"Last words", ou quand Jonathan Nossiter imaginait la pandémie avant le coronavirus

Le réalisateur Jonathan Nossiter lors du photocall de son film « Last Words » présenté au 46e festival du film américain de Deauville, le 6 septembre (Loic Venance/AFP)
Le réalisateur Jonathan Nossiter lors du photocall de son film « Last Words » présenté au 46e festival du film américain de Deauville, le 6 septembre (Loic Venance/AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 16 octobre 2020

"Last words", ou quand Jonathan Nossiter imaginait la pandémie avant le coronavirus

  • "Last Words", imaginé et tourné avant la pandémie de coronavirus, plonge le spectateur en 2085, dans un monde décimé par une épidémie qui n'est plus qu'un immense désert
  • Le héros, un jeune homme noir qui ne connaît pas son prénom, tombe sur des pellicules de la Cinémathèque de Bologne dans les éboulis de Paris

PARIS : Toute ressemblance avec une situation réelle serait fortuite : dans "Last Words", en salles mercredi, le réalisateur américain Jonathan Nossiter a imaginé la fin de l'humanité décimée par un virus... qu'il présente comme un hymne "joyeux" à la vie.

Interprété notamment par Charlotte Rampling et Nick Nolte, "Last Words", imaginé et tourné avant la pandémie de coronavirus, plonge le spectateur en 2085, dans un monde de champs de ruines dispersés sur une terre qui n'est plus qu'un immense désert.

Le héros, un jeune homme noir qui ne connaît pas son prénom, tombe sur des pellicules de la Cinémathèque de Bologne dans les éboulis de Paris. Il décide de partir pour la ville italienne, pour comprendre l'origine de ces morceaux de celluloïd qui l'intriguent.

Sur son chemin, un panneau rouillé indique "quarantaine épidémique virale". Pourtant, Jonathan Nossiter, qui s'était fait connaître en 2004 avec le documentaire "Mondovino", sur la mondialisation du vin, a commencé à écrire ce scénario en 2014, avant de tourner en 2018 et 2019.

Cette "fiction est peut-être un documentaire d'anticipation. J'espère que non", a-t-il déclaré, au festival de Deauville début septembre.

Dans le film, l'espoir renait quand un vieil homme fait découvrir, sur un projecteur à pédales, le cinéma au héros, aussi ébahi que ses ancêtres du XIXe siècle. Ensemble, ils partent pour Athènes, où ils trouvent quelques centaines de survivants qui ont oublié ce qu'étaient les rapports entre humains. 

Au fil des séances, chacun redécouvre la tendresse, le contact avec l'autre comme avec la terre, le rire, le sexe, et avec le premier poisson aperçu depuis des décennies, le "plaisir de manger autre chose que des canettes" de poudre. "Une poignée de main peut devenir un moment d'énorme complicité, de sensualité et même d'érotisme", commente Jonathan Nossiter.

Le film, faisant partie de la Sélection officielle Cannes 2020, se veut à mille lieues "de l’ingénierie de la peur d'Hollywood qui massacre" le spectateur, relève Nossiter. "C'est un appel à l'amour, un film joyeux, une joie un peu terrible (étant donné ndlr) le réchauffement climatique, l'état des choses catastrophiques, déjà en 2020. Si on ne le voit pas, c'est comme être en septembre 1939 et penser qu'Hitler n'était pas dangereux", a-t-il expliqué à l'AFP.

A 58 ans, le cinéaste a quant à lui changé de vie : il est désormais devenu maraîcher, en Italie. Et plaide, au cinéma comme dans l'assiette, pour "une résistance joyeuse" à l'intoxication du monde.

 


«  Megalopolis »: Coppola débarque à Cannes avec son film de tous les superlatifs

45 ans après sa Palme d'or pour "Apocalypse Now", Francis Ford Coppola brigue un troisième trophée avec "Megalopolis", film hors normes au parfum testamentaire dans lequel il a englouti une partie de sa fortune. (AFP).
45 ans après sa Palme d'or pour "Apocalypse Now", Francis Ford Coppola brigue un troisième trophée avec "Megalopolis", film hors normes au parfum testamentaire dans lequel il a englouti une partie de sa fortune. (AFP).
Short Url
  • D'un budget de 120 millions de dollars, ce film sur la destruction d'une ville évoquant New York couve dans son esprit depuis plus de quarante ans.
  • Coppola avait abandonné le projet suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, avant de le reprendre

CANNES: C'est le film le plus attendu du Festival de Cannes: 45 ans après sa Palme d'or pour "Apocalypse Now", Francis Ford Coppola brigue un troisième trophée avec "Megalopolis", film hors normes au parfum testamentaire dans lequel il a englouti une partie de sa fortune.

D'un budget de 120 millions de dollars, ce film sur la destruction d'une ville évoquant New York couve dans son esprit depuis plus de quarante ans. Coppola avait abandonné le projet suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, avant de le reprendre.

"Quand s'éteint un empire? S'effondre-t-il en un moment terrible?", interroge la voix off de la bande-annonce.

Présenté comme un film de science-fiction de 02H18, projeté sur écran IMAX, "Megalopolis" tourne autour de la destruction d'une mégalopole et sa reconstruction qui se joue entre un architecte (Adam Driver) et le maire de la ville (Giancarlo Esposito).

C'est un film sur "un homme qui a une vision du futur" et parle du "conflit" entre cette vision et les "traditions du passé", confiait Coppola en 2019, au Festival Lumière où il avait été distingué. "Je dirais que c'est mon film le plus ambitieux, même plus ambitieux qu'+Apocalypse Now+".

De quoi faire saliver les cinéphiles du monde entier qui se passionnent pour ses films autant que ses tournages épiques, à commencer par celui d'"Apocalypse Now", prévu pour durer quelques semaines et qui dura finalement 238 jours.

A cela se sont ajoutés les accès de paranoïa de Coppola, drogué, qui a perdu une quarantaine de kilos et a dû hypothéquer ses biens pour financer le film. Le budget, de 13 millions de dollars à l'origine, passera à 30 millions, le conduisant au bord de la ruine.

« Tête brûlée »

"Coppola est une tête brûlée", rappelle pour Tim Gray, vétéran du journalisme cinéma aux Etats-Unis qui travaille désormais pour l'organisation des Golden Globes. Il "a toujours pris d'énormes risques. Et sa carrière a défié la logique", confiait-il récemment à l'AFP.

Le géant du cinéma avait aussi évoqué le souhait de tourner une histoire d'amour "avant de partir". C'est chose faite avec le couple formé par Adam Driver et Nathalie Emmanuel ("Game of Thrones") dans "Megalopolis".

Autour d'eux gravitent de multiples personnages interprétés par des acteurs de légende des années 1970, comme Jon Voight et Dustin Hoffman.

"Tout le monde espérait que Francis Ford Coppola continuerait à faire des films. On savait qu'il avait décidé de faire ce film et de le financer avec son propre argent", a raconté lundi Thierry Frémaux, le délégué général cannois, avant le coup d'envoi du Festival.

"Je trouve admirable que cet homme de 85 ans se comporte comme un cinéaste indépendant, comme un artiste qui veut venir montrer son travail. Cannes est important pour lui et lui est important pour Cannes."

Film-testament génial ou oeuvre poussive et démesurée? La presse y va de ses pronostics et vient de publier des témoignages de membres de la production évoquant un tournage chaotique.

Le réalisateur de la trilogie du "Parrain" n'avait plus dirigé de long-métrage depuis "Twixt", sorti en 2011, et semblait s'adonner à son autre passion, le vin, lui qui possède de nombreuses vignes.

C'était sans compter ce projet qu'il dédie à son épouse Eleanor, à qui il a été marié soixante ans, décédée le 12 avril.


Les stars et les créateurs arabes font sensation à Cannes

L’influenceuse saoudienne Yara Alnamlah pose sur le tapis rouge. (Getty Images)
L’influenceuse saoudienne Yara Alnamlah pose sur le tapis rouge. (Getty Images)
Short Url
  • L’animatrice de télévision et mannequin germano-américaine Heidi Klum a fait sensation sur le tapis rouge dans une robe rouge audacieuse du créateur libanais Saiid Kobeisy
  • La première standing ovation du festival a toutefois été réservée à Meryl Streep, qui a reçu une Palme d’or d’honneur lors de la cérémonie d’ouverture, mardi

DUBAÏ: Lors de la cérémonie d’ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes, qui s’est déroulée dans le cadre glamour de la Côte d’Azur, les stars et les créateurs arabes ont une nouvelle fois fait sensation.

Le festival commençait avec la première du film Le Deuxième Acte, mais, avant cela, l’influenceuse saoudienne Yara Alnamlah a foulé le tapis rouge dans une tenue du créateur Rami Kadi. Elle portait des bijoux de la maison Chaumet, notamment le collier «Blé» de la collection de haute joaillerie Le Jardin de Chaumet.

Img
L’influenceuse saoudienne Yara Alnamlah pose sur le tapis rouge. (Getty Images)

Quant à Shanina Shaik, mannequin australien d’origine saoudienne, pakistanaise et lituanienne, elle était vêtue d’une étourdissante robe écarlate du couturier libanais Zuhair Murad. Sa robe sans bretelles, dotée d’un décolleté en cœur et d’une spectaculaire surjupe, est issue de la collection de prêt-à-porter automne 2024 du créateur.

Shanina Shaik n’était pas la seule star sur le tapis rouge à avoir opté pour un créateur arabe.

L’animatrice de télévision et mannequin germano-américaine Heidi Klum a fait sensation sur le tapis rouge dans une robe rouge audacieuse du créateur libanais Saiid Kobeisy. Il s’agissait d’une robe en soie, froncée à la taille et révélant une jambe.

De son côté, l’actrice américaine Jane Fonda a revêtu une combinaison noire ornée de broderies en cristal de la collection automne 2019 du créateur libanais Elie Saab. Pour compléter son look, elle a opté pour un pardessus imprimé léopard.

Le Deuxième Acte est une comédie française qui réunit Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et Raphaël Quenard. Ils incarnent des acteurs qui se chamaillent sur le tournage d’un film réalisé par intelligence artificielle.

La première standing ovation du festival a toutefois été réservée à Meryl Streep, qui a reçu une Palme d’or d’honneur lors de la cérémonie d’ouverture, mardi. Après que Juliette Binoche l’a présentée, Streep a secoué la tête, s’est éventée et a dansé sous les applaudissements tonitruants de la foule.

«Je suis tellement reconnaissante du fait que vous ne vous soyez pas lassés de moi et que vous ne soyez pas descendus du train», a lancé Streep qui, peu après, a déclaré, en compagnie de Juliette Binoche, le Festival de Cannes officiellement ouvert.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


L'exil forcé et l'appel au secours du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof pose le 19 mai 2017 lors d'un photocall pour le film "Lerd" (Un homme intègre) à la 70e édition du Festival de Cannes, dans le sud de la France (Photo, AFP).
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof pose le 19 mai 2017 lors d'un photocall pour le film "Lerd" (Un homme intègre) à la 70e édition du Festival de Cannes, dans le sud de la France (Photo, AFP).
Short Url
  • Les festivals internationaux sont une forme de reconnaissance importante pour les cinéastes iraniens aux prises avec le régime
  • Amnesty International affirme que l'Iran, secoué par un mouvement de contestation fin 2022 après la mort de Mahsa Amini, a exécuté 853 personnes en 2023

CANNES: Le cinéaste Mohammad Rasoulof vient de fuir l'Iran mais pourra-t-il se rendre à Cannes ? Le symbole serait fort pour la liberté d'expression mais rien n'est moins sûr pour celui qui lance mardi un appel à l'aide au cinéma mondial.

Grande voix du cinéma iranien, dans le viseur du régime des mollahs depuis des années, condamné et incarcéré à plusieurs reprises, Rasoulof est en lice pour la Palme d'Or, qui sera remise le 25 mai au Festival de Cannes.

Programmé au dernier jour de la compétition, le 24, "Les graines du figuier sauvage" aurait dû être présenté en son absence, comme c'est souvent le cas pour les réalisateurs iraniens, longtemps tolérés tout en étant obligés de déjouer la censure. Et régulièrement empêchés de quitter leur pays, voire poursuivis en justice.

Lundi, coup de théâtre. Rasoulof, condamné en appel à huit ans de prison dont cinq applicables et qui s'est vu priver de son passeport, révèle qu'il est parvenu à fuir clandestinement l'Iran. Son avocat assure qu'il pourra participer au festival, ce dernier confirmant travailler avec le Quai d'Orsay pour parvenir à le faire venir sur la Croisette.

Mais le lendemain, à quelques heures de la cérémonie d'ouverture, Mohammad Rasoulof et son producteur Jean-Christophe Simon soulignent que rien n'est garanti à ce stade. Surtout, le réalisateur lance dans un communiqué transmis à l'AFP un vibrant appel au secours, dit son inquiétude pour ses équipes restées en Iran et règle ses comptes avec les censeurs de la République islamique.

"Je suis arrivé en Europe il y a quelques jours après un voyage long et compliqué", témoigne le cinéaste de 51 ans. Celui qui veut représenter un Iran "loin du récit dominé par la censure (et) plus proche de la réalité" explique avoir décidé de partir lorsqu'il a appris que sa peine, "injuste", serait mise à exécution "dans les plus brefs délais".

Il craignait une condamnation supplémentaire à la suite de la présentation de son prochain film, dans un pays où la répression ne cesse de s'amplifier. "Je devais choisir entre la prison et quitter l'Iran. Le cœur lourd, j'ai choisi l'exil", relate Rassoulof. Sans passeport, il a dû "quitter l'Iran secrètement".

«Machine criminelle»

Le réalisateur s'alarme pour ses équipes restées en Iran, dans un pays où "l'ampleur et l'intensité de la répression ont atteint un degré de brutalité tel que les gens s'attendent à apprendre chaque jour un nouveau crime odieux commis par le gouvernement". "La machine criminelle de la République islamique viole continuellement et systématiquement les droits de l'homme", dénonce-t-il.

Lui-même juge "difficile" à croire que son pays vienne de condamner à mort le jeune rappeur Toomaj Salehi, détenu en prison.

Amnesty International affirme que l'Iran, secoué par un mouvement de contestation fin 2022 après la mort de Mahsa Amini, a exécuté 853 personnes en 2023, le nombre le plus élevé depuis 2015. Les cinéastes sont régulièrement accusés de propagande contre le régime.

Rasoulof a pu garder secrets "l'identité des acteurs et de l'équipe, ainsi que les détails de l'intrigue et du scénario". Certains acteurs "ont réussi à quitter l'Iran" à temps, se réjouit-il. Mais de nombreux autres membres de l'équipe y sont toujours "et les services de renseignement font pression sur eux. Ils ont subi de longs interrogatoires. Les familles de certains d'entre eux ont été convoquées et menacées".

"La communauté cinématographique mondiale doit assurer un soutien fort aux réalisateurs", implore le cinéaste, Ours d'or à Berlin en 2020 pour "Le Diable n'existe pas", sur la peine de mort. Un prix remis en son absence, ayant été empêché de quitter l'Iran.

Les festivals internationaux sont une forme de reconnaissance importante pour les cinéastes iraniens aux prises avec le régime, à l'image d'Ashgar Farhadi ("Une séparation"), Jafar Panahi ("Taxi") ou Saeed Roustaee ("Leila et ses frères"), régulièrement sélectionnés.

"La liberté d'expression doit être défendue haut et fort (...) Comme je le sais par expérience personnelle, ce soutien peut leur être d'une aide inestimable pour poursuivre leur travail vital", souligne Rasoulof. En France, la Société des réalisateurs de films (SRF) lui a apporté son soutien, ainsi que la coalition internationale pour les cinéastes en danger (ICFR), qui défend plusieurs Iraniens menacés.