À propos de binationalité : Naturalisation ou… réintégration?

L'attaquant français du Real Madrid Karim Benzema (D) avec l'entraîneur français du Real Madrid Zinedine Zidane après avoir marqué un but lors du match de football de la ligue espagnole entre le Real Madrid CF et l'Athletic Club Bilbao au stade Alfredo di Stefano à Madrid le 15 décembre 2020. OSCAR DEL POZO / AFP
L'attaquant français du Real Madrid Karim Benzema (D) avec l'entraîneur français du Real Madrid Zinedine Zidane après avoir marqué un but lors du match de football de la ligue espagnole entre le Real Madrid CF et l'Athletic Club Bilbao au stade Alfredo di Stefano à Madrid le 15 décembre 2020. OSCAR DEL POZO / AFP
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Publié le Jeudi 09 septembre 2021

À propos de binationalité : Naturalisation ou… réintégration?

À propos de binationalité :  Naturalisation ou… réintégration?
  • Pour tout Algérien né avant l’indépendance (1962) qui demande à être Français, l’administration française ne parle pas de naturalisation mais de réintégration
  • Arrêtons donc de fustiger les binationaux! D’autres pays, et non des moindres, ont l’intelligence de les associer au développement et à l’épanouissement de leurs sociétés d’origine

Voilà quelques mois, un universitaire algérien a posté sur Facebook la copie d’une édition du Journal officiel (français) contenant tout un listing de nouveaux naturalisés! Parmi ces derniers figurait un écrivain médiatisé pour ses écrits de convenance. L’initiative de l’universitaire, qui se voulait «journalistique», s’apparentait plutôt à de la délation. C’est qu’en Algérie tout naturalisé, même binational, est perçu comme un traître à sa patrie, surtout s’il a opté pour la nationalité française. Des Algériens devenus canadiens, hollandais, allemands ou suédois (et j’en connais) sont plutôt bien vus, voire enviés… Mais un «Persan à Paris» est plus romantique et plus exotique qu’un Algérien naturalisé… Français.

«Nationalité sportive»

À moins d’être Zinedine Zidane ou Karim Benzema, tous deux franco-algériens et fiers de l’être, vous ne serez pas épargné. Et Wikipédia fait preuve d’une sacrée et perverse subtilité, en présentant les deux champions sous l’étiquette «Nationalité sportive: Français». Oui, au pays de Voltaire, on peut être de «nationalité sportive», comme si le sport était devenu une patrie. Après tout, les champions en toutes catégories doivent se sentir quelque part «compatriotes», partageant une identité de… corps, voire d’esprit. L’esprit sportif, ça existe bien!...

Zinedine Zidane ne rate pas l’occasion de se dire «fier d’être Algérien». Et lorsque les Fennecs, le Onze algérien, se distinguent, il est le premier à applaudir, comme après la deuxième Coupe d’Afrique (juillet 2019) remportée par les Fennecs. Le coach du Real Madrid avait écrit sur Instagram: «Félicitations à l’équipe d’Algérie, la victoire de tout un peuple... One, Two, Three, Viva l’Algérie! Je vais continuer à faire briller son étoile tous les jours de ma vie...»

Karim Benzema va plus loin: le public ne l’a jamais «vu» chanter la Marseillaise, ce qui lui vaut des salves de critiques et d’injures sur les réseaux sociaux. S’il se dit tout autant que Zizou fier de ses origines algériennes, il sait botter en touche (ce qu’il ne fait jamais sur le terrain, pour ainsi dire!) quand un journaliste s’aventure à lui demander «Pourquoi les Bleus et pas les Fennecs?», sa réponse est moins assurée: «C'est plus pour le côté sportif, parce que l'Algérie c'est mon pays, voilà, mes parents ils viennent de là-bas. Après, la France, c'est plus sportif, voilà.»

Oui, au pays de Voltaire, on peut être de «nationalité sportive», comme si le sport était devenu une patrie.

 

Certes, les deux stars du foot sont au Panthéon des supporters algériens, mais ces derniers ne sont pas toujours aussi fervents dès qu’ils se sentent comme floués par d’autres joueurs binationaux. Il faut savoir qu’une douzaine de joueurs de l’équipe des Fennecs sont franco-algériens, comme le rappelle Sandra Lorenzo, qui ajoute: «En Algérie aussi, la binationalité dans le foot ou ailleurs, est un “sujet crispant” selon les mots de Karim Amellal. Lors de l’élimination des Verts au premier tour de la CAN en 2017, l’équipe nationale algérienne fut la cible d’attaques xénophobes pourfendant les joueurs binationaux, qualifiés de traîtres ou de “Français”»[i].

 

Vous avez dit «réintégration»?

Arrêtons donc de fustiger les binationaux! D’autres pays, et non des moindres, ont l’intelligence de les associer au développement et à l’épanouissement de leurs sociétés d’origine. Le Maroc n’a pas de binationaux célèbres dans le football, il en a surtout en politique. En France, on le sait, mais pas seulement: aux Pays-Bas, le maire (bourgmestre) de Rotterdam est bien marocain…

En tout état de cause, pour revenir aux Algériens, chacun est libre de son identité comme de son devenir. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut de sa naturalisation, et même de s’en servir!... Cela dit, pour qui veut se faire un nom, la nationalité française, qui n’est plus ce qu’elle fut pour un Cioran ou un Kundera, ne suffit plus. Elle est utile surtout pour s’épargner les queues interminables dans les aéroports de l’espace Schengen. De nos jours, pour se distinguer, voire pour être distingué, il suffit de taper sur son pays et sur l’islam (même pas sur l’islamisme), avec à la clé une fausse fatwa, une «fatwa de convenance»…

Sur le listing que j’évoquais plus haut, on nous apprend donc que tel écrivain médiatique avait fini par opter pour la nationalité française. Et qu’un autre, tout aussi médiatisé, était en voie de l’obtenir. Question que je pose ici: est-ce que cela ôterait automatiquement l’algérianité tant chantée à la personne naturalisée? Personnellement, je ne le pense pas. Ou alors, cela dépend de ce que la personne en question fera de son rapport à sa société d’origine... Si c'est pour se mettre à la fustiger à tout-va, sans nuance et par une essentialisation indigne du statut d'intellectuel, et si c'est pour chanter ensuite la nouvelle patrie, c'est qu'il y a maldonne…

En lisant le Journal officiel de la République française, transmis par l’universitaire évoqué au tout début, un mot me fit tressaillir, me ramenant aux années 1980: «Réintégration»…

Et c’est là que se situe la singularité des rapports postcoloniaux entre la France et l’Algérie. Singularité due à l’Histoire, et que ne connaissent ni la Tunisie ni le Maroc. Le fait est que pour tout Algérien né avant l’indépendance (1962) qui demande à être Français, l’administration française ne parle pas de naturalisation mais de réintégration. Mes ami-e-s marocain-e-s ne connaissent nullement cette (fausse) distinction. Normal: l’Algérie fut un département français, ou plus exactement elle comptait trois départements français. Juridiquement, donc, pour l’administration française, un Algérien né avant l’indépendance n’a pas à demander sa naturalisation mais sa réintégration!

Cette «distinction», je l’avais personnellement mal vécue, voilà plus de trente ans… Aujourd’hui encore, je suis toujours rivé à ma nationalité d’origine. Non pas que j’aie toujours refusé de me «naturaliser», mais une tentative m’avait suffi: en 1986, j’avais mis plusieurs semaines à réunir les pièces et documents exigés par les services de la préfecture. Le jour du rendez-vous au service des naturalisations, et juste avant de sortir, je voulus une énième et dernière fois m’assurer qu’il ne manquait rien, sachant que tout dossier incomplet vous valait un report du rendez-vous de plusieurs mois... Vérification faite, je refermai le dossier. Et c’est alors qu’un mot, dans l’intitulé, me sauta aux yeux, littéralement, un mot, qui, jusque-là, n’avait curieusement pas accroché mon regard: Demande de... «RÉINTÉGRATION»!

La seule vue de ce mot me fit, d’un geste brusque, écarter le dossier. Et c’est ainsi que je découvris que demander à être naturalisé «Français» revenait, pour tout Algérien né avant l’indépendance, à faire repentance, en quelque sorte, et quelle repentance!...

Le temps passant, j’ai beau me convaincre du formalisme dont je fis preuve, je persiste à rejeter l’idée d’avoir non pas à intégrer mais à «réintégrer» une patrie qui ne fut jamais mienne.

 

[i] Algérie - Sénégal: pourquoi certains binationaux célèbrent leurs victoires plus que d'autres (Sandra Lorenzo, Huffington Post, 19-7-2019)

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.