À quoi servons-nous?

Le Palais des Congrès dans la ville antique d'AlUla: un reflet moderne d'une civilisation millénaire.
Le Palais des Congrès dans la ville antique d'AlUla: un reflet moderne d'une civilisation millénaire.
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Publié le Mercredi 14 juillet 2021

À quoi servons-nous?

À quoi servons-nous?
  • Nous sommes comme ces milliers d’étrangers qui vivent dans le Golfe et qui assistent, notamment en Arabie saoudite, à un changement d’une ampleur exceptionnelle
  • Nous sommes d’abord les témoins d’une société qui change plus vite qu’aucune autre avant elle

Cela fait maintenant un an qu’Arab News en français a été lancé et que, chaque jour, chaque semaine, des tribunes, points de vue, articles en langue française sont publiés et tentent un pari un peu fou: présenter l’Arabie saoudite telle qu’elle est, parler du Golfe, de l’actualité internationale, de la France en essayant d’adopter une rigueur et une liberté de ton à laquelle nous tenons énormément.

Alors, que voulons-nous? En vérité, nous sommes comme ces milliers d’étrangers qui vivent dans le Golfe et qui assistent, notamment en Arabie saoudite, à un changement d’une ampleur exceptionnelle, quasiment unique dans l’histoire contemporaine. En quelques années, tout a changé et tout change encore au fil des tribunes et articles que nous écrivons. C’est quelque chose de compliqué pour nous car ce que nous publions un jour peut être dépassé une semaine plus tard. Cela nous pousse à une certaine modestie.

Et nous sommes les seuls à décrire ce changement en utilisant la langue française, avec une sensibilité propre à l’expression de cette langue, qui permet d’exprimer des nuances complexes et de faire preuve d’une finesse critique qui est peut-être plus difficile à exprimer dans une autre langue. Nos papiers visent un lectorat francophone, bien entendu, et d’abord ceux qui vivent dans le Golfe et qui peuvent, faits à l’appui, rendre plus tangible et concret ce qu’ils voient au quotidien. De tout évidence, la nombreuse communauté francophone du Golfe nous lit et nous avons souvent de sa part des retours passionnants, qui viennent enrichir notre réflexion.

Mais nous visons également des gens, souvent en France, qui vivent avec une image très passéiste du Golfe et de l’Arabie saoudite. Parfois, on nous écrit de Paris, surpris que nous puissions nous exprimer ainsi dans un média saoudien alors que l’article en question n’a soulevé aucun débat au sein de la rédaction. Parfois encore, nous retrouvons certaines de nos tribunes partagées sur les réseaux sociaux pour appuyer une argumentation, pour étayer un propos sur la surprenante modernité de la région. D’une certaine façon, notre modeste équipe contribue à apporter le regard le plus indépendant possible sur ce qu’il se passe. Nous sommes d’abord des témoins, engagés certes, mais des témoins d’une société qui change plus vite qu’aucune autre avant elle sans qu’il y ait de heurts ou de bouleversements apparents.

Nous sommes donc des témoins du changement et savons aussi faire preuve de sens critique. Et c’est là que la langue française est précieuse: elle permet, sans agressivité, de faire ressortir les pistes de progrès, les axes d’amélioration, les anachronismes que nous pouvons observer dans cette course au changement.

Mais nous ne sommes pas seulement cela. Nous faisons aussi le chemin inverse auprès des nombreux Saoudiens et habitants du Golfe pour qui la France signifie quelque chose. Ils lisent et comprennent le français ou, plus simplement, traduisent nos tribunes et les discutent ensuite. Et ils apprécient qu’on leur parle de la France, que l’on fasse preuve de la pédagogie dont les médias anglophones sont souvent dépourvus. Nous nous efforçons d’expliquer rationnellement et sans passion des sujets aussi sensibles que l’islam en France, la montée des extrémismes, le terrorisme dans un pays qui en est si souvent victime. Là aussi, nous nous efforçons d’apporter des propos argumentés, sans polémiques et sans agressivité à un public qui se pose des questions sur la France et les Français.

Il n’est pas rare, en effet, que nos tribunes qui parlent de la France soient traduites, discutées, critiquées. Et c’est là l’essentiel: nous sommes ici pour développer une culture de la critique, du débat respectueux, de cette pluralité des points de vue que, une nouvelle fois, la langue française et la vigueur du paysage intellectuel de la France permettent d’exprimer au mieux et qui, nous le pensons, font du bien et créent une saine émulation dans toute la région.

Alors, bien entendu, nous ne sommes qu’une petite voix dans une langue qui est loin d’être la plus parlée et dans un océan d’articles polémiques, militants, dont le but est de convaincre et de choquer le lecteur sans le faire réfléchir. Nous avons fait un pari, celui de l’intelligence de la personne qui lira nos tribunes. Nous nous sommes lancés le défi d’être la voix de la modération, de la raison, de tenir des propos équilibrés au sein d’un environnement dans lequel les médias qui traitent du Golfe jouent la carte de la surenchère.

Nous avons choisi de parler de la société, des Saoudiens, des exemples positifs, des petits pas faits par des femmes et des hommes qui veulent être des acteurs de ce changement sans précédent. Bien entendu, notre verbe est moins haut, notre plume est moins acide que ceux qui s’adonnent à des polémiques et traitent de «grande politique». Peut-être ont-ils raison, mais peut-être aussi que le fait de donner la parole à ceux qui sont tellement ignorés par l’Occident peut contribuer à changer pour de bon le regard du monde sur le Golfe.

C’est à cela que nous servons depuis un an. Espérons que nous pourrons y contribuer pour de nombreuses autres années.

 

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.