Pour l'Iran, deux messages opposés

Un manifestant tient un nœud coulant lors d'une manifestation organisée par des partisans du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) contre l'investiture du nouveau président iranien Ebrahim Raisi devant Downing Street dans le centre de Londres le 5 août 2021.  (Adrien Dennis / AFP)
Un manifestant tient un nœud coulant lors d'une manifestation organisée par des partisans du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) contre l'investiture du nouveau président iranien Ebrahim Raisi devant Downing Street dans le centre de Londres le 5 août 2021. (Adrien Dennis / AFP)
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Publié le Dimanche 08 août 2021

Pour l'Iran, deux messages opposés

Pour l'Iran, deux messages opposés
  • Alors que les manifestations de masse se multiplient en Iran, les Iraniens envoient leur propre message de défi
  • Le régime est au point le plus faible de son histoire, ce qui se manifeste par une agitation sociale incessante

Le 7 mai 1945, un réseau radio nazi diffusait un dernier message crypté à ses généraux militaires, présageant la défaite de la Seconde Guerre mondiale. Déchiffré par les Britanniques, il disait : "Fermeture définitive - tous mes vœux - au revoir." Un jour plus tard, l'Allemagne se rendait et le jour de la Victoire était déclaré en Europe.

À bien des égards, cela ressemble au message désespéré que le régime iranien envoie en installant Ebrahim Raïssi à la présidence. Alors que les manifestations de masse se multiplient en Iran, les Iraniens envoient leur propre message de défi. L’Europe devrait en prendre note et se placer du bon côté de l'histoire.

Le régime est au point le plus faible de son histoire, ce qui se manifeste par une agitation sociale incessante. Rien qu'au cours des dernières semaines, par exemple, des dizaines de villes de la province du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays, se sont soulevées pour protester contre la pénurie d’eau, la corruption et la mauvaise gestion du régime. Plusieurs jeunes manifestants ont été tués par les forces de sécurité.

Les protestations se sont étendues à d'autres villes, dont la capitale Téhéran. Les rassemblements de masse ont eu lieu au lendemain d'une grève sans précédent des travailleurs du secteur de l'énergie.

Des enseignants, des étudiants, des retraités, des infirmières, des agriculteurs, des investisseurs spoliés, des commerçants et des travailleurs de tout l'Iran ont également exprimé récemment des demandes de changement démocratique. Quatre séries de soulèvements majeurs à l'échelle nationale ont eu lieu depuis 2017, faisant trembler les piliers du pouvoir.

Dans une telle tourmente, un président impliqué dans un massacre comme Raïssi envoie pour message que le régime a bien l'intention de réprimer brutalement les revendications populaires. Mais sa nomination désespérée entraînera en fait des troubles paralysants pour le régime.

Il s'agit au mieux d'une victoire à la Pyrrhus pour le guide suprême Ali Khamenei, et son protégé, Ebrahim Raïssi.

Raïssi est connu comme le "bourreau de 1988" par les Iraniens moyens. Il représente les penchants les plus sombres de cette tyrannie religieuse. Comme l'ont noté les principaux groupes de défense des droits humains, Raïssi a joué un rôle central dans le massacre de milliers de prisonniers politiques en Iran en 1988.

Au cours de l'été 1988, quelque 30 000 prisonniers politiques, pour la plupart des partisans du principal mouvement de résistance, les Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), ont été exécutés parce qu'ils refusaient de rejeter leur idéal de liberté.

En 2019, en tant que chef du pouvoir judiciaire, Raïssi a également joué un rôle déterminant dans la répression du soulèvement national dans plus de 200 villes. Amnesty International a recensé au moins 7 000 cas d'emprisonnement et de torture par les forces répressives. Au moins 1 500 manifestants, dont des adolescents, ont été abattus. Selon une nouvelle estimation, le nombre de tués pourrait atteindre 4 500.

Les causes de ces soulèvements, notamment la ruine économique et la corruption astronomique de l'État, se sont depuis lors aggravées. La machine répressive ne peut pas éternellement écraser les revendications légitimes et fondamentales, comme l'accès à l'eau potable, à l'air pur et à l'électricité. Les petites protestations évolueront donc vers des soulèvements plus virulents appelant à un changement de régime.

A court de solution, Khamenei a besoin d’intensifier la répression. Il voit un besoin crucial de regrouper ses forces, de resserrer les rangs, d’éliminer les factions rivales et de forger de nouvelles lignes de défense contre les soulèvements imminents de la population.

Mais le problème pour le régime est que, même après les massacres de 1988 et 2019, l'opposition non seulement n'a pas été anéantie, mais s'est même renforcée. Khamenei a reçu le coup politique le plus sérieux depuis des décennies avec le boycott massif, demandé et organisé par l'opposition, du simulacre d’élection présidentielle le mois dernier.

Les Iraniens ont rejeté toutes les factions du pouvoir avec ce boycott. Ils ne sont pas dupes du duo "réformateurs contre partisans de la ligne dure". Ils recherchent un changement démocratique radical pour satisfaire leurs demandes et leurs libertés fondamentales.

Une nouvelle ère s'est ouverte dans la politique iranienne. En récusant l'entreprise criminelle au pouvoir comme étant totalement illégitime, le peuple se tournera vers une alternative viable à ce régime. Déjà, des jeunes avides de changement rejoignent les unités de résistance de l’OMPI en Iran, qui organisent des actes de défiance et des manifestations dans tout le pays.

Raïssi n'est clairement pas une solution durable pour le régime. Il incarne, au contraire, son crépuscule. Dès lors, pourquoi la communauté internationale offrirait-elle une bouée de sauvetage à ces criminels en voulant les satisfaire ou en négociant avec eux ?

La communauté internationale, et en particulier l’Europe, devrait au contraire se ranger du côté du peuple iranien, condamner ouvertement ce régime comme illégitime, qualifier Raïssi de meurtrier de masse et adopter une politique ferme vis-à-vis de Téhéran. Une enquête internationale sur les crimes passés de Raïssi devrait être lancée immédiatement, notamment en ce qui concerne le massacre de 1988. Tel est le message que des dizaines de milliers d'Iraniens et leurs soutiens internationaux ont envoyé pendant les trois jours du Sommet mondial pour un Iran libre qui s’est tenu début juillet.

Avec Raïssi, la tyrannie religieuse en Iran a envoyé son dernier message : "fermeture définitive, au revoir". Le peuple iranien fêtera sans doute bientôt son jour de victoire, avec, espérons-le, le reste du monde qui l'acclamera.

 

* Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.