Une histoire d’ADN «arabe» en France: Longtemps après la bataille de Poitiers et bien avant les colonisations!

On a retrouvé la «mutation arabe» dans une famille de la région d’Autun, justement, en Bourgogne, l’ancienne Burgondie du temps de Charles Martel. (Photo, AFP)
On a retrouvé la «mutation arabe» dans une famille de la région d’Autun, justement, en Bourgogne, l’ancienne Burgondie du temps de Charles Martel. (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 17 juin 2021

Une histoire d’ADN «arabe» en France: Longtemps après la bataille de Poitiers et bien avant les colonisations!

Une histoire d’ADN «arabe» en France: Longtemps après la bataille de Poitiers et bien avant les colonisations!
  • À partir de combien de générations un individu peut-il se dire qu’il est de telle origine (et en être sûr)?
  • Un épisode marqua les chroniqueurs chrétiens: le mariage, occulté par les manuels contemporains, entre la fille du duc de Toulouse et le gouverneur musulman de Narbonne…

À partir de combien de générations un individu peut-il se dire qu’il est de telle origine (et en être sûr)? Une étude de scientifiques, que j’avais attentivement examinée voilà trente ans déjà, nous éclaire sur le sujet. C’était à l’occasion de mes recherches sur la mythique bataille de Poitiers – à laquelle j’ai consacré deux ouvrages: un roman historique (Un amour de djihad, Balland 1995) et un essai (Abd er-Rahman contre Charles Martel, Perrin 2010). Plus particulièrement autour d’un épisode qui marqua les chroniqueurs chrétiens de l’époque, à savoir le mariage, occulté par les manuels contemporains, entre la fille du duc de Toulouse et le gouverneur musulman de Narbonne… 

Quel rapport? Une histoire de souche, pour ainsi dire, et d’ADN plus exactement, postérieure au VIIIe siècle, autrement dit longtemps après l’invasion arabo-berbère de la Narbonnaise et du Jura! 

Des cas de mutations génétiques

Dans cette étude, il est question de «programme génétique». Publiée en 1988 dans une revue qui fait autorité dans son domaine: Médecine et sciences (M/S)1, on y apprend que des chercheurs en génétique et biologie moléculaire avaient fait une découverte surprenante. Une thèse qui touche de près notre sujet. Et où il est question de phénylcétonurie. Oui, cela fait «barbare». Normal, cela parle d’invasions et d’envahisseurs: Vikings, Celtes, Juifs yéménites et Sarrasins. 

Disons d’abord ce qu’est la phénylcétonurie… Il s’agit d’une maladie héréditaire du métabolisme des acides aminés. Cette maladie, apprend-on dans la Revue internationale de biologie, est «responsable d’une arriération mentale sévère mais évitable». Les spécialistes parlent de mutations: celte (chez les Danois et les Celtes d’Europe du Nord); germanique, franco-portugaise (mutation des «pêcheurs de morue», étudiée en Bretagne, indiquant «un trajet génétique le long de la côte atlantique, au gré des escales des marins pêcheurs»); juive yéménite (mutation «bien antérieure à l’année 1750 marquée par de violents pogroms et par la scission entre les tribus juives yéménites du Nord et celles du Sud»). Enfin, la mutation arabe2… 

Une des conclusions de ces hommes de sciences, c’est que l’ADN peut garder la trace moléculaire de certains événements historiques! Inouï... À partir d’un cas de phénylcétonurie, diagnostiqué chez un enfant algérien de treize mois, ils ont pu différencier la «mutation arabe»: «Cette mutation a pu naître il y a très longtemps et être introduite en Afrique du Nord et en Europe du Sud par les envahisseurs sarrasins au VIIIe siècle. L’absence de cette mutation en Europe du Nord peut être expliquée par les coups d’arrêt donnés à l’invasion sarrasine en France. Son axe principal traversant l’Espagne a été barré à Poitiers en 732 par Charles Martel. L’autre poussée a été refoulée à Autun en 725

Autun où était parvenu l’autre front arabo-berbère commandé par l’émir Ambizah ibn Souhaïm el-Kelbi. Après avoir investi la Sardaigne, la Corse et les Baléares, puis Carcassonne et Nîmes, les hommes de l’émir dévastèrent la ville de Beaune et ses environs. La ville de Sens se livra, sans combat, dit-on3… «Dieu, écrira l’historien El-Maqqari, avait jeté la terreur dans le sein des infidèles. Si quelqu’un d’eux se présentait c’était pour demander merci. Les musulmans prirent du pays, accordèrent des sauvegardes, s’enfoncèrent et s’élevèrent jusqu’à ce qu’ils arrivassent à la vallée du Rhône. Là, s’éloignant des côtes, ils s’avancèrent dans l’intérieur des terres4. C’est en redescendant le cours du Rhône, que l’émir Ambizah trouvera la mort, «foudroyé par une flèche». 

«Des séquelles génétiques de la bataille de Poitiers»?

Je rappelle ces faits pour revenir à notre histoire de la phénylcétonurie. C’est que l’équipe parisienne a retrouvé la «mutation arabe» dans une famille de la région d’Autun, justement, en Bourgogne, l’ancienne Burgondie du temps de Charles Martel. Et «l’origine française de cette famille a pu être formellement établie en remontant jusqu’à 1632. Tout laisse donc à penser que ce cas bourguignon de phénylcétonurie est une séquelle génétique de l’invasion du VIIIe siècle découverte douze siècles après»5 ! 

Cela revient à dire, et même si les généticiens n’ont pu remonter jusqu’au VIIIe siècle, qu’il est fort possible que cette famille, persuadée naturellement d’être de souche «française» (quoique la France n’existait pas encore), descende de quelque «sarrazinerie», pour reprendre l’expression de Jean Lacam6… Et si l’on ajoute qu’après leur défaite à Poitiers nombre de Sarrasins, de ceux qui ne réussirent pas à rejoindre Narbonne, toujours sous domination musulmane7, écumèrent la région8, pendant que d’autres, captifs, furent conduits en Ardèche, condamnés à des travaux forcés dans les mines d’argent9, qui donneront son nom à la ville Largentière. Ne pourrait-on pas imaginer que ces derniers firent souche dans la région, jusqu’à se fondre, au bout de plusieurs générations, dans les populations locales? Qui pourrait alors nous certifier que certaines familles d’Aubenas, de Valence (ou même du Puy-en-Velay, la cité que nous avons évoquée dans la précédente chronique), n’ont pas, sur leur arbre généalogique, quelque lointaine branche sarrasine?  

Sans compter, comme l’écrira Ernest Sabatier, historien de la ville de Béziers, que «Beaucoup d’habitants se firent musulmans (…); les avantages que les renégats et les aventuriers ont toujours trouvés chez les sectateurs de Mahomet multiplièrent les apostasies.» 

Le plus étrange, c’est que de cette thèse, publiée dans une revue scientifique de renom et à laquelle seul un journal (Le Monde) avait consacré un article, on n’entendit plus parler… Pas même pour être contestée par d’autres sommités de la science ! 

Après tout, «Des scientifiques sont parvenus à faire parler de l’ADN prélevé sur des momies en Égypte, (qui) révèle des liens étroits avec les habitants du Proche-Orient de l’époque, plus qu’avec ceux de l’Afrique subsaharienne»10 !  

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1 Bases moléculaires de la phénylcétonurie en France: de l’invasion celte à la bataille de Poitiers, Médecine / Sciences, Revue internationale de biologie et de médecine, vol. 4, n°9, pp. 544-552, Paris, nov. 1988. 
2 Idem, Bases moléculaires de la phénylcétonurie en France: de l’invasion celte à la bataille de Poitiers.
3 «Sens se rachète par un tribut» (J.-H. Roy, J. Deviosse, la Bataille de Poitiers, op. cit., p. 116).
4 Manuscrit arabe de la BNF, ancien fonds, n° 704, f° 72.
5 Jean-Yves Nau, Les séquelles génétiques de la bataille de Poitiers, le Monde, 7-12-1988.
6 Les Sarrasins dans le Haut Moyen Âge français, p. 91 et suiv., Maisonneuve et Larose, 1965.
7 Narbonne ne sera reprise que vingt-sept ans après Poitiers, en 759, par le fils de Charles Martel, Pépin dit Le Bref…
8 Cf. Jean Deviosse et Henri Roy, La bataille de Poitiers (Gallimard, 1967).
9 Idem. Voir aussi: Salah Guemriche, Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin, 2010).
10 «L’ADN des momies dévoile l’ascendance des Égyptiens de l’Antiquité», dans Courrier International, 1-6-2017). 

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Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.