Paris: marchands de sommeil, souffrances et procès

Deux enfants lisent une bande dessinée dans leur chambre aux murs moisis par l'humidité, dans un immeuble insalubre en voie de démolition. Des bouteilles d'eau sont stockées dans la pièce faute d’eau courante. (Jack Guez / AFP)
Deux enfants lisent une bande dessinée dans leur chambre aux murs moisis par l'humidité, dans un immeuble insalubre en voie de démolition. Des bouteilles d'eau sont stockées dans la pièce faute d’eau courante. (Jack Guez / AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 27 novembre 2020

Paris: marchands de sommeil, souffrances et procès

  • Malgré l’insalubrité de leur logement, "les personnes précaires savent que si elles quittent leur appartement, ce sera très compliqué d'en retrouver un, elles sont habituées à ne rien demander"
  • Si le procès n'aboutit pas à une confiscation des biens, la mairie envisage d'engager une procédure d'expropriation

PARIS : "Des souris, des cafards" et un sol "tellement humide que mes chaussettes étaient toujours mouillées". A la barre du tribunal correctionnel de Paris, Katarzyna a décrit sans fard le quotidien des locataires de son immeuble insalubre du 19e arrondissement de la capitale.

Depuis 2012, ce bâtiment de la rue de Meaux fait l'objet d'un arrêté de péril et de dix arrêtés d'insalubrité.

Depuis cette semaine, il est aussi au cœur du procès de deux marchands de sommeil présumés, Frédéric A. et Alix B., et des trois entreprises propriétaires de la majeure partie de l'immeuble. Tous sont poursuivis pour y avoir loué, malgré leur état déplorable, une vingtaine d'appartements jusqu'en 2017 et d'avoir menacé leurs locataires.

Une dizaine d'anciens occupants et de copropriétaires, la fondation Abbé Pierre et la Ville de Paris se sont portés parties civiles.

La famille de Katarzyna, dont la fille a développé des "problèmes respiratoires" à cause de l'humidité, a depuis quitté le studio dans lequel ils vivaient à quatre. Mais d'autres ont dû rester, et de nouveaux locataires sont venus occuper les appartement libérés.

Dans l'immeuble à la façade fissurée, aujourd'hui encore, les habitants dépeignent des conditions de vie "honteuses". Sur les murs des couloirs, des champignons côtoient les traces de moisissures.

Hafed Chekkai, 42 ans, vit au troisième étage. Cet Algérien partage avec sa femme et ses deux jeunes enfants une pièce humide de 16m2 dotée d'un unique lit double, facturée 750 euros. Alors que l'eau courante de son évier a été coupée, Hafed doit maintenant "aller remplir un seau pour faire la vaisselle".

Le locataire a arrêté de payer son loyer quand il a eu connaissance de l'arrêté de péril, ainsi que la loi l'y autorise.

Mais certains de ses voisins, comme Anya (prénom modifié) ont continué de payer pendant plusieurs années. "Nous n'avons pas de papiers, vu notre situation, nous avons eu peur qu'on nous mette dehors ou nous dénonce" explique-t-elle.

Dans son studio de 17m2, qu'elle occupe avec son mari et ses deux enfants, la jeune maman lave régulièrement les murs à l'eau de Javel, "pour éviter que les moisissures reviennent". Si elle dit "avoir l'habitude", elle confie ne pas se sentir "à l'aise", surtout pour ses enfants. "Avec l'humidité, ils toussent. Mon fils, je vois bien qu'il n'a pas envie de rester ici".

"Tout à refaire"

"Les personnes précaires savent que si elles quittent leur appartement, ce sera très compliqué d'en retrouver un, elles sont habituées à ne rien demander", observe Sarah Coupechoux, chargée de mission à la fondation Abbé Pierre, qui a suivi la situation des habitants de la rue de Meaux jusqu'en 2017.

Hafed Chekkai et Anya disent tous deux avoir été menacés par Frédéric A. "Il m'insultait, me traitait de terroriste", raconte Hafed. "J'avais peur de rester seule dans mon appartement", ajoute Anya.

Au dernier étage de l'immeuble, Virginie Baudelaire et son mari ne sont pas locataires mais se considèrent eux aussi "victimes" et se sont constitués partie civile dans le procès en cours.

Depuis 2007, ils sont propriétaires d'un appartement qui se détériore de jour en jour. "Tout est à refaire, la toiture, la façade." Mais les entreprises mises en cause dans la procédure judiciaire possèdent les trois quarts de l'immeuble et, affirment-ils, "bloquent les travaux nécessaires".

Le couple, qui voit les fissures et les infiltrations se multiplier, dit "ne jamais se sentir en sécurité".

"Cet immeuble, c'est vraiment l'exemple de ce qu'on ne veut pas voir à Paris", assure Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement. Si le procès n'aboutit pas à une confiscation des biens, la mairie envisage d'engager une procédure d'expropriation.

Les conseils d'Alix B. et de Frédéric A. nient toute menace envers des locataires, et font valoir que leurs clients ne sont plus impliqués dans la gestion actuelle de l'immeuble.

Contactée par l'AFP, l'avocate des entreprises propriétaires des appartements n'a pas donné suite.

Le réquisitoire du parquet contre les deux prévenus et les entreprises mises en cause est attendu le 16 décembre.

 


Macron part «dès ce soir» en Nouvelle-Calédonie pour y installer «une mission»

Emmanuel Macron (Photo, AFP).
Emmanuel Macron (Photo, AFP).
Short Url
  • L'état d'urgence ne peut être prolongé au-delà de douze jours sans soumettre un texte au Parlement
  • Une éventuelle prorogation nécessiterait une saisine de l'Assemblée nationale et du Sénat avant le 27 mai

PARIS: Emmanuel Macron va se rendre "dès ce soir" en Nouvelle-Calédonie, secouée par une flambée de violences, pour y installer "une mission", a annoncé mardi la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot.

"Il a été annoncé par le président de la République, en Conseil des ministres, qu'il se rendra sur place (en Nouvelle-Calédonie). Il partira sur place dès ce soir pour y installer une mission", a affirmé Mme Thevenot à l'issue du Conseil des ministres.

Le président part "dans un esprit de responsabilité", a ajouté la porte-parole, sans détailler la "mission" évoquée ni préciser combien de temps le chef de l'Etat resterait sur l'archipel.

Elle a redit que "le retour à l'ordre était le préalable à tout dialogue", alors qu'une réforme électorale contestée par les indépendantistes doit être validée "avant la fin juin" par le Congrès réunissant sénateurs et députés, calendrier fixé par le chef de l'Etat lui-même.

Mais "l'exécutif poursuit (...) la construction de la solution politique pour le territoire", a-t-elle aussi souligné.

La prorogation de l'état d'urgence, décrété mercredi dernier, "n'a pas été abordée" lors de ce Conseil des ministres, a indiqué la porte-parole du gouvernement. "Si la situation doit être encore améliorée, elle est en voie de se normaliser", a-t-elle justifié.

L'état d'urgence ne peut être prolongé au-delà de douze jours sans soumettre un texte au Parlement. Une éventuelle prorogation nécessiterait une saisine de l'Assemblée nationale et du Sénat avant le 27 mai.

Le Premier ministre Gabriel Attal aura "aussi l'occasion d'y aller (dans l'archipel), pas immédiatement mais dans les semaines à venir", a précisé Mme Thevenot, alors que le dossier calédonien n'est plus piloté directement par Matignon depuis 2020 et que trois anciens Premiers ministres plaident pour qu'il soit de nouveau géré par le chef du gouvernement.

Après une semaine d'émeutes en réaction à une réforme du corps électoral qui ont fait six morts dont deux gendarmes, Emmanuel Macron avait constaté lors d'un Conseil de défense lundi "de nets progrès dans le rétablissement de l'ordre" en Nouvelle-Calédonie.

L'exécutif avait à cette occasion décidé de mobiliser "pour un temps" des personnels militaires pour "protéger les bâtiments publics" et soulager ainsi les forces de sécurité intérieure, selon l'Elysée.

«Réparer le dialogue»

L'aéroport international de Nouméa reste toutefois fermé aux vols commerciaux jusqu'à samedi 09H00 (00H00 à Paris), a indiqué mardi le gestionnaire de la plateforme.

Le député calédonien non indépendantiste Philippe Dunoyer (Renaissance), qui plaide aussi pour un report du Congrès, dit "espérer que cette initiative permette d'entreprendre de renouer les fils du dialogue" mais "on ne peut pas tout faire en un mois et le Congrès ne peut pas se tenir avant le 27 juin".

"Ce n'est pas une manière de dire aux indépendantistes +vous avez gagné+, c'est au contraire une opportunité pour le dialogue qu'il faut saisir", a-t-il estimé auprès de l'AFP.

"Maintenant, il faut rassurer, apaiser et réparer le dialogue vers un accord global. Suspendre la réforme et nommer rapidement une mission de dialogue", a réagi sur X le député PS Arthur Delaporte, fustigeant le "temps perdu".

Son collègue LFI Thomas Portes a qualifié au contraire cette visite d'"irresponsable". "La colère ne va faire qu'augmenter avec ce déplacement monarchique".


Inquiétude dans le «Petit Haïti» de Saint-Domingue après le plébiscite du président Abinader

Une famille roule à moto dans une rue d'un quartier connu sous le nom de « Petite Haïti » à Saint-Domingue, le 20 mai 2024 (Photo, AFP).
Une famille roule à moto dans une rue d'un quartier connu sous le nom de « Petite Haïti » à Saint-Domingue, le 20 mai 2024 (Photo, AFP).
Short Url
  • L'hostilité entre les deux pays ne date pas d'hier
  • Le dictateur dominicain Rafael Trujillo a lui fait massacrer des milliers de Haïtiens en 1937

SAINT-DOMINGUES: Johan Perez surveille les voitures garées dans une rue du "Petit Haïti", un quartier populaire commerçant et anarchique de Saint-Domingue, où vivent et travaillent des centaines de Haïtiens. Il est inquiet.

Après la réélection triomphale au premier tour du président Luis Abinader, qui a fait de la lutte contre l'immigration haïtienne un de ses chevaux de bataille, il craint que le sentiment "anti-haïtien" ne s'intensifie.

C'est une journée ordinaire. L'activité bat son plein dans ce secteur chaotique du centre-ville de la capitale dominicaine, avec des dizaines de boutiques informelles installées devant des entrepôts aux murs écaillés. Ici dans Le "Pequeno Haïti" pendant du "Little Haïti" de New York ou Miami, on vend de tout: de la canne à sucre aux appareils électriques usagés, en passant par les vêtements et les légumes.

La plupart des vendeurs préfèrent se taire, de peur que leur accent créole-français ne les trahisse. Les descentes de police sont monnaie courante. Malheur à celui qui se fait prendre. A chacune d'entre elles, la police embarque les sans-papiers pour les emmener dans un centre de rétention avant de les mettre dans un camion, direction Haïti.

"Les choses se durcissent un peu", explique Johan Perez, 32 ans, de mère dominicaine et de père haïtien, qui vit des pourboires des automobilistes fréquentant la zone. "Le +type+ (Abinader) est plus fort maintenant".

Il raconte que la police a arrêté plusieurs de ses amis il y a quelques jours à peine. Et au coin de la rue, les agents de l'immigration sont entrés dans un petit immeuble et en ont sorti les habitants sans papiers. "Ils les ont jetés la tête la première" dans un bus avec d'autres migrants.

Selon les experts et militants des droits de l'homme, le principal critère des contrôles est la couleur de la peau mais M. Perez souligne que la langue joue également un rôle.

Les expulsions sont passées de 122.000 en 2022 à 250.000 en 2023, selon les données officielles.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2020, le président Abinader a imposé une politique de fermeté à l'égard de la migration haïtienne. Outre les descentes et les expulsions, il a renforcé la présence des forces armées à la frontière et fait construire un mur de 164 km entre les deux pays.

Sa réélection conforte cette fermeté dans un pays où le racisme anti-haïtien s'est propagé et où l'immigration est souvent assimilée à la criminalité.

L'hostilité entre les deux pays ne date pas d'hier. Haïti, ancienne colonie française qui s'est émancipée en 1804, a occupé l'actuelle République dominicaine pendant 22 ans jusqu'en 1856, massacrant des milliers de personnes.

«Acide»

Le dictateur dominicain Rafael Trujillo a lui fait massacrer des milliers de Haïtiens en 1937.

Les Dominicains parlent souvent de l'immigration haïtienne comme d'une "deuxième invasion".

De nombreux Haïtiens possédant des papiers en règle courent aussi le risque de devenir clandestins, en raison d'un parcours bureaucratique de plus en plus lent et onéreux

C'est le cas de Nicolas Legrand, 60 ans, qui vit à Saint-Domingue depuis 1987. Sa carte de résident a expiré en 2022 et depuis, il ne détient qu'une petite note indiquant que son processus est en cours.

"Si Dieu le veut, la situation s'améliorera à Haïti et j'y retournerai", dit M. Legrand en vendant ses mouchoirs. "Mais ici au moins je suis tranquille".


CPI: les droites françaises rejettent toute «équivalence» entre le Hamas et Israël

Marion Maréchal, vice-présidente exécutive du parti d'extrême droite français "Reconquête", (Photo, AFP).
Marion Maréchal, vice-présidente exécutive du parti d'extrême droite français "Reconquête", (Photo, AFP).
Short Url
  • La France a indiqué, via son ministère des Affaires étrangères, qu'elle «soutient la CPI»
  • «Cette équivalence est proprement insupportable», a renchéri le patron des sénateurs Républicains

PARIS: Les responsables des principaux partis de droite et d'extrême droite français ont dénoncé mardi une "équivalence insupportable" et un "parallèle honteux" après que le procureur de la Cour pénale internationale a réclamé des mandats d'arrêts contre des dirigeants du Hamas et du gouvernement israélien.

Ces réquisitions visent précisément le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant d'une part, et les trois plus hauts chefs du Hamas (Ismaïl Haniyeh, Mohammed Deif, Yahya Sinouar) d'autre part.

La France a indiqué, via son ministère des Affaires étrangères, qu'elle "soutient la CPI". Une position dont le vice-président du Rassemblement national, Sébastien Chenu, s'est dit "très étonné", estimant sur RTL "qu'on ne peut pas mettre ce signe égal" entre "un état démocratique agressé et des terroristes".

«Partialité»

"Cette équivalence est proprement insupportable", a renchéri le patron des sénateurs Républicains Bruno Retailleau sur Sud Radio, défendant le "droit d'Israël à se défendre" même si sa riposte à Gaza est "sans doute mal proportionnée".

La tête de liste de son parti aux élection européennes, François-Xavier Bellamy, a lui pointé sur Public Sénat la "partialité manifeste" du procureur de la CPI, dont la position "ressemble à une forme de militantisme inquiétant".

"Faire un parallèle entre les dirigeants israéliens et le Hamas (...) est une honte", a tranché sur CNews et Europe1 sa rivale d'extrême droite Marion Maréchal (Reconquête!), qui "réfute totalement ce qui est insinué à travers cette poursuite, à savoir qu'il y aurait un génocide à Gaza".

A l'inverse, les chefs de file de la gauche française - de l'insoumis Jean-Luc Mélenchon au socialiste Olivier Faure, en passant par le communiste Fabien Roussel - se sont félicités lundi de l'annonce du procureur de la CPI, en particulier à l'encontre de M. Netanyahu.