Au 49e anniversaire du début de la guerre civile, le Liban semble si fragile

Dans un contexte d’instabilité, de guerre et d’escalade des affrontements directs et indirects au Moyen-Orient, le 49e anniversaire du déclenchement de la guerre civile au Liban est passé inaperçu. (AFP)
Dans un contexte d’instabilité, de guerre et d’escalade des affrontements directs et indirects au Moyen-Orient, le 49e anniversaire du déclenchement de la guerre civile au Liban est passé inaperçu. (AFP)
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Publié le Vendredi 19 avril 2024

Au 49e anniversaire du début de la guerre civile, le Liban semble si fragile

Au 49e anniversaire du début de la guerre civile, le Liban semble si fragile
  • Le Liban est sans président depuis un an et demi
  • Son gouvernement intérimaire est pratiquement inactif, car il n’a ni la volonté, ni les fonds, ni même le mandat constitutionnel nécessaire pour adopter des mesures réformistes

Dans un contexte d’instabilité, de guerre et d’escalade des affrontements directs et indirects au Moyen-Orient, le 49e anniversaire du déclenchement de la guerre civile au Liban est passé inaperçu samedi. Par ailleurs, la précarité permanente du pays le met à la merci de tous les vents et tempêtes, qu'ils soufflent à l'intérieur du pays ou qu'ils soient liés à la crise palestinienne, à la crise syrienne ou à toute autre crise liée à l'agenda du prétendu axe de la résistance formé et contrôlé par l'Iran.

Deux meurtres, commis la semaine dernière, pourraient résumer cette précarité, ironiquement quelques jours seulement avant l’anniversaire du début de la guerre civile sanglante au Liban – le 13 avril 1975 – que tous les Libanais souhaiteraient oublier. Ces événements montrent que le Liban, en tant qu’État, continue d’être au bord du gouffre. Nombre de ses habitants, ainsi que les puissances régionales et la communauté internationale, se sont depuis longtemps résignés à accepter son statut: celui d’une nation souvent sur le point de sombrer dans la faillite.

Mais personne ne devrait ignorer ce petit pays perpétuellement chancelant, car son effondrement total entraînerait sans doute des répercussions sur ses voisins immédiats, ainsi que sur de nombreux autres pays – notamment des rives européennes de la Méditerranée – si des masses de Syriens, de Palestiniens et de Libanais dépossédés décidaient de prendre les choses en main et de quitter le territoire à la recherche d’une vie meilleure. Ils pourraient même être incités à le faire par des acteurs malveillants, avec des vagues migratoires militarisées, comme on le voit ailleurs dans le monde, en vue de faire pression sur les nations occidentales.

«L’effondrement total du Liban entraînerait sans doute des répercussions sur ses voisins immédiats, ainsi que sur de nombreux autres pays.»

- Mohamed Chebaro

Un jour avant l’anniversaire, des milliers de Libanais se sont rassemblés dans un quartier chrétien du nord pour pleurer un responsable politique chrétien assassiné plus tôt dans la semaine. Les autorités ont déclaré qu’il avait été tué par un gang syrien lors d’une tentative de vol de voiture, mais nombreux sont ceux qui n’étaient pas convaincus par cette version officielle des événements. Bien que le chef du Hezbollah ait nié l’implication de son parti dans l’assassinat, les Forces libanaises (FL) – le parti auquel appartenait le leader chrétien assassiné – ont considéré sa mort comme un «assassinat politique jusqu’à preuve du contraire». Il impute sa mort à l’échec de l’État libanais et aux «armes illégales», une allusion voilée au Hezbollah.

Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, est le seul parti au Liban qui a conservé son arsenal d’armes depuis la fin de la guerre civile de 1975-1990 et la mise en œuvre de l’accord de Taëf négocié par l’Arabie saoudite. Grâce à des manœuvres politiques et violentes soutenues par la Syrie et l’Iran, le Hezbollah est progressivement devenu le parti qui exerce la plus grande influence sur la vie politique, sociale et économique du pays. Et depuis le début de la guerre israélienne contre Gaza le 7 octobre, le Hezbollah a échangé presque quotidiennement des tirs transfrontaliers avec les forces israéliennes – actions auxquelles s’oppose la majorité des Libanais, en particulier le FL.

La semaine dernière également, un Libanais faisant l’objet de sanctions américaines pour avoir prétendument transféré de l’argent au Hamas via l’Iran a été tué aux portes de la capitale, Beyrouth. L’homme assassiné, Mohammed Srour, servait d’intermédiaire entre la force Al-Qods et le Hamas. Il avait travaillé avec des agents du Hezbollah pour garantir que les fonds soient fournis à la branche armée du Hamas, selon le département du Trésor américain. Des sources de sécurité libanaises ont déclaré que M. Srour avait été abattu de cinq balles et qu’une somme d’argent non divulguée avait été trouvée en sa possession, sachant que les tueurs n’y ont pas touché.

Ces deux événements, bien que de nature différente, sont des assassinats en plein jour et ils sont loin d’être l’œuvre de petits délinquants, qu’ils soient originaires de Syrie ou d’ailleurs. Ils mettent en lumière la complexité du paysage sécuritaire au Liban et ils pourraient faire basculer le pays vers de nouveaux conflits communautaires.

«Les adversités sous-jacentes pourraient s’abattre sur la nation si aucune solution n’est mise en place au plus tôt.»

- Mohamed Chebaro

Il faut veiller à ce que la situation ne se détériore pas davantage dans le pays, à supposer que ce soit encore possible. Le Liban est sans président depuis un an et demi. Son gouvernement intérimaire est pratiquement inactif, car il n’a ni la volonté, ni les fonds, ni même le mandat constitutionnel nécessaire pour adopter des mesures réformistes, considérées comme essentielles pour bénéficier de l’aide du Fonds monétaire international (FMI), alors que son élite politique discréditée ne parvient pas à mener le travail nécessaire pour sauver l’avenir du pays.

Depuis octobre 2019, le système bancaire libanais est marginalisé après avoir utilisé les dépôts de la population pour son financement quotidien. Le contrôle des capitaux a été appliqué aux déposants pour empêcher les institutions bancaires de faire faillite. La monnaie nationale, quant à elle, a perdu près de 90% de sa valeur.

L’une des plus grandes explosions au monde a frappé le port de Beyrouth en 2020 et les coupables sont toujours en liberté, au sein d’un système judiciaire divisé et politisé qui était autrefois indépendant. Alors que 80% des Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon les chiffres de la Banque mondiale, les services du pays sont sur le point de céder sous la pression de près d’un million de réfugiés syriens enregistrés et de plus d’un demi-million de réfugiés palestiniens.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, ceux qui visitent le Liban remarquent le grand vide sur les plans politique et sécuritaire alors que, dans une large mesure, la sécurité intérieure du pays jouit d’une étrange stabilité difficile à comprendre. Les incidents de la semaine dernière étaient très probablement politiques et ils demeurent une anomalie. Mais les adversités sous-jacentes pourraient s’abattre sur la nation si aucune solution n’est mise en place au plus tôt.

Près de cinquante ans après le début de la guerre civile, la coexistence communautaire au Liban reste fragile et elle pourrait faire l’objet d’investissements malveillants. Auparavant, c’était la présence palestinienne qui irritait des pans entiers de la société libanaise; aujourd’hui, c’est la présence des Syriens, réfugiés ou non. Qui sait, demain, un groupe extrémiste pourrait attiser la discorde qui existe entre les communautés désespérées du Liban.

Depuis le début de la guerre à Gaza, il y a six mois, les Libanais se demandent si ce conflit voisin va engloutir le sud du pays. La crainte demeure que les divisions libanaises puissent également mettre en péril la paix et la stabilité déjà fragiles du pays, comme ce fut le cas la semaine dernière.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com