Liban: le dessous des cartes

Maurice Gourdault-Montagne
Maurice Gourdault-Montagne
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Publié le Mardi 01 septembre 2020

Liban: le dessous des cartes

  • « Les magistrats du tribunal n’ont pas fait de politique mais du droit: ils avaient désigné quatre coupables qui n’étaient pas neutres dans leurs allégeances ; ils en ont innocenté trois et en ont condamné un seul »
  • « La région et le pays ont besoin d’un Liban fort, c’est ce à quoi nous travaillons. La France n’a pas d’autre ambition, elle ne dicte rien au Liban, elle dit seulement à ses responsables de prendre leurs responsabilités »

PARIS: Maurice Gourdault-Montagne est ambassadeur de France. Ce diplomate français, conseiller diplomatique et sherpa du président Jacques Chirac, a été ambassadeur de France à Londres, Berlin, Tokyo et Pékin entre 1998 et 2017. Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères depuis l’élection d’Emmanuel Macron, il a pris sa retraite en juin dernier. Il a traversé les temps forts de la diplomatie française au Liban, notamment l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, ou encore la mort de Yasser Arafat à Paris ou le refus de Jacques Chirac de s’engager, avec les États-Unis, dans la guerre en Irak.

Pour Arab News en Français, il a accepté de commenter en exclusivité le verdict du Tribunal international spécial pour le Liban.

« Je travaillais pour le président Chirac et je me souviens très bien du 14 février 2005. J’étais dans ma voiture quand le président m’a téléphoné et m’a annoncé : “Rafic Hariri vient d’être assassiné, il faut que vous rentriez tout de suite pour que nous fassions une réunion, que nous évaluions la situation et pour que nous allions à Beyrouth afin de lui rendre hommage ainsi qu’à sa famille”. Je me souviens de ce traumatisme pour le Liban, et pour nous Français. C’était un combattant de la souveraineté libanaise qui avait été assassiné et la France ressentait profondément à ce moment-là son attachement au Liban. Nous avons soutenu la création du Tribunal spécial pour le Liban. »

« Nous voulions que soit menée efficacement une recherche de la vérité pour que justice soit faite. Depuis, quinze ans se sont écoulés jusqu’à ce que le verdict soit rendu. Bien évidemment, comme tout verdict, il en a déçu certains, en a satisfait d’autres, et en a réjoui d’autres encore. Je crois qu’il faut regarder les choses en face. Le gouvernement a travaillé avec des magistrats très compétents pour essayer de démêler un entrelacs de responsabilités à partir de ce qu’ils avaient à leur disposition. C’est donc un travail extrêmement méticuleux et difficile qu’ils ont mené. »

« Les magistrats du tribunal n’ont pas fait de politique mais du droit: ils avaient désigné quatre coupables qui ne n’étaient pas neutres dans leurs allégeances ; ils en ont innocenté trois et en ont condamné un seul. Il faut lire entre les lignes pour bien comprendre qui a été désigné à travers cette seule condamnation dont certains ont estimé que ce n’était pas assez s’agissant de rendre justice. Ce coupable n’est pas neutre dans son allégeance. Ce qui est important c’est que le Tribunal continue de travailler sur les tentatives d’assassinat de Marwan Hamadé et d’Elias Murr. C’est à travers cette ténacité et cette opiniâtreté à faire triompher la justice que nous parviendrons à obtenir ce que nous souhaitons. Je pense que ceux qui sont visés l’ont bien compris. »

Maurice Gourdault-Montagne répond à ceux qui parlent d’ingérence à propos des visites au Liban du président français, Emmanuel Macron, au lendemain de l’explosion tragique du 4 août et pour le centenaire du Grand Liban.

« Il faut bien avoir en tête que le temps des mandats, de la colonisation est derrière nous. En revanche, ce qui existe encore, c’est le temps de la solidarité et des intérêts communs. Oui, la France a un passé historique avec le Liban qui donne à la relation franco-libanaise quelque chose de très singulier, de très particulier, d’unique. »

« Ce passé historique est fondé sur le fait que la France a accompagné le Liban dans son indépendance et que, pour la France, le Liban est et doit rester un modèle d’équilibre, d’ouverture, de tolérance et de démocratie. Depuis des années, nous assistons à l’affaiblissement du Liban. Ce qui est en cause, et qui a été mis en exergue par la révolution au mois d’octobre et exacerbé par cette explosion, c’est que le Liban d’aujourd’hui est atteint dans son intégrité, dans son indépendance, dans sa souveraineté. Il est fondamental de remettre le Liban en selle. Le pays a des défis internes à relever que nous connaissons. Ce sont les réformes et la refonte d’un système politique qui s’est sclérosé dans un clientélisme qui paralyse tout, alors qu’il y a des élites et un niveau d’éducation exceptionnel dans la région. Ce pays doit pouvoir aller plus loin. »

« Il a évidemment des défis extérieurs. Ce que nous souhaitons, et c’est le sens de la seconde visite du président Macron, c’est être aux côtés du Liban dans ses réformes, c’est entraîner la communauté internationale aux côtés du Liban. Nous voulons travailler à rendre le Liban plus fort, plus stable, plus prospère de façon que les capitaux reviennent et que l’on investisse au Liban, que les réformes aient lieu, et que le pays, dans son environnement régional, soit également plus fort. Ce que nous partageons avec le Liban aujourd’hui, c’est sa stabilité dans la région, sa prospérité. La région et le pays ont besoin d’un Liban fort. C’est ce à quoi nous travaillons. La France n’a pas d’autre ambition, elle ne dicte rien au Liban, elle dit seulement à ses responsables de prendre leurs responsabilités. »

Pour Maurice Gourdault-Montagne, il existe une solution au problème posé par le parti pro-iranien, le Hezbollah.

« En effet, le Hezbollah fait partie du paysage libanais, il a des élus et le soutien d’une population en pleine croissance démographique. Le tout, c’est de retrouver un équilibre à partir de ces données. Il est aussi important de comprendre pour qui ce parti travaille. C’est un parti libanais, son leader, Hassan Nasrallah, dit qu’il défend l’État libanais, mais en même temps, paradoxalement, le Hezbollah continue de stocker des armes qu’il refuse systématiquement de transférer à l’armée nationale, malgré les demandes de la communauté internationale. C’est donc là un vrai sujet: ce parti qui est libanais et qui, en même temps, fait allégeance à un État étranger. Ce n’est pas une situation acceptable. Le Hezbollah, comme les autres partis, doit contribuer aux réformes du Liban, pour en faire un État fort en y ayant sa juste place. »

« Le Hezbollah est une carte maîtresse entre les mains de l’Iran, d’un Iran qui, pour se défendre, déstabilise les États environnants par le relai de ses communautés religieuses. Il est important pour la France de continuer à parler à l’Iran: ce n’est pas en isolant Téhéran que nous affaiblirons ses alliés, notamment le Hezbollah. Nous voulons donc continuer à parler avec l’Iran car ce pays a une place dans la région. Mais pas à n’importe quel prix: dans le cadre d’équilibres qui doivent se définir à travers un dialogue, à travers des conférences où chacun prend sa place. »

« Oui, l’Iran joue aujourd’hui un rôle déstabilisateur dans la région, contre lequel nous devons nous organiser pour discuter avec lui et lui trouver sa juste place. Le président Chirac m’avait à l’époque déjà envoyé parler avec les Iraniens. C’est un processus de très longue haleine qui a des impacts dans certains pays comme la Syrie, le Liban, ou le Yémen. Il est extrêmement important de le faire. Nous pensons que le Hezbollah doit avoir sa juste place au Liban, et l’Iran sa juste place dans la région, mais que les allégeances de partis avec des pays extérieurs n’ont pas lieu d’être si l’on veut être un pays souverain, si le Hezbollah veut être un parti libanais à part entière. »


Liban: deux morts dans une frappe israélienne à Baalbeck 

Israël mène régulièrement des attaques au Liban, affirmant cibler le Hezbollah, malgré un accord de cessez-le-feu qui a mis fin en novembre 2024 à plus d'un an de conflit, dont deux mois de guerre ouverte, entre Israël et le mouvement libanais pro-iranien. (AFP)
Israël mène régulièrement des attaques au Liban, affirmant cibler le Hezbollah, malgré un accord de cessez-le-feu qui a mis fin en novembre 2024 à plus d'un an de conflit, dont deux mois de guerre ouverte, entre Israël et le mouvement libanais pro-iranien. (AFP)
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  • L'agence nationale d'information ANI a rapporté que la frappe avait été menée par un "drone israélien" dans la ville millénaire qui abrite un ensemble de temples romains classés au patrimoine mondial de l'Unesco
  • Ni ANI ni le ministère n'ont fourni d'autres précisions sur ce raid ou sur l'identité des victimes

BEYROUTH: Au moins deux personnes ont été tuées mercredi dans une frappe israélienne contre une voiture dans la ville de Baalbeck, dans l'est du Liban, a indiqué le ministère libanais de la Santé.

L'agence nationale d'information ANI a rapporté que la frappe avait été menée par un "drone israélien" dans la ville millénaire qui abrite un ensemble de temples romains classés au patrimoine mondial de l'Unesco.

Ni ANI ni le ministère n'ont fourni d'autres précisions sur ce raid ou sur l'identité des victimes.

Israël mène régulièrement des attaques au Liban, affirmant cibler le Hezbollah, malgré un accord de cessez-le-feu qui a mis fin en novembre 2024 à plus d'un an de conflit, dont deux mois de guerre ouverte, entre Israël et le mouvement libanais pro-iranien.

Sous pression américaine et craignant une intensification des frappes israéliennes, le gouvernement libanais a ordonné le mois dernier à l'armée d'élaborer un plan visant à désarmer le Hezbollah, sorti très affaibli par la guerre.

Selon Beyrouth, l'armée libanaise doit achever ce désarmement d'ici trois mois en ce qui concerne le sud du pays, proche de la frontière avec Israël.

 


Attaques israéliennes à Doha: le Qatar s'entretient avec la présidente de la CPI

L'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, préside le sommet sur l'urgence arabo-islamique 2025 à Doha, au Qatar. (QNA/AFP)
L'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, préside le sommet sur l'urgence arabo-islamique 2025 à Doha, au Qatar. (QNA/AFP)
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  • Le Qatar explore des recours légaux contre Israël après une frappe à Doha ayant tué plusieurs membres du Hamas et un agent de sécurité qatari
  • Bien que simple observateur à la CPI, Doha intensifie ses démarches diplomatiques et judiciaires pour demander des comptes à Israël

DOHA: Un haut représentant du Qatar a rencontré mercredi la présidente de la Cour pénale internationale (CPI) alors que Doha cherche à engager des poursuites contre Israël après des frappes sans précédent sur son territoire, selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères qatari.

Mohammed Al-Khulaifi, qui a été chargé d'entreprendre d'éventuelles démarches légales après l'attaque israélienne, s'est entretenu avec la juge Tomoko Akane à La Haye, a indiqué le ministère.

Le pays du Golfe explore "toutes les voies juridiques et diplomatiques disponibles pour s'assurer que les responsables de l'attaque israélienne contre le Qatar rendent des comptes", a précisé jeudi auprès de l'AFP un responsable qatari, s'exprimant sous couvert d'anonymat en raison de la sensibilité des discussions.

Le Qatar, en tant qu'État observateur à la CPI, ne peut pas saisir directement la cour.

La frappe meurtrière menée la semaine dernière à Doha, visant des dirigeants du mouvement islamiste palestinien Hamas, a déclenché une vague de critiques à l'international, les Nations unies condamnant une "violation choquante du droit international". Elle a aussi valu à Israël une rare réprobation du président américain Donald Trump.

Israël et le Qatar, pays médiateur dans les négociations en vue d'une trêve à Gaza, sont tous deux alliés des États-Unis.

Le Hamas a affirmé que ses principaux dirigeants politiques, installés au Qatar avec l'aval de Washington depuis 2012, avaient survécu à l'attaque qui a tué cinq de ses membres, ainsi qu'un membre des forces de sécurité qataries.

À l'issue d'un sommet extraordinaire lundi à Doha, la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique ont appelé "tous les Etats (...) à revoir les relations diplomatiques et économiques avec Israël et à engager des poursuites à son encontre".

En 2024, la CPI a émis des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour crimes de guerre et de crimes contre l'humanité à Gaza.

L'offensive israélienne, qui a fait plus de 65.000 morts dans le territoire palestinien selon les chiffres du Hamas, fiables selon l'ONU, a été déclenchée par l'attaque sans précédent du mouvement islamiste le 7 octobre 2023 sur le sol israélien.

La CPI a également émis des mandats d'arrêt contre l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et le commandant militaire du Hamas Mohammed Deif, tué depuis par Israël.


L'Arabie saoudite et le Pakistan signent un pacte de défense mutuelle

Le chef de l'armée pakistanaise, le maréchal Syed Asim Munir (à droite), le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (2e à droite), le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif (2e à gauche) et le ministre saoudien de la Défense photographiés après la signature d'un pacte de défense historique à Riyad, le 17 septembre 2025. (PMO)
Le chef de l'armée pakistanaise, le maréchal Syed Asim Munir (à droite), le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (2e à droite), le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif (2e à gauche) et le ministre saoudien de la Défense photographiés après la signature d'un pacte de défense historique à Riyad, le 17 septembre 2025. (PMO)
Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane reçoit le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif au palais d'Al-Yamamah à Riyad, mercredi. (SPA)
Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane reçoit le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif au palais d'Al-Yamamah à Riyad, mercredi. (SPA)
Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane reçoit le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif au palais d'Al-Yamamah à Riyad, mercredi. (SPA)
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  • Le pacte marque une étape majeure dans le renforcement des liens sécuritaires et économiques entre deux alliés de longue date
  • L'accord de Riyad transforme des décennies de coopération militaire en un engagement sécuritaire contraignant

​​​​​ISLAMABAD : Le Pakistan et l’Arabie saoudite ont signé mercredi un « Accord stratégique de défense mutuelle », s’engageant à considérer toute agression contre l’un des deux pays comme une attaque contre les deux, renforçant ainsi la dissuasion conjointe et solidifiant des décennies de coopération militaire et sécuritaire.

Cet accord intervient moins de deux semaines après les frappes aériennes israéliennes à Doha visant des dirigeants du Hamas, un événement ayant intensifié les tensions régionales et souligné l’urgence pour les États du Golfe de renforcer leurs partenariats sécuritaires.

L'accord de Riyad marque également une volonté des deux gouvernements de formaliser leurs liens militaires de longue date en un engagement contraignant.

Le pacte a été signé lors de la visite officielle du Premier ministre Shehbaz Sharif à Riyad, où il a rencontré le prince héritier et Premier ministre Mohammed ben Salmane au palais Al-Yamamah. Accompagnés de ministres et responsables militaires de haut niveau, les deux dirigeants ont passé en revue ce que le bureau de Sharif a qualifié de relation « historique et stratégique » entre les deux nations, en discutant également des développements régionaux.

« L’accord stipule que toute agression contre l’un des deux pays sera considérée comme une agression contre les deux », a déclaré le communiqué conjoint.

Il décrit le pacte comme un reflet de l’engagement commun des deux gouvernements à renforcer la coopération en matière de défense et à œuvrer pour la sécurité et la paix dans la région et dans le monde.

Depuis des décennies, l’Arabie saoudite et le Pakistan entretiennent des liens étroits sur les plans politique, militaire et économique. Le Royaume accueille plus de 2,5 millions de ressortissants pakistanais — la plus grande communauté d’expatriés pakistanais — et a souvent soutenu financièrement Islamabad lors de crises économiques. La coopération en matière de défense a inclus des formations, des achats d’armes et des exercices militaires conjoints.

Le nouvel accord formalise cette coopération sous la forme d’un engagement de défense mutuelle, une étape qui, selon de nombreux analystes, place cette relation au même niveau que d’autres partenariats stratégiques dans la région.

Bien que le communiqué n’ait pas précisé les mécanismes de mise en œuvre, il a souligné que l’accord visait à développer les aspects de la coopération en matière de défense et à renforcer la dissuasion conjointe face à toute agression.

Cette visite intervient également alors que le Pakistan cherche à renforcer ses liens avec les États du Golfe, dans un contexte de défis économiques persistants.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.pk