Anatomie d'un désastre

Deux décennies plus tard, les Irakiens paient toujours le prix de la guerre mal jugée de Bush

Il y a vingt ans, le 19 mars 2003, une coalition dirigée par les États-Unis envahissait l'Irak. Deux arguments ont été avancés par les Américains et leurs alliés britanniques pour justifier le renversement sans précédent par la force des dirigeants d'un État souverain. Ils soutenaient d’une part que le président Saddam Hussein possédait et s'apprêtait à utiliser des armes de destruction massive, et d’autre part que son régime avait été complice des attentats du 11- Septembre d’Al-Qaïda ayant visé les États-Unis. Les deux arguments se sont avérés faux.

Le 18 septembre 2001, une semaine après les attentats du 11-Septembre, le prince Bandar ben Sultan, ambassadeur saoudien à Washington, a rencontré le président américain George W. Bush à la Maison Blanche.

Comme Bruce Riedel, membre du Conseil de sécurité nationale de Bush, s'en souviendra plus tard, lorsque le président a dit à l'ambassadeur qu'il pensait que l'Irak était derrière les attaques, «Bandar était visiblement perplexe». Le prince, a déclaré Riedel, «a dit à Bush que les Saoudiens n'avaient aucune preuve d'une quelconque collaboration entre Oussama ben Laden et l'Irak. Leur histoire était marquée par des antagonismes».

Mais Bush «était obsédé par le dictateur irakien, Saddam Hussein, et a délibérément trompé le peuple américain en lui disant qu’il était responsable des attentats du 11-septembre... Les États-Unis sont entrés en guerre en Irak sous le prétexte que d’une certaine manière, ils vengeraient les personnes tuées par Al-Qaïda».

Dans un article publié sur le blog Lawfare le 11 septembre 2021, Riedel a écrit qu'après avoir rencontré Bush à la Maison Blanche, «Bandar m'a dit en privé que les Saoudiens étaient très inquiets de savoir jusqu’où pouvait aller l'obsession de Bush sur l'Irak. Les Saoudiens s’alarmaient, car attaquer l'Irak ne profiterait qu'à l'Iran et déclencherait de graves répercussions déstabilisatrices dans toute la région».

C'était une prédiction qui allait se réaliser, avec des conséquences effrayantes, dont les répercussions se font sentir aujourd’hui. Arab News revient sur l’histoire d’un mensonge: la falsification ou la déformation délibérée de renseignements par les États-Unis et leurs alliés pour justifier une invasion qui, rétrospectivement, s'est avérée injustifiable. Une invasion qui a également eu un coût humain dévastateur, toujours payé par le peuple irakien aujourd’hui.

Comme le conclurait ensuite une étude sur la guerre publiée en 2019 par l'armée américaine, il n’y a eu qu’un seul gagnant des années de guerre civile et d'insurrection qui ont suivi l'invasion et l'occupation américaines: l'Iran.

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Le chemin de la guerre

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Le 11 Septembre 2001

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 «Nous allons voir une image en direct de New York, apparemment un avion s'est écrasé sur le World Trade Center à New York... avec peu d'informations à ce stade, nous ne savons pas s'il y a des blessés, mais évidemment cela pourrait être une catastrophe majeure...»

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- Fox News à 8 h 52, avec l'un des premiers reportages sur les attentats du 11-Septembre.

Le 11 Septembre 2001

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 «Frapper S. H. en même temps; pas seulement UBL: il faut une cible à court terme – frapper fort, tout balayer –, il faut le faire pour toucher quelque chose d'utile.»

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- Stephen Cambone, assistant du secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, consigne les premières pensées de ce dernier après l'attaque du Pentagone: attaquer Saddam Hussein ainsi qu'Oussama ben Laden.

Le 14 Septembre 2001

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 «J'étais dans le bureau ovale avec le président quand il a parlé à Tony Blair. Et au milieu de la conversation avec Tony Blair sur le 11-Septembre, George Bush déclare: “Nous allons aussi attaquer l'Irak”. Le Premier ministre britannique a été complètement pris de court. Maintenant, avec le temps, bien sûr, il se raviserait.»

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- En 2021, Bruce Riedel, ancien analyste de la CIA et conseiller du président au Conseil national de sécurité en 2001, se souvient d'une conversation téléphonique entre George W. Bush et Tony Blair trois jours après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis.

Le 18 Septembre 2001

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 «Une semaine après le 11-Septembre, l'ambassadeur saoudien, le prince Bandar ben Sultan, est venu à la Maison-Blanche pour voir George Bush. Le vice-président, Richard Cheney, et l'ancienne conseillère à la sécurité nationale américaine, Condoleezza Rice, étaient également présents. Mes notes indiquent que le président “pense clairement que l'Irak doit être derrière tout ça. Ses questions à Bandar montrent son parti pris”. Le prince Bandar ben Sultan était visiblement perplexe. Il a précisé à M. Bush que les Saoudiens n'avaient aucune preuve d'une quelconque collaboration entre Oussama ben Laden et l'Irak. En réalité, ils ont toujours été “opposés”.»

- Notes de Bruce Riedel, ancien analyste de la CIA et conseiller du président au Conseil national de sécurité en 2001, en 2021 à l'occasion de l'anniversaire du 11-Septembre, qui se souvient de la consternation saoudienne face à la suggestion américaine d'une complicité irakienne dans les attentats.

Le 8 Novembre 2002

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 «Le Conseil de sécurité reconnaissant la menace que le non-respect par l'Irak des résolutions du Conseil et la prolifération des armes de destruction massive et des missiles à longue portée font peser sur la paix et la sécurité internationales décide d'offrir à l'Irak une dernière possibilité de s'acquitter des obligations de désarmement qui lui incombent en vertu des résolutions pertinentes du Conseil; et en conséquence de mettre en place un régime d'inspection renforcé dans le but de mener à son terme, de manière complète et vérifiée, le processus de désarmement établi par la résolution 687 (1991) et les résolutions ultérieures du Conseil.»

- Résolution 1 441 du Conseil de sécurité des nations unies, élaborée par le Royaume-Uni et les États-Unis et adoptée à l'unanimité par le Conseil.

Le 3 février 2003

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 «Nous avons publié de nouveaux renseignements au cours du week-end sur l'infrastructure de dissimulation (en Irak). J'espère que les gens ont une idée de l'intégrité de nos services de sécurité. Ils ne publient pas ces informations, ils ne nous les donnent pas et ils ne les inventent pas. Ce sont les renseignements qu'ils reçoivent, et nous les transmettons aux gens. Dans le dossier que nous avons publié l'année dernière, et encore dans les documents que nous avons publiés ce week-end, il est très clair qu'une grande partie de dissimulation et de tromperie est en cours.»

- Tony Blair s'exprimant devant la Chambre des communes lors de la publication de ce qui est devenu le dossier douteux.

Le 5 février 2003

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«J'attire l'attention de mes collègues sur l’excellent document que le Royaume-Uni a distribué hier, qui décrit avec des détails précis les activités de supercherie irakiennes [...]. Il ne fait aucun doute que Saddam Hussein possède des armes biologiques et la capacité d'en produire rapidement beaucoup plus. Et il peut distribuer ces poisons et maladies mortels de manière à provoquer des morts et des destructions massives... Je veux aussi attirer votre attention sur le lien sinistre entre l'Irak et le réseau terroriste Al-Qaïda... L'Irak abrite aujourd'hui un réseau terroriste mortel dirigé par Abou Moussab al-Zarqaoui.»

- Présentation du secrétaire d'État américain, Colin Powell, au Conseil de sécurité de l'ONU, «Iraq: Failing to Disarm».

Le 7 février 2003

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«Downing Street a été plongé hier soir dans un embarras international aigu après qu'il est apparu que de larges parties du dernier dossier du gouvernement britannique sur l'Irak – prétendument basé sur des éléments de renseignement – étaient tirées d'articles universitaires publiés, certains datant de plusieurs années.»

– The Guardian, «UK war dossier a sham, say experts.»

Le 17 février 2003

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«La fracture de l'alliance occidentale au sujet de l'Irak et les énormes manifestations anti-guerre qui ont eu lieu dans le monde entier ce week-end rappellent qu'il y a peut-être encore deux superpuissances sur la planète: les États-Unis et l'opinion publique mondiale. Le président Bush semble être nez à nez avec un nouvel adversaire tenace: des millions de personnes qui ont envahi les rues de New York et de dizaines d'autres villes du monde pour dire qu'elles sont contre la guerre sur la base des preuves dont elles disposent.»

- Le New York Times, après que plus de 30 millions de personnes dans le monde ont défilé le 15 février pour protester contre l'invasion prochaine de l'Irak.

Le 7 mars 2003

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«Après trois mois d'inspections intrusives, nous n'avons à ce jour trouvé aucune preuve ou indication plausible de la reprise d'un programme d'armes nucléaires en Irak.»

- Mohamed el-Baradei, chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Le 17 mars 2003

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 «Le Conseil de sécurité des nations unies n'a pas assumé ses responsabilités, nous allons donc assumer les nôtres. Ces derniers jours, certains gouvernements du Moyen-Orient ont fait leur devoir. Ils ont diffusé des messages publics et privés exhortant le dictateur à quitter l'Irak, afin que le désarmement puisse se dérouler pacifiquement. Jusqu'à présent, il a refusé. Toutes ces décennies de tromperie et de cruauté arrivent désormais à leur terme. Saddam Hussein et ses fils doivent quitter l'Irak dans les quarante-huit heures. Leur refus d'obtempérer entraînera un conflit militaire, qui débutera au moment de notre choix. Pour leur propre sécurité, tous les ressortissants étrangers – y compris les journalistes et les enquêteurs – doivent quitter l'Irak immédiatement.»

- Dans une allocution télévisée, le président George W. Bush lance un dernier ultimatum à Saddam Hussein.

Le 19 mars 2003

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 «Mes chers concitoyens. En ce moment même, les forces américaines et de la coalition en sont aux premières étapes des opérations militaires visant à désarmer l'Irak, à libérer son peuple et à défendre le monde contre un grave danger. Sur mes ordres, les forces de la coalition ont commencé à frapper des cibles sélectionnées d'importance militaire afin d'affaiblir la capacité de Saddam Hussein à faire la guerre. Ce sont les premières étapes de ce qui sera une campagne large et coordonnée.»

- Dans un discours à la nation depuis le bureau ovale de la Maison-Blanche, le président Bush annonce le début de l'opération «Liberté en Irak».

Les mensonges révélés

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Le 29 mai 2003

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Le 17 juillet 2003, David Kelly, expert en guerre biologique et inspecteur en désarmement de l'ONU, qui affirmait que le gouvernement britannique avait «trafiqué» son dossier sur les armes de destruction massive, a été retrouvé mort dans un bois près de son domicile dans l'Oxfordshire. Son décès a été considéré comme un suicide.

Le 17 juillet 2003, David Kelly, expert en guerre biologique et inspecteur en désarmement de l'ONU, qui affirmait que le gouvernement britannique avait «trafiqué» son dossier sur les armes de destruction massive, a été retrouvé mort dans un bois près de son domicile dans l'Oxfordshire. Son décès a été considéré comme un suicide.

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«L'un des hauts fonctionnaires chargés de rédiger ce dossier nous a dit qu'en fait, le gouvernement savait probablement que ce chiffre de quarante-cinq minutes était faux, avant même de décider de l’indiquer. Ce que dit cette personne, c'est qu’une semaine avant la date de publication du dossier, il s'agissait en fait d'une réalisation plutôt terne. Il n'en disait pas beaucoup plus que ce qui était déjà connu du public et, selon notre source, Downing Street a ordonné qu'il ait une connotation sexuelle et qu’il soit rendu plus excitant, et a exigé que davantage de faits soient découverts.»

– Andrew Gilligan, journaliste de la BBC, dans l'émission «Today» de Radio 4.

Le 25 juin 2003

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«L'histoire selon laquelle j'ai “mis une connotation sexuelle” dans le dossier est fausse. L'histoire selon laquelle j'ai “fait pression sur les services de renseignement” est fausse. L'histoire selon laquelle nous avons en quelque sorte fait plus du point de commandement et de contrôle de quarante-cinq minutes que ce que les services de renseignement pensaient approprié, est fausse.

– Alastair Campbell, ancien attaché de presse de Blair, témoignant devant la commission britannique des affaires étrangères.

Le 7 juillet 2003

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Une œuvre d'art qui met en scène Tony Blair prenant un selfie devant des champs pétrolifères irakiens en flammes fait partie de l'exposition People Power: Fighting for Peace, une exposition au Musée impérial de la guerre, à Londres, en mars 2017, explorant les manifestations contre la guerre.

Une œuvre d'art qui met en scène Tony Blair prenant un selfie devant des champs pétrolifères irakiens en flammes fait partie de l'exposition People Power: Fighting for Peace, une exposition au Musée impérial de la guerre, à Londres, en mars 2017, explorant les manifestations contre la guerre.

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«Nous concluons que la demande de quarante-cinq minutes ne justifiait pas l'importance qui lui était accordée dans le dossier, car elle était basée sur des renseignements provenant d'une source unique et non corroborée. Nous recommandons que le gouvernement explique pourquoi on a accordé à cette allégation une telle importance... Nous concluons qu'il est peu probable que l'inquiétude et le malaise persistants suscités par les allégations formulées dans le dossier de septembre soient dissipés à moins que davantage de preuves des programmes d'armes de destruction massive de l'Irak n’apparaissent.»

– Rapport de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes, «The decision to go to war in Iraq» («La décision de faire la guerre en Irak»).

Le 28 janvier 2004

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 «Il s'avère que nous avions tous tort, et cela est particulièrement inquiétant.»

– Témoignage devant le comité des forces armées du Sénat américain de David Kay, nommé par la CIA pour diriger le groupe d'enquête sur l'Irak, composé de 1 400 personnes, et qui après l'invasion n'avait pas réussi à trouver des preuves d'armes de destruction massive en Irak. Kay a démissionné le 23 janvier 2004.

Le 29 janvier 2004

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Condoleezza Rice, promue en janvier 2005 au poste de secrétaire d'État américain, pose avec le dirigeant kurde Massoud Barzani et des soldats américains lors d'une visite à Erbil en mai 2005. (AFP)

Condoleezza Rice, promue en janvier 2005 au poste de secrétaire d'État américain, pose avec le dirigeant kurde Massoud Barzani et des soldats américains lors d'une visite à Erbil en mai 2005. (AFP)

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«Je pense que ce que nous avons est la preuve qu'il existe des différences entre ce que nous savions et ce que nous avons trouvé sur le terrain.»

– La Conseillère américaine à la sécurité nationale, Condoleezza Rice, qui avait préconisé l'invasion de l'Irak.

Le 3 mars 2004

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Lors d'une visite surprise en Irak le 27 novembre 2003, le président George W. Bush sert une dinde de Thanksgiving aux troupes américaines stationnées à l'aéroport de Bagdad. (AFP)

Lors d'une visite surprise en Irak le 27 novembre 2003, le président George W. Bush sert une dinde de Thanksgiving aux troupes américaines stationnées à l'aéroport de Bagdad. (AFP)

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«Il s'agit d'être honnête avec le peuple américain. [Le président Bush] devrait dire: “Nous nous sommes trompés et je suis déterminé à découvrir pourquoi.”»

– David Kay, après avoir démissionné de son poste de chef de l'Iraq Survey Group des États-Unis.

Le 17 mars 2004

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 «Pendant la période de préparation de la guerre, Saddam Hussein et les Irakiens ont coopéré avec les inspections de l'ONU... Il y a eu près de 700 inspections, et nous n'avons trouvé en aucun cas des armes de destruction massive.»

– Hans Blix, chef de la commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies.

Le 7 juillet 2004

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Les sénateurs Pat Roberts, à gauche, et John D. Rockefeller IV présentent le rapport accablant de la commission sénatoriale spéciale sur les échecs des services de renseignement américains avant l'invasion de l'Irak.

Les sénateurs Pat Roberts, à gauche, et John D. Rockefeller IV présentent le rapport accablant de la commission sénatoriale spéciale sur les échecs des services de renseignement américains avant l'invasion de l'Irak.

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 «La plupart des conclusions clés du National Intelligence Estimate («estimation du renseignement national») d'octobre 2002 des services de renseignement, “Les programmes continus de l'Irak pour les armes de destruction massive”, ont soit surestimé soit n'ont pas été étayés par les rapports de renseignement sous-jacents.»

– Comité spécial du Sénat américain pour le renseignement, «Report on the US intelligence community’s pre-war intelligence assessments on Iraq».

Le 22 juillet 2004

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Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense des États-Unis, visite Mossoul le 21 juillet 2003. Il a été l'un des premiers membres de l'administration Bush à plaider en faveur d'une invasion de l'Irak.

Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense des États-Unis, visite Mossoul le 21 juillet 2003. Il a été l'un des premiers membres de l'administration Bush à plaider en faveur d'une invasion de l'Irak.

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 «Paul [Wolfowitz, secrétaire adjoint américain à la Défense], a toujours été d'avis que l'Irak constituait un problème qui devait être traité en conséquence. Il a considéré cela comme une façon d'utiliser cet événement en tant que moyen de traiter le problème irakien.»

– Déclaration du secrétaire d'État américain Colin Powell, dans un rapport publié par la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis.

Le 6 octobre 2004

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Abou Moussab al-Zarqaoui, le chef d'Al-Qaïda en Irak, qui n'est arrivé dans le pays qu'après l'invasion et s'est lancé dans une campagne de terreur contre les chiites. Il a été tué lors d'un bombardement américain ciblé le 7 juin 2006. (AFP)

Abou Moussab al-Zarqaoui, le chef d'Al-Qaïda en Irak, qui n'est arrivé dans le pays qu'après l'invasion et s'est lancé dans une campagne de terreur contre les chiites. Il a été tué lors d'un bombardement américain ciblé le 7 juin 2006. (AFP)

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 «Un rapport de la CIA n'a trouvé aucune preuve concluante que l'ancien président irakien Saddam Hussein hébergeait Abou Musab al-Zarqawi, ce que l'administration Bush affirmait avant l'invasion de l'Irak.»

– Selon Reuters.

Le 31 mars 2005

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Le président Bush nomme l'ancien sénateur démocrate Chuck Robb (à gauche) et l'ancien juge Laurence Silberman coprésidents d'une commission indépendante chargée d'examiner les renseignements d'avant-guerre sur les armes de destruction massive de l'Irak. (AFP)

Le président Bush nomme l'ancien sénateur démocrate Chuck Robb (à gauche) et l'ancien juge Laurence Silberman coprésidents d'une commission indépendante chargée d'examiner les renseignements d'avant-guerre sur les armes de destruction massive de l'Irak. (AFP)

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 «Les services de renseignement se sont complètement fourvoyés dans presque toutes leurs conclusions d'avant la guerre sur les armes de destruction massive de l'Irak. Il s'agit là d'un échec majeur du renseignement. Les principales causes en étaient l'incapacité des services de renseignement à recueillir de bonnes informations sur les programmes d'ADM de l'Irak, de graves erreurs dans l’analyse des informations qu'ils pouvaient recueillir, de même qu’en ne précisant pas à quel point leur analyse était basée sur des hypothèses plutôt que sur des données fiables.»

– Conclusion de la commission sur les capacités de renseignement des États-Unis concernant les armes de destruction massive, créée par décret présidentiel le 6 février 2004.

Le 8 septembre 2005

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 «C'est moi qui l'ai présenté au monde au nom des États-Unis, et [cela] fera toujours partie de mon dossier. C'était douloureux. C'est douloureux maintenant [...]. Certaines personnes dans les services de renseignement à l’époque savaient que certaines de ces sources n'étaient pas bonnes et qu'il ne fallait pas s'y fier, et elles n'ont pas parlé. Cela m'a profondément abattu.»

– Après avoir démissionné de son poste de secrétaire d'État américain, Colin Powell a affirmé à Barbara Walters sur ABC News qu'il regrettait le discours qu'il avait prononcé devant le Conseil de sécurité de l'ONU en février 2003, plaidant pour l'invasion de l'Irak.

Le 6 novembre 2007

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Le vice-président américain Dick Cheney s'adresse aux troupes américaines sur la base aérienne de Balad, en Irak, le 18 mars 2008. (AFP)

Le vice-président américain Dick Cheney s'adresse aux troupes américaines sur la base aérienne de Balad, en Irak, le 18 mars 2008. (AFP)

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 «Richard B. Cheney, en violation de son serment constitutionnel d'accomplir avec loyauté sa fonction de vice-président des États-Unis [...] a délibérément manipulé le processus de renseignement pour tromper les citoyens et le Congrès des États-Unis en créant de toutes pièces une menace d'armes irakiennes de destruction massive afin de justifier l'utilisation des forces armées des États-Unis contre la nation irakienne d'une manière préjudiciable à nos intérêts de sécurité nationale.»

– Texte de la résolution de destitution déposée par le représentant américain Dennis Kucinich contre le vice-président encore en exercice Richard Cheney – parrainé par 25 collègues démocrates et un représentant indépendant. La résolution, qui n'a pas été examinée par le comité judiciaire, a expiré en 2009.

Le 6 juillet 2016

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Plus de 10 000 personnes manifestant contre la guerre se rassemblent devant la Haute Cour de Londres le 19 août 2003, alors que l'enquête Hutton se penche sur le suicide de l'expert en armement David Kelly, retrouvé mort après avoir révélé que les affirmations sur les ADM irakiennes avaient été exagérées par le gouvernement de Tony Blair. (Getty)

Plus de 10 000 personnes manifestant contre la guerre se rassemblent devant la Haute Cour de Londres le 19 août 2003, alors que l'enquête Hutton se penche sur le suicide de l'expert en armement David Kelly, retrouvé mort après avoir révélé que les affirmations sur les ADM irakiennes avaient été exagérées par le gouvernement de Tony Blair. (Getty)

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 «Nous avons conclu que le Royaume-Uni a choisi de se joindre à l'invasion de l'Irak avant que les options pacifiques de désarmement aient été épuisées. L'action militaire à cette époque n'était pas un dernier recours [...]. Les conclusions sur les capacités de l'Irak [...] étaient présentées avec une certitude qui n'était pas justifiée.»

– Rapport de l'enquête sur l'Irak, commandée par Gordon Brown, successeur de Blair au poste de Premier ministre britannique, et présidée par Sir John Chilcot.

Ibrahim Al-Marashi

 

 

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Les conséquences

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Le 2 Avril 2003

«D'accord, Bubba, nous sommes là. Et maintenant?»

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– Le lieutenant général William Wallace appelle le commandement de la composante terrestre des forces de la coalition pour obtenir des instructions après que la 3e division d'infanterie américaine s'est emparée du centre-ville de Bagdad.

Les planificateurs militaires américains avaient estimé qu'il faudrait entre soixante-dix et cent-vingt jours pour renverser Saddam Hussein, qui avait gouverné l'Irak pendant près de trois décennies. En réalité, son armée a été mise en déroute en trois semaines et Saddam a dû se cacher.

Le 9 avril, exactement trois semaines après les premiers coups de feu de l'opération Iraqi Freedom, le dictateur a fait une dernière apparition publique, saluant ses partisans devant des caméras de télévision dans le quartier d'Adhamiya à Bagdad.

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Ce même jour, la résistance de Bagdad s'effondrait, la capitale tombait aux mains des Américains, et les Irakiens célébraient cet évènement dans les rues.

Lors d'un incident emblématique le 9 avril, des foules s’en sont prises à la statue de 12 mètres de haut du dictateur déchu sur la place Firdos de la ville, qui a finalement été renversée par une unité de marines américains de passage, équipée d'un véhicule de dépannage blindé M88.

Saddam ne réapparaîtra pas avant le 13 décembre, lorsque, après sept mois de fuite, les forces spéciales américaines le retrouvent, échevelé, barbu et décontenancé, caché dans un trou dans le sol d'une ferme près de sa ville natale de Tikrit, à 150 kilomètres au nord-ouest de Bagdad.

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Les Américains avaient créé un jeu de 55 cartes, chacune portant le visage d'un membre recherché du régime et annonçant la prime offerte pour les dénoncer. Saddam, l’as de pique, valait 25 millions de dollars.

Mais l'homme qui a dit aux Américains où il se cachait, et qui était le garde du corps de Saddam et l’un de ses proches, n'aurait rien obtenu, car il n'avait révélé l’endroit où il se cachait qu'après avoir été arrêté et interrogé.

La récompense offerte pour chacun des fils de Saddam, Qoussaï et Oudaï, l'as de cœur et l'as de trèfle, était de 15 millions de dollars. Ils ont été tués le 22 juillet par des soldats américains qui avaient pris d'assaut la maison de Mossoul dans laquelle ils se cachaient après avoir refusé de se rendre. Le fils de Qoussaï, Moustafa, âgé de 14 ans, est mort avec eux.

Le propriétaire de la maison, un ancien fidèle du régime qui les avait hébergés, aurait reçu tout la somme promise pour les avoir trahis.

Le 1er mai, Bush était de retour à la télévision, depuis le poste de pilotage du porte-avions USS Abraham Lincoln, qui venait de rentrer du Golfe.

Debout devant une grande banderole ornée d'étoiles et de rayures et portant la mention «Mission accomplie», il annonçait que «les opérations de combat les plus importantes en Irak étaient terminées».

Sous les cris et les acclamations de l'équipage, il avait déclaré: «Les États-Unis et nos alliés ont remporté la bataille de l’Irak».

Cela s'avérera être une affirmation présomptueuse qui reviendra hanter le président et des milliers de familles américaines et irakiennes par la suite.

Ce semblant de victoire avait eu un coût limité pour la coalition. Au 1er mai, seuls 172 Américains avaient été tués, ainsi que 33 soldats britanniques et environ 24 combattants kurdes peshmergas.

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S'exprimant depuis le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln le 1er mai 2003, le président Bush déclare la victoire en Irak. (AFP)

S'exprimant depuis le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln le 1er mai 2003, le président Bush déclare la victoire en Irak. (AFP)

C'était à l’évidence une autre histoire pour les Irakiens, qu’ils portent ou non l'uniforme. Pas moins de 45 000 combattants ont été tués, ainsi que près de 7 200 civils.

Mais la guerre était loin d'être terminée et, du fait d’une suite d’erreurs tragiques, le nombre de morts allait augmenter.

La réalité douloureuse est vite apparue aux yeux des Américains: renverser Saddam avait été la partie la plus facile.

Peu de gens dans la région et au-delà ont pleuré la fin de l'ère de Saddam, qui avait gouverné les Irakiens avec une main de fer et avait persécuté sans relâche les Kurdes dans le nord de l'Irak pendant des années.

Son invasion de l'Iran en 1980 avait conduit à une guerre sanglante qui avait coûté la vie à au moins un demi-million d'Irakiens et autant, voire plus d'Iraniens, avant de se terminer dans une impasse huit ans plus tard. En 1990, il avait conduit toute la région au seuil de la catastrophe lorsqu'il avait envahi le Koweït pour s'emparer de ses champs pétrolifères.

Mais en raison du vide laissé en 2003 par la neutralisation du parti Baas au pouvoir du dictateur déchu, le limogeage de toute l'armée irakienne et l'absence de planification sérieuse des États-Unis pour l'après-guerre, l’Irak a rapidement sombré dans des années d'insurrection, de violence sectaire et de guerre civile, créant les conditions idéales pour l'émergence de Daech et une influence iranienne insidieuse et croissante dans la politique irakienne.

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Il a fallu une étude en deux volumes, étonnamment franche sur la conduite de la guerre, commandée par la haute direction de l'armée américaine en 2013 et finalement publiée en 2018, pour mettre noir sur blanc ce que les politiciens qui avaient déclenché le conflit ne pouvaient se résoudre à reconnaître.

Le coût humain et matériel du conflit avait été «sidérant». Mais, selon le rapport, ce sont les «conséquences géostratégiques» de la guerre qui avaient été «les plus graves». L'Irak ne constituait plus une menace, mais en revanche l'influence déstabilisatrice de l'Iran s'était rapidement étendue avec le conflit.

En fait, concluait l’étude, «un Iran enhardi et expansionniste semble être le seul vainqueur. L'Irak, contrepoids régional traditionnel de l'Iran, est au mieux affaibli et, au pire, des éléments clés de son gouvernement agissent comme des proxys des intérêts iraniens».

L'histoire des conséquences de l'invasion de l'Irak est celle d'une série d'erreurs et de faux pas d'une administration américaine qui supposait que les Irakiens accueilleraient la démocratie à bras ouverts, mais sans prendre en compte une population composée de différentes factions et qui, libérée des chaînes impitoyables qui l’avaient liée, cherchait maintenant à se venger et à prendre le pouvoir pour les décennies de répression qu'elles avaient endurées.

Avec le recul, le plan en quatre phases pour l'invasion de l'Irak qui avait été présenté au président Bush et au secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld par le commandant du Centcom, le général Tommy Franks, à Camp David le 28 décembre 2001, était dangereusement naïf.

Les trois premières phases n'étaient pas problématiques: il s’agissait de former une coalition de partenaires et de partisans volontaires, se lancer dans «des opérations de tromperie psychologique et militaire visant à encourager des segments de la société irakienne et de ses forces armées à ne pas résister» et enfin, envahir l'Irak, détruire toutes les forces qui ne s’étaient pas désagrégées et «décapiter le régime irakien».

Mais la quatrième phase, en l’occurrence les prétendues «opérations de stabilité suivant les combats», notamment la mise en place d’une période de transition avec un nouveau gouvernement irakien, était une autre affaire.

Comme l'a noté l'analyse lucide de la guerre de l'armée américaine, trop peu de réflexion a été accordée à cette phase cruciale. Et celle-ci s’est basée sur une série d'hypothèses erronées.

L'une des plus importantes était que «les soldats américains seraient accueillis comme des libérateurs, et que l'armée irakienne aiderait à assurer la sécurité sous un nouveau gouvernement irakien plus éclairé».

L’étude explique que les forces américaines, qui s'étaient concentrées «sur leurs objectifs immédiats de destruction de l'armée irakienne et de changement de régime forcé, n'étaient pas préparées pour la phase quatre plus compliquée».

Surpris par «des évaluations stratégiques trop optimistes selon lesquelles la population irakienne accueillerait la coalition et reprendrait rapidement ses activités normales», les commandants de la coalition ont été surpris d’être confrontés à «des troubles publics et des pillages généralisés», alors même qu'ils continuaient à lutter contre les poches restantes de résistance à Bagdad et à Anbar, et qu’une grande partie du nord du pays n'avait pas encore été sécurisée.

Au début, les prédictions d'un accueil chaleureux semblaient valables.

«Une fois qu'il était devenu clair que Saddam n'était plus au pouvoir, les citoyens irakiens ont commencé des célébrations sauvages dans les rues de Bagdad et d'autres zones libérées», lit-on dans l'analyse officielle de la campagne de l'armée américaine.

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Mais la fête s'est rapidement transformée en un sentiment différent. Les troupes de la coalition «n'étaient pas préparées à la dissolution totale de l'ordre public qui a suivi», et quelques jours après l'effondrement du régime, «Bagdad et d'autres régions de l'Irak ​​sombraient dans le chaos».

Les bureaux et les établissements publics du parti Baas et du gouvernement irakien, notamment les postes de police et les hôpitaux, ont été attaqués, pillés et, dans certains cas, incendiés. Des pillards ont fait main basse sur le Musée national de Bagdad, et des centaines d'objets inestimables ont été volés, dont beaucoup se retrouveront plus tard sur les marchés internationaux.

Ici et là, des émeutes ont commencé à éclater, ce qui, dans de nombreux cas, est apparu aux militaires comme des tentatives orchestrées pour provoquer les troupes de la coalition et mener à la violence.

Dans les dix jours suivant la chute de Bagdad le 9 avril, les chefs religieux de diverses confessions avaient commencé à se disputer des postes de pouvoir dans les villes du pays. La confusion dans l'Irak occupé, après l'invasion, a été marquée par la création précipitée du Bureau de la reconstruction et de l'aide humanitaire, mis en place rapidement par le ministère de la Défense pour soutenir la transition du contrôle militaire au contrôle civil.

Manquant de ressources et de personnel, cette structure a été placée sous le commandement du général à la retraite Jay Garner qui, selon les termes d'une évaluation de 2008 publiée par le Combat Studies Institute Press, «avait soixante-et-un jours pour établir une organisation, développer des plans inter-agences, les coordonner avec le Centcom et déployer son équipe sur place… un ensemble de tâches presque impossibles.

Impossibles, et, finalement, inutiles.

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Jay Garner: «J'ai simplement pensé qu'il était nécessaire que les Irakiens prennent rapidement leur destin en main.»

Jay Garner: «J'ai simplement pensé qu'il était nécessaire que les Irakiens prennent rapidement leur destin en main.»

Dans les trois semaines suivant son arrivée à Bagdad le 11 avril, deux jours seulement après le déboulonnement de la statue de Saddam sur la place Fidros, Garner a été limogé et l'Ohra (Le Bureau pour la reconstruction et l’assistance humanitaire) a été remplacé par l’Autorité transitoire de la coalition (CPA).

À la tête de la CPA se trouvait Paul Bremer, un ancien diplomate de carrière devenu homme d'affaires, qui, le 9 mai, a été rapidement nommé par Bush comme envoyé présidentiel en Irak. Il était sous «l'autorité, la direction et le contrôle» de Rumsfeld, tout en étant investi du pouvoir de gouverner par décret.

En quelques jours, il avait publié deux décrets radicaux qui se révéleraient catastrophiques.

Garner, son prédécesseur évincé, avait prévu de recruter jusqu'à 300 000 membres de l'armée irakienne pour aider à la reconstruction et au rétablissement de la loi et de l'ordre, et avait également l'intention de faire revenir des cadres baasistes de niveau intermédiaire pour faire fonctionner les rouages ​​​​du gouvernement.

Il avait également prévu des élections démocratiques pour rendre le contrôle du pays aux Irakiens dès que possible – un plan qui, comme il l'a dit plus tard, avait été approuvé par tout le monde, de Bush à la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice, Rumsfeld et le secrétaire adjoint américain à la Défense, Paul Wolfowitz.

«Mon intention était de mettre les Irakiens aux commandes dès que possible, et de le faire avec des élections», avait déclaré Garner à la BBC en mars 2004. «J'ai pensé qu'il était nécessaire de remettre rapidement les Irakiens en charge de leur destin, sous notre autorité, tout en les guidant et les aidant.»

Mais Bremer, arrivé à Bagdad le 12 mai, avait d'autres idées en tête.

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Paul Bremer, accompagné du commandant américain David Petraeus, passe devant une fresque murale détériorée de Saddam Hussein lors d'une visite à Mossoul le 18 mai 2003. (AFP)

Paul Bremer, accompagné du commandant américain David Petraeus, passe devant une fresque murale détériorée de Saddam Hussein lors d'une visite à Mossoul le 18 mai 2003. (AFP)

Sa première action, quatre jours plus tard, a été de publier l'ordre numéro un du CPA, ordonnant la «dé-baasification de la société irakienne». Tous les membres des «trois niveaux supérieurs de gestion» de chaque ministère ou institution du gouvernement national, y compris les universités et les hôpitaux, devaient être contrôlés, et s'il s'avérait qu'ils étaient affiliés au parti Baas, «démis de leurs fonctions et interdits de tout emploi futur dans le secteur public».

C'était ratisser large, sans tenir compte du fait que beaucoup de personnes n'avaient été membres du parti que parce que leur travail l'exigeait. Du jour au lendemain, la machinerie de la société irakienne a été privée de dizaines de milliers de rouages humains vitaux: des fonctionnaires, des bureaucrates, des médecins ou encore des enseignants.

Mais c'est l'ordre numéro deux de la CPA, soit la dissolution de l’armée irakienne, qui a suivi une semaine plus tard, qui a vraiment mis le feu aux poudres. Soudain, au lieu d'être engagés dans la reconstruction de leur pays, jusqu'à 300 000 hommes entraînés et armés se sont retrouvés sans emploi, en colère et dans la rue.

Plus tard, lorsqu'il est devenu évident que de nombreux soldats pleins d’amertume avaient rejoint l'insurrection qui avait rapidement éclaté, coûtant la vie à des dizaines de milliers d'Irakiens et à quelque 4 000 soldats américains, Bremer a affirmé qu'il n'avait fait que suivre les ordres.

Dans une tribune publiée dans le New York Times en septembre 2007, il est revenu sur ses actions en Irak. «C’est une idée reçue d’affirmer que la décision de démanteler l'armée de Saddam Hussein était une erreur, qu’elle était contraire à la planification américaine avant la guerre, et que j’ai pris la décision seul.

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En réalité, cette politique a été soigneusement examinée par les principaux membres civils et militaires du gouvernement américain. Et c'était la bonne décision à prendre.»

Les auteurs du bilan de la campagne de l'armée américaine, publié en 2019, ont largement remis en cause cette version. «Bien qu'il soit vrai que de nombreux sunnites irakiens éprouvaient un amer ressentiment après le retrait du régime du pouvoir, certains d’entre eux avaient espéré que la coalition finirait par reconnaître la valeur du maintien de la proéminence sunnite au sein du gouvernement irakien», expliquent-ils.

Les deux premiers ordres de Bremer avaient toutefois «anéanti cet optimisme et retourné la plupart des sunnites contre les forces d'occupation, apportant un soutien populaire aux anciens soldats irakiens privés de leurs droits, aux responsables du parti Baas et aux tribus sunnites ayant hâte de se débarrasser de la présence de la coalition».

Pire encore, la perception allait en grandissant que la CPA de Bremer tendait la main aux communautés et aux dirigeants chiites, tout en ne travaillant pas avec les tribus sunnites. Selon les termes du compte rendu en deux volumes de l'armée, «les dirigeants sunnites se considéraient comme les alliés naturels de la coalition, car ayant un ennemi commun – l'Iran – et en échange d'une décision (espérée) de la coalition de mettre le gouvernement irakien aux mains des sunnites, ces tribus avaient l'intention d'empêcher les Iraniens chiites d'entrer en Irak et de partager les revenus pétroliers avec les États-Unis et leurs partenaires de la coalition».

Lorsque les chefs tribaux sunnites ont réalisé que les États-Unis avaient l'intention d'accorder aux chiites une part majoritaire du gouvernement intérimaire irakien qui était proposé, «ils se sont rapidement retournés contre la coalition, et un grand nombre d’entre eux ont commencé à collaborer avec d'autres organisations sunnites de résistance et des terroristes pour expulser violemment la coalition des régions sunnites d'Irak.

Au cours des années à venir, Bremer et la CPA auront à répondre de nombreuses questions. «Au lieu de renverser le régime et d'instituer un gouvernement de transition comme prévu, la politique américaine de profonde ʺdébaasificationʺ et la décision de dissoudre l'ensemble de l'appareil sécuritaire irakien ont en réalité amené l'édifice de l'État irakien à s’effondrer, créant un vide au niveau national en matière de gouvernance et de sécurité dont il ne serait pas possible de se remettre avant six ou sept ans», poursuit l’étude.

«Conjugués à des efforts de reconstruction avortés et à des attentes populaires non satisfaites, ces facteurs sont devenus les principaux responsables de la descente progressive de l'Irak vers une insurrection totale et une guerre civile.»

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De sang et des larmes

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«L’Irak, détruit et occupé, suspendu entre État et absence d’État. Le prudent optimisme initial des Irakiens, à qui l’on avait promis la délivrance, la prospérité et la liberté avec l’éviction de Saddam, a été anéanti dès le premier attentat à la voiture piégée. La paix tant attendue n’arriverait donc pas et l’occupation avait laissé place à une situation bien plus désastreuse.»

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– Ghaith Abdul-Ahad, A Stranger in Your Own City, Hutchinson Heinemann, mars 2023

2003-2006
Insurrection et sectarisme

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7 août 2003: une bombe explose à l’ambassade de Jordanie à Bagdad, faisant dix-sept morts. C’est le début d’une série d’attentats qui cible la coalition ou des cibles chiites par Jama’at al-Tawhid wal-Jihad (TJT), une organisation fondée par le djihadiste salafiste d’origine jordanienne Abou Moussab al-Zarqawi.

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19 août 2003: un camion piégé devant le nouveau siège de l’ONU à Bagdad tue vingt-deux personnes, dont Sergio Vieira de Mello, représentant spécial de l’ONU en Irak. Le personnel de l’ONU se retire d’Irak.

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28 août 2003: un attentat-suicide coûte la vie à Mohammed Baqir al-Hakim, le principal politicien chiite d’Irak. Par ailleurs, plus de cent autres personnes sont tuées devant le sanctuaire chiite le plus sacré d’Irak, la mosquée de l’imam Ali, à Najaf.

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Octobre-novembre 2003: les insurgés frappent plusieurs cibles lors de l’offensive du ramadan, tuant cent dix-sept soldats américains à la fin du mois d’octobre – deux de plus que dans la guerre dont le président Bush déclare la fin le 1er mai.

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2 mars 2004: le bilan des morts est le plus lourd depuis le début de l’occupation, alors que l’organisation TJT attaque des fidèles chiites à Bagdad et Kerbala, tuant cent quarante personnes.

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31 mars 2004: des insurgés tuent quatre entrepreneurs privés américains à Falloujah, suspendant leurs corps brûlés et mutilés à un pont, ce qui déclenche la première bataille de Falloujah. Plus de vingt-sept Américains et des centaines d’Irakiens meurent, ce qui ne parvient pas à déloger les insurgés et déclenche de nombreuses attaques contre les forces de la coalition dans toute la région.

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Avril 2004: des photographies montrent la torture et l’humiliation que subissent des prisonniers irakiens à Abou Ghraib, une ancienne prison du régime gérée par l’armée américaine située à trente kilomètres à l’ouest de Bagdad. Ces révélations déclenchent une vague d’enlèvements et de meurtres d’étrangers par Al-Qaïda en Irak.

2006-2008
Guerre civile

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22 février 2006: le bombardement du sanctuaire d’Al-Askari, à Samarra, par Al-Qaïda en Irak déclenche une vague de violence contre les sunnites par des militants chiites. Des centaines de personnes sont tuées, des dizaines de mosquées endommagées, des religieux enlevés et assassinés. Les militants sunnites ripostent et l’Irak fait face à une guerre civile.

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7 juin 2006: Abou Moussab al-Zarqawi, fondateur de l’organisation TJT, devenue depuis 2004 Al-Qaïda en Irak, est tué dans une frappe aérienne américaine ciblée.

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9 juillet 2006: des miliciens de l’Armée du Mahdi tuent plus de quarante civils sunnites dans le quartier Hayy Al-Jihad, à Bagdad.

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23 novembre 2006: plus de deux cents personnes sont tuées et des dizaines blessées dans des attentats à la voiture piégée et au mortier contre la communauté chiite dans le quartier de Sadr City, à Bagdad.

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10 janvier 2007: Bush annonce la stratégie militaire appelée «The Surge», un déploiement de vingt-huit mille soldats américains supplémentaires en Irak pour apaiser les troubles.

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3 février 2007: un gros camion-suicide explose dans le marché en plein air de Sadriyah, à Bagdad. C’est le plus meurtrier des quatre attentats qui ont eu lieu en trois semaines dans des zones chiites.

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7 janvier 2008: deux kamikazes tuent quatorze personnes à Adhamiyah, à Bagdad, dont Riyad Samarrai, chef de l’un des groupes armés soutenus par les États-Unis qui combattent Al-Qaïda dans les zones sunnites.

2013-2017 Combattre Daech

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8 avril 2013: s’étendant en Syrie, le groupe djihadiste État islamique d’Irak change de nom pour devenir État islamique en Irak et au Levant (Daech).

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21 juillet 2013: Daech lance une campagne de douze mois pour combattre les forces de sécurité irakiennes et s’emparer de territoires.

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De janvier à août 2014: Daech prend Falloujah et Mossoul, envahit des parties d’Anbar et de Ramadi, s’empare de Sinjar et de Zoumar, force des milliers de Yézidis à fuir et s’empare des points de passage frontaliers entre la Syrie et l’Irak.

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D’août à septembre 2014: les États-Unis lancent une campagne contre Daech en Irak pour protéger les Yézidis et ils annoncent la formation d’une large coalition internationale pour vaincre le groupe.

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De mars à décembre 2015: l’Irak lance une offensive majeure contre Daech, reprenant Tikrit, Ramadi et la plus grande raffinerie de pétrole du pays, située à Baïji. Les forces kurdes reprennent Sinjar.

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26 juin 2016: les forces irakiennes, soutenues par les frappes aériennes des États-Unis et de la coalition, reprennent Falloujah.

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6 juillet 2016: l’attentat-suicide de Daech tue deux cent cinquante personnes à Bagdad.

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Du 16 octobre 2016 au 9 juillet 2017: lors d’une longue et sanglante bataille, les forces irakiennes chassent Daech de Mossoul.

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21 juin 2017: à l’occasion d’un dernier acte de résistance, les forces irakiennes, soutenues par les États-Unis, piègent des combattants de Daech dans leur bastion près de la grande mosquée Al-Nouri à Mossoul, où Abou Bakr al-Baghdadi a déclaré le califat islamique en juin 2014.

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9 décembre 2017: le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi proclame la victoire sur Daech.

2019-2021 Manifestations
et tensions

Des centaines de personnes sont tuées, des dizaines de milliers blessées et des milliers d’autres arrêtées alors que des milices soutenues par l’Iran aident le gouvernement à réprimer violemment une série de manifestations à grande échelle contre la corruption, la médiocrité des services publics et le système politique sectaire imposé par les Américains après 2003.

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31 décembre 2019: la milice chiite Kataeb Hezbollah, soutenue par l’Iran, attaque l’ambassade des États-Unis à Bagdad en réponse aux frappes aériennes américaines sur les bases du groupe terroriste en Irak et en Syrie.

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3 janvier 2020: Qassem Soleimani, commandant de la force iranienne d’opérations spéciales Al-Qods, est tué lors d’une frappe de drones américains alors que son convoi quitte l’aéroport de Bagdad, s’apprêtant à conduire le général iranien à une réunion avec le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi. Abou Mehdi al-Mouhandis, commandant des Forces de mobilisation populaire – un ensemble de groupes armés soutenus par le gouvernement irakien dans la lutte contre Daech – est tué avec lui.

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De mars à septembre 2020: les incidents terroristes se poursuivent à l’échelle de l’Irak, causant plus de trente morts. Le 11 mars, une attaque contre Camp Taji tue deux soldats américains et un autre britannique, provoquant des raids aériens américains contre les sites de Kataeb Hezbollah à Kerbala, dans le centre de l’Irak. Le gouvernement irakien condamne les raids américains.

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Neta Crawford

Neta Crawford

"L’Iran est l’unique vainqueur"

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Le général Raymond Odierno, ancien commandant des forces américaines en Irak, a dressé un bilan sans concession du conflit et de ses conséquences. (AFP)

Le général Raymond Odierno, ancien commandant des forces américaines en Irak, a dressé un bilan sans concession du conflit et de ses conséquences. (AFP)

En 2013, le général Raymond Odierno, qui a dirigé les forces américaines en Irak de 2008 à 2010, exige un examen approfondi de la conduite de la guerre en Irak.

De telles évaluations, conçues pour cerner les leçons à tirer, sont une pratique courante au sein de l’armée américaine.

Cependant, le rapport de 1 364 pages L’Armée américaine dans la guerre en Irak met en lumière une évaluation réaliste et étonnamment franche, concluant qu’«un Iran enhardi et expansionniste semble être le seul gagnant» d’une mésaventure conçue et exécutée de manière imprudente. La situation s’est retournée contre les intérêts de l’Irak, des États-Unis et de leurs alliés dans la région.

Les nombreux chercheurs, auteurs et éditeurs du rapport, issus principalement de l’Institut d’études stratégiques de l’armée et de l'US Army War College, ont dû exécuter une tâche longue et complexe, menant des milliers d’heures d’entretiens et analysant minutieusement des dizaines de milliers de pages de documents, dont beaucoup demeurent confidentiels.

Ce n’est qu’en 2018 que le Bureau de la défense de la prépublication et de l’évaluation de sécurité a enfin autorisé la publication du rapport en deux volumes dont les conclusions sont controversées.

Comme le note le résumé analytique du premier volume, le général Odierno «avait mis les auteurs au défi d’aborder avec maturité des sujets auparavant considérés comme tabous». En conséquence, ils n’y sont pas allés de main morte.

S’écartant des paramètres étroitement définis des études précédentes, qui avaient traditionnellement limité leurs commentaires sur les questions militaires, les auteurs ont franchi la ligne du territoire politique, ce qui a conduit à «des évaluations adoptant parfois un ton critique que certains lecteurs trouvent inhabituel pour une étude de l’armée».

En bref, ils ont conclu que, en débarrassant la région d’une menace perçue, l’occupation américaine mal planifiée et mal exécutée après l’invasion de l’Irak en avait simplement renforcé une autre.

L’Irak, le contrepoids régional traditionnel de l’Iran, avait été «au mieux, affaibli. Au pire, des éléments clés de son gouvernement agiraient comme mandataires des intérêts iraniens».

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Le 1er janvier 2022, des membres des forces de mobilisation populaire soutenues par le gouvernement irakien descendent dans les rues de Bagdad pour rendre hommage à Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis, tués lors d'une attaque de drone américain en 2020. (AFP)

Le 1er janvier 2022, des membres des forces de mobilisation populaire soutenues par le gouvernement irakien descendent dans les rues de Bagdad pour rendre hommage à Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis, tués lors d'une attaque de drone américain en 2020. (AFP)

Par ailleurs, «L’influence déstabilisatrice de l’Iran s’est rapidement étendue au Yémen [...] et à la Syrie, ainsi qu’à d’autres endroits.»

L’ampleur avec laquelle l’Iran s’était infiltré dans la politique irakienne depuis l’invasion américaine en 2003 éclate au grand jour vers 1 h du matin, le 3 janvier 2020, lorsqu’un convoi formé de deux véhicules quittant l’aéroport international de Bagdad est touché par une salve de missiles Hellfire lancés par un drone américain.

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L'épave en flammes du véhicule dans lequel Qassem Soleimani a trouvé la mort lors d'une attaque de drone américain à Bagdad, le 3 janvier 2020.

L'épave en flammes du véhicule dans lequel Qassem Soleimani a trouvé la mort lors d'une attaque de drone américain à Bagdad, le 3 janvier 2020.

Dix hommes sont morts, mais la cible principale de l’attaque était Qassem Soleimani, le commandant de la force Al-Qods, la branche des opérations spéciales du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) d’Iran. L’homme était responsable du recrutement, de la formation et du financement des multiples milices pro-iraniennes qui avaient vu le jour en Irak après l’invasion de 2003, ainsi que de la direction des politiques des partis qui en étaient issus.

L’assassinat de Soleimani et les événements qui y ont conduit ont mis en évidence l’impunité en vertu de laquelle les agents iraniens et leurs mandataires mènent leurs activités en Irak depuis 2003.

Le gouvernement américain a été piqué au vif par une série d’événements qui ont commencé le 27 décembre 2019, lorsqu'un entrepreneur civil américain a été tué dans une attaque à la roquette contre une base militaire irakienne à Kirkouk par des mandataires iraniens, les Kataeb Hezbollah.

Deux jours plus tard, en représailles, des avions américains ont bombardé plusieurs bases des Kataeb Hezbollah en Irak et en Syrie, tuant vingt-cinq militants. Les frappes aériennes ont à leur tour déclenché des manifestations à Bagdad où, le soir du Nouvel An, une foule nombreuse, composée principalement de membres des Kataeb Hezbollah, a tenté de prendre d’assaut l’ambassade des États-Unis.

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Les conséquences d'une frappe aérienne américaine sur une base des Kataeb Hezbollah, dans la province irakienne de Babylone, en mars 2020. (AFP)

Les conséquences d'une frappe aérienne américaine sur une base des Kataeb Hezbollah, dans la province irakienne de Babylone, en mars 2020. (AFP)

Selon les services de renseignement américains, Soleimani était à l’origine des événements de la semaine précédente et se trouvait maintenant à Bagdad pour orchestrer davantage de chaos, mettant la vie des Américains en danger.

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Des membres des Forces de mobilisation populaire irakiennes, entraînées et armées par l'Iran, attaquent l'ambassade américaine à Bagdad le 31 décembre 2019, pour exprimer leur colère après des frappes aériennes qui ont tué des combattants pro-iraniens. (AFP)

Des membres des Forces de mobilisation populaire irakiennes, entraînées et armées par l'Iran, attaquent l'ambassade américaine à Bagdad le 31 décembre 2019, pour exprimer leur colère après des frappes aériennes qui ont tué des combattants pro-iraniens. (AFP)

Soleimani avait déjà été dans le collimateur des Américains. En janvier 2007, les forces spéciales américaines ont suivi un convoi dans lequel il voyageait alors qu’il traversait la frontière iranienne vers la ville kurde d’Erbil, dans le nord de l’Irak.

Il avait été épargné ce jour-là. Mais le général Stanley McChrystal, qui était à l’époque en charge du Commandement des opérations spéciales conjointes de l’armée américaine, a écrit plus tard qu’il y avait «de bonnes raisons d’éliminer Soleimani» en cette nuit de janvier 2007. «À l’époque, des explosifs de fabrication iranienne, dissimulés au bord des routes sous son commandement, avaient coûté la vie à des soldats américains à travers l’Irak.»

Mais en 2019, un Soleimani de plus en plus enhardi était allé trop loin…

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Abou Mehdi al-Mouhandis, le fondateur des Kataeb Hezbollah, est tué aux côtés de Qassem Soleimani le 3 janvier 2020. (AFP)

Abou Mehdi al-Mouhandis, le fondateur des Kataeb Hezbollah, est tué aux côtés de Qassem Soleimani le 3 janvier 2020. (AFP)

À l’aéroport, son entourage et lui ont été accueillis par Abou Mahdi al-Mouhandis, le fondateur des Kataeb Hezbollah et chef adjoint des Forces de mobilisation populaire irakiennes. Désigné terroriste par les États-Unis et d’autres États, il avait été photographié sur les lieux du siège de l’ambassade américaine le soir du Nouvel An, avec d’autres chefs de milices soutenus par l’Iran.

Al-Mouhandis serait également tué dans l’attaque par drone et, en février 2020, les États-Unis ont également désigné son successeur, Ahmad al-Hamidawi, comme terroriste.

Les Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) ont été formées par le gouvernement irakien en 2014 en tant qu’organisation faîtière rassemblant un ensemble diversifié de dizaines de milices dans le but commun de combattre Daech. Cependant, beaucoup d’entre elles, y compris les Kataeb Hezbollah, avaient été fondées et financées par l’Iran. Elles exécutaient donc les ordres de Téhéran et non du gouvernement de Bagdad.

Aux Américains et aux Irakiens inquiets que leur pays devienne une antenne iranienne, le fait que Soleimani ait pu se rendre ouvertement à Bagdad et conduire dans les rues de la capitale pour assister à une réunion prévue avec le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mahdi – un exilé de l’ère de Saddam Hussein entretenant des liens étroits avec l’Iran – semble souligner l’échec des tentatives de réinventer l’Irak en tant que pays indépendant et démocratique à la suite de l’invasion de 2003.

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Le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi en août 2019. Très lié à l'Iran, il devait rencontrer Qassem Soleimani la nuit où le commandant de la force Al-Qods a été tué à Bagdad. (AFP)

Le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi en août 2019. Très lié à l'Iran, il devait rencontrer Qassem Soleimani la nuit où le commandant de la force Al-Qods a été tué à Bagdad. (AFP)

Depuis la révolution de 1979, l’Iran commence à soutenir les milices chiites irakiennes opposées à Saddam. Beaucoup d’entre elles disposent désormais de bras politiques et, selon une analyse du Wilson Center en 2020, «en 2017, l’Irak comptait au moins dix partis liés à l’Iran».

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Hadi al-Amiri, chef de l'organisation pro-iranienne Badr, lors d'un rassemblement à Bassorah, le 21 avril 2018. (AFP)

Hadi al-Amiri, chef de l'organisation pro-iranienne Badr, lors d'un rassemblement à Bassorah, le 21 avril 2018. (AFP)

En 2018, avant les élections législatives irakiennes, huit groupes pro-iraniens ont fusionné pour former l’Alliance du Fatah, dirigée par Hadi al-Amiri, secrétaire général de l’organisation Badr, «le plus ancien mandataire de l’Iran en Irak, formé par des exilés en Iran et initialement financé, formé, équipé et dirigé par le CGRI».

Parmi les autres membres fondateurs de l’Alliance Fatah – tous affiliés à l’Iran –, on compte les Kataeb Hezbollah, Asaïb Ahl al-Haq et les Kataeb de l’imam Ali.

En mars 2018, deux mois avant les élections en Irak, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, déclare que les États-Unis disposaient «de preuves inquiétantes que l’Iran tente d’influencer, au moyen de l’argent, les élections irakiennes».

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Un homme à Bagdad lit des informations sur la nouvelle Constitution irakienne en juillet 2005. En théorie, elle interdit l'implication d'organisations étrangères dans la politique irakienne. (AFP)

Un homme à Bagdad lit des informations sur la nouvelle Constitution irakienne en juillet 2005. En théorie, elle interdit l'implication d'organisations étrangères dans la politique irakienne. (AFP)

L’implication dans la politique irakienne des milices iraniennes par procuration et de leurs bras politiques rend absurde une grande partie de la Constitution irakienne, adoptée en 2005. L’article 7, par exemple, stipule que «toute entité ou tout programme qui adopte, incite, facilite, glorifie, promeut ou justifie le racisme ou le terrorisme […] est interdit» et «ne peut faire partie du pluralisme politique en Irak».

L’article 9 interdit expressément «la formation de milices militaires en dehors du cadre des forces armées». Pourtant, non seulement l’Irak était inondé de milices soutenues par l’Iran, mais il semblerait même qu’elles aient rejoint les forces gouvernementales dans les rues pour réprimer les manifestations de 2019, tuant des dizaines de manifestants dans le processus.

Dans un article exclusif sur les milices iraniennes en Irak publié par l’Unité de recherches et d’études d’Arab News en janvier, le Dr Azeem Ibrahim, professeur à l’Institut d'études stratégiques de l’US Army War College et directeur du Newlines Institute for Strategy and Policy à Washington, D.C., écrit que les efforts internationaux pour reconstruire l’Irak avaient été «fatalement sapés par deux facteurs».

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Des miliciens irakiens de la Brigade de la paix du religieux chiite Moqtada al-Sadr lors de combats avec les forces de Daech dans la province de Salah al-Din en août 2014. (AFP)

Des miliciens irakiens de la Brigade de la paix du religieux chiite Moqtada al-Sadr lors de combats avec les forces de Daech dans la province de Salah al-Din en août 2014. (AFP)

Le premier est la campagne terroriste sunnite d’Al-Qaïda en Irak, qui a donné par la suite naissance à Daech. Le second est «le terrorisme chiite et la violence des milices, en majorité coordonnés et dirigés par le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran [CGRI]».

Certaines milices «opéraient sous le contrôle direct du Premier ministre irakien de l’époque, Nouri al-Maliki. Elles portaient le nom passe-partout de “groupes spéciaux”».

«Sous prétexte de mobiliser les citoyens pour défendre l’Irak, l’État a autorisé la montée en puissance de milices populaires dont beaucoup étaient coordonnées par des groupes de façade préexistants du CGRI et des milices sectaires» qui ont également combattu au Yémen et en Syrie.

«Au fur et à mesure que la guerre contre Daech progressait, l’influence du CGRI et de l’État iranien sur l’Irak est devenue indéniable», ajoute M. Ibrahim.

Soleimani «a occupé un rôle important et médiatisé sur le champ de bataille. Il avait des réunions régulières non seulement avec des personnalités militaires irakiennes – dont beaucoup appartenaient aux milices dirigées par le CGRI –, mais aussi avec le président et les Premiers ministres irakiens».

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Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki en décembre 2009. Ancien exilé en Iran, il est rentré en Irak après la chute de Saddam Hussein en 2003. (AFP)

Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki en décembre 2009. Ancien exilé en Iran, il est rentré en Irak après la chute de Saddam Hussein en 2003. (AFP)

Pendant ce temps, l’organisation Badr, le plus ancien mandataire de l’Iran en Irak, «a pris le contrôle du ministère de l’Intérieur irakien, et les milices affiliées aux Unités de mobilisation populaire [Hachd al-Chaabi] se sont retranchées au cœur du gouvernement irakien et de l’économie».

Les milices chiites, déclare M. Ibrahim, «ont pris le contrôle de l’État irakien et leur domination est de mauvais augure pour l’avenir de l’Irak et du peuple irakien, condamné à vivre dans un État dominé par les milices  gouverné par la corruption et plongé dans la loi du silence».

Il ajoute: «Leur économie et leurs impôts soutiennent les milices. Le monde prend conscience des crimes commis par le CGRI, de la terreur qu’il inspire et de la violence de la République islamique. L’Irak souffre depuis une décennie et demie des mêmes pressions. Non seulement ses problèmes ne sont pas résolus, mais, trop souvent, ils passent également inaperçus ailleurs dans le monde.»

Rien ne brosse plus clairement le tableau de l’influence iranienne que les résultats des élections législatives irakiennes d’octobre 2021 – les cinquièmes depuis 2003.

Les élections, prévues pour 2022, ont eu lieu de manière anticipée en réponse aux protestations généralisées qui ont éclaté en octobre 2019, pour manifester contre tout: sectarisme, influence iranienne dans la politique irakienne, chômage et services publics médiocres.

Après l’assassinat de Soleimani, les banderoles qui proclamaient auparavant «L’Iran, dehors!» ont été remplacées par un nouveau slogan: «Non à l’Iran, non aux États-Unis».

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4 janvier 2020: Des hommes en deuil portent les cercueils du chef paramilitaire irakien Abou Mehdi al-Mouhandis et du commandant militaire iranien Qassem Soleimani dans le sanctuaire de l'imam Hussein dans la ville sainte irakienne de Karbala. (AFP)

4 janvier 2020: Des hommes en deuil portent les cercueils du chef paramilitaire irakien Abou Mehdi al-Mouhandis et du commandant militaire iranien Qassem Soleimani dans le sanctuaire de l'imam Hussein dans la ville sainte irakienne de Karbala. (AFP)

Des manifestants dans plusieurs villes, dont Bassorah et Nassiriyah, ont perturbé les processions organisées pour pleurer la mort de Soleimani et d’Al-Mouhandis. Par ailleurs, à Nassiriyah, le siège local de la coalition des Hachd al-Chaabi, largement considérée comme une marionnette de l’Iran, a été incendié.

Toutefois, l’influence de l’Iran est restée intacte. Sur les trois cent vingt-neuf sièges du Parlement irakien, au moins cent appartiennent à des partis affiliés à Téhéran ou qui entretiennent des liens avec la capitale iranienne. Ces sièges sont répartis entre trois des plus grands blocs parlementaires – l’Alliance Fatah, la Coalition de l’État de droit et le Parti démocratique du Kurdistan.

À la suite d’une rupture entre le Mouvement sadriste, qui a remporté la plupart des sièges (soixante-treize) en 2021, et les partis affiliés à l’Iran, le premier s’est retiré du gouvernement en juin 2022 et la majorité de ses sièges (douze) sont allés au Fatah, qui représente les groupes de milices pro-Iran, tandis que l’État de droit en a obtenu cinq.

Ghaith Abdel-Ahad, journaliste d’origine irakienne souvent récompensé, a couvert l’invasion de 2003 et ses conséquences pour The Guardian et The Washington Post. Il considère qu’il y a une continuité entre les événements d’il y a vingt ans et l’état délicat dans lequel l’Irak se trouve aujourd’hui.

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Le journaliste et auteur irakien Ghaith Abdel-Ahad, à droite, s'adressant au Conseil de sécurité de l'ONU à New York le 17 juillet 2013. (AFP)

Le journaliste et auteur irakien Ghaith Abdel-Ahad, à droite, s'adressant au Conseil de sécurité de l'ONU à New York le 17 juillet 2013. (AFP)

Il confie à Arab News: «Je pense que les Américains sont entrés en guerre en Irak parce qu’ils le pouvaient – après le 11-Septembre, les Américains se comportaient comme un taureau blessé.

«Cela faisait un moment déjà que Saddam irritait les Américains. Il était détesté par tous ses voisins de la région.»

«Mais les États-Unis n’ont pas évalué les conséquences de cette guerre ni la manière dont ses bouleversements affecteraient la région.»

«Ils pensaient probablement que tous les Irakiens seraient en faveur d’une occupation américaine, étant donné que Saddam étant un dictateur extrêmement brutal. Ils croyaient que nous la célébrerions tous.»

«Ils n’avaient pas pris conscience du fait que, même s’il est possible que les gens se réjouissent d’être débarrassés de Saddam dans les premières semaines, quand ils vont constater qu’il n’y a pas d’écoles, pas d’hôpitaux, pas d’infrastructures, que le pays est loin de se transformer en Suisse sous les Américains, ils vont être frustrés et retourner leur colère contre les Américains.»

Ghaith Abdul-Ahad

“Donc, je ne dirais pas que c'était une erreur. Mais c'était une sorte de négligence criminelle de la part des Américains de faire irruption en Irak, de renverser le régime et de s'attendre à ce que la démocratie émerge le lendemain.”

Pire, le nouveau système politique qui a été imposé à l'Irak "a été construit sur un système de maisons sectaires et ethniques, avec l'attribution d'institutions étatiques basées sur l'identité sectaire des gens" et "qui a créé une division dans le pays - une division qui n'existait pas avant."

Le résultat a été "un régime kleptocratique dans lequel les politiciens, les hommes d'affaires et les commandants des milices ont une domination totale sur l'économie irakienne. C'est pourquoi 20 ans plus tard, l'Irak, avec une moyenne de 100 milliards de dollars de pétrole par an, est toujours au plus bas de chaque tableau de développement.

« Où va l'argent ? Il est détourné par des politiciens, des hommes d'affaires et des commandants de milice.

Il y a eu, dit-il, un moment d'espoir en 2019, quand "la jeune génération qui a grandi après 2003 est arrivée à maturité, et il y a eu des manifestations dans la rue et le cri de ralliement était 'Nous voulons une patrie'.

"Ils n'ont pas réussi à changer la scène politique. Mais ce fut une étincelle, montrant au peuple qu'il y a une voie à suivre, qu'il y a une autre identité pour l'Irak qui n'est pas sectaire. , ni ethnique, ni tribal. Et c'est là l'espoir pour l'avenir de l'Irak.

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Credits

Auteur: Jonathan Gornall
Éditrice version française: Zeina Zbibo
Recherche: Anan Tello, Gabriele Malvisi, Nadia Al-Faour
Directeurs créatifs: Omar Nashashibi
Designer: Douglas Okasaki
Producteur vidéo: Hasenin Fadhel
Éditor vidéo: Ali Salman
Recherche d'images: Sheila Mayo
Traduction: Arab News en franҫais
Éditeur version anglaise: Tarek Ali Ahmad
Éditrices version japonaise: Diana Farah, Akiko Iwata
Réseaux sociaux: Gabriele Malvisi, Jad Bitar
Producteur: Arkan Aladnani
Rédacteur en chef: Faisal J. Abbas

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