur YouTube ont été vues près de 50 millions de fois. Ses vidéos sont saturées d'images couleur safran [la couleur de l’hindutva], où se tiennent des hindous portant des robes safran, dansant l’épée au poing au rythme de ses chansons.
Dans l'un de ses morceaux, elle jure de tuer quiconque s'oppose à la construction d'un temple pour le « dieu » Ram.
Le BJP réclamait depuis longtemps qu’un tel temple soit construit dans la ville d'Ayodhya (Est), sur le site de la mosquée Babri (détruite en 1992), qui, selon les hindous, est le lieu de naissance de Ram. En novembre 2019, la Cour suprême de l’Inde se prononce en faveur de la construction du temple et les travaux débutent le 5 août 2020.
Les chansons de Dubey sont jouées lors d’événements religieux et politiques pour soulever les passions nationalistes de l’auditoire hindou.
Niranjan Mukhopadhyay, analyste politique à New Delhi et auteur de plusieurs livres sur les parties de droite en Inde, explique : « Le mouvement politique nationaliste hindou s’est appuyé sur la culture populaire pour se propager. »
Dubey est un symbole de la mouvance nationaliste hindoue qui est aujourd’hui l’un des traits principaux de la politique et de la société indiennes. Dans une de ses chansons, elle décrit ceux qui ne vénèrent pas Ram comme des traîtres.
De telles chansons répandent la peur parmi les musulmans et les autres minorités de l’Inde, dans un contexte où certains craignent que le mouvement actuel ne mette à mal le modèle laïque du pays. Ces craintes ont été encore accrues par la décision rendue par la Cour suprême en novembre 2019 d’autoriser la construction du temple.
Pawan Pratyay, journaliste, explique : « Les chants safran sont utilisés par les fanatiques hindous lors de fêtes religieuses pour enflammer les passions et parfois cela conduit à la violence religieuse. »
Dubey indique que son but dans la vie est de servir l’hindutva et d'utiliser sa musique pour propager son idéologie religieuse. « Je veux voir l'Inde nation hindoue », a-t-elle déclaré à Arab News.
Dubey estime que depuis l'indépendance en 1947, le système laïque en Inde a conduit à ce que les hindous soient réduits à un état de soumission et qu’ils soient victimes de terrorisme. C’est là une des croyances motrices de l'extrémisme hindou.
Dubey accède à la célébrité dans le sillage de l'arrivée de Narendra Modi au poste de Premier ministre en 2014.
Elle publie des vidéos le soutenant et fait campagne pour le BJP. Dans la vidéo de 2019 qu'elle publie juste avant les élections générales, elle chante les louanges de Modi, le peignant comme le sauveur des hindous d’Inde.
« Je suis avec ceux qui soutiennent hindutva », proclame Dubey, qui prône l’expulsion de la population musulmane de la vallée du Cachemire.
Elle dit dans l'une de ses chansons : « Le Cachemire est à nous. Nous sommes des hindous purs et durs. Nous allons écrire une nouvelle histoire. Nous allons entrer dans la maison de l’ennemi et lui couper les mains. »
Dubey soutient la décision du gouvernement indien d’abroger le statut spécial du Cachemire.
Elle a la laïcité en horreur et dit que, puisque le Pakistan voisin a été créé pour les musulmans, « l'Inde doit être une terre d'hindous. L'Inde appartient exclusivement aux hindous. »
Elle ajoute que le pays, « sous Modi, est au sommet de son histoire civilisationnelle. C’est un homme d’histoire. Il concrétise le rêve de nos ancêtres qui ont toujours voulu que l’Inde soit une nation forte. »
Mukhopadhyay explique : « Le BJP utilise des gens comme Dubey… pour élargir sa base électorale. Cela s’est fait par le passé et se fait aujourd’hui. "
Il ajoute : «La haine qu'elle propage à travers ses chansons ne vise que les musulmans. Seuls les musulmans sont ‘‘l’autre ’’. Les vidéos de Dubey sont en phase avec la stratégie plus large du nationalisme hindou. »
L'historien et analyste politique Aditya Mukherjee, professeur à l’université Jawaharlal Nehru de New Delhi, estime que « la police devrait prendre des mesures contre des personnes comme Dubey qui répandent la haine dans la société. »
Il ajoute : « L’opinion publique et les citoyens concernés devraient se manifester pour protéger la société des attaques qui menacent détruire son pluralisme religieux. »