À la douce mémoire de Youssef Khazem: collègue, mentor et ami

Youssef Khazem (1957 - 2021)
Youssef Khazem (1957 - 2021)
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Publié le Jeudi 16 septembre 2021

À la douce mémoire de Youssef Khazem: collègue, mentor et ami

À la douce mémoire de Youssef Khazem: collègue, mentor et ami
  • J’ai beaucoup appris de Youssef. Sur le plan professionnel, il a l’œil pour les erreurs et les jugements éditoriaux erronés. Le journalisme coule dans ses veines.
  • Youssef est un homme à la carrure imposante, à l’élégance naturelle. Tout le monde l’admire, que ce soit dans la salle de rédaction ou ailleurs.

La nouvelle du décès de notre cher collègue et ancien rédacteur en chef adjoint Youssef Khazem mercredi nous a profondément bouleversés. Elle n’a cependant rien de surprenant. Youssef souffrait d’un cancer depuis trois ans environ et, malheureusement, l’ancien correspondant de guerre a perdu son ultime bataille contre la maladie.

Nous, journalistes, sommes si habitués à couvrir les mauvaises nouvelles que nous devenons presque insensibles à la tragédie. Cette fois pourtant, une larme coule le long de ma joue. J’ai la gorge nouée par l’émotion. Néanmoins, il faut que je me ressaisisse pour écrire cette nécrologie.

Je pensais que ces quelques mots seraient faciles à écrire. Dans notre culture, quand on pleure quelqu’un, on a tendance à dire: «Il suffit d’évoquer ses qualités.» Mais je me suis vite rendu compte que Youssef a d’innombrables qualités qui ne peuvent être toutes citées dans un article. Les mots ne pourraient donc en aucune façon lui rendre justice.

Dans toute salle de rédaction, il existe un collègue, généralement plus expérimenté, qui devient une figure paternelle pour tout le monde. Douce, chevronnée et extrêmement patiente, cette personne est celle vers laquelle on se tourne quand on a besoin de conseils – qu’ils soient professionnels ou personnels. C’est elle qui résout les problèmes. C’est elle qui tente souvent de raisonner les nouveaux venus au tempérament fougueux.

En 2004, ce nouveau venu au siège du quotidien panarabe Asharq Al-Awsat à Londres, c’est moi. Youssef est la figure paternelle. Il avait 47 ans à l’époque et, moi, 23. Je n’étais au Royaume-Uni que depuis six mois à peine. Youssef venait tout juste de quitter son concurrent Al-Hayat où il s’était forgé une réputation en couvrant les conflits en Afrique. Je n’étais qu’un jeune diplômé avec quatre ans d’expérience.

J’ignorais à ce moment-là que la personne assise en face de moi deviendrait un mentor, un ami, un consultant et, enfin, mon assistant à la rédaction. Plus de dix-huit ans se sont écoulés. Le temps passe si vite.

J’ai beaucoup appris de Youssef. Sur le plan professionnel, il a l’œil pour les erreurs et les jugements éditoriaux erronés. Le journalisme coule dans ses veines. C’est pour cette raison qu’il devient inévitablement consultant et formateur. Il travaille également avec la BBC. En plus de ses longues années au sein du quotidien Al-Hayat, il apporte une précieuse contribution à d’autres médias saoudiens et aide à relancer le quotidien Al-Watan entre 2008 et 2011. Lorsque je décroche mon premier poste de rédacteur à Al-Arabiya English, il vient rapidement à la rescousse. Il aide à former une équipe de quinze personnes et à relancer le site qui connaît aujourd’hui un énorme succès. Plus de 900 000 abonnés sur Twitter contre 70 000 seulement à nos débuts en 2012. Presque toutes les personnes qu’il a formées occupent aujourd’hui un poste éditorial ou de communication de premier plan.

Quand j’ai rejoint l’équipe d’Arab News il y a cinq ans, Youssef est le premier que j’ai appelé. Les conversations que nous avons au cours des mois qui suivent sont prévisibles: je suis pris de panique; il sourit en disant que tout ira bien. Il a toujours raison.

Lorsque l’on m’a nommé rédacteur en chef, mes intentions ont été remises en doute. C’est grâce à Youssef que tout le monde s’est senti à l’aise. C’est la première fois qu’un professionnel expérimenté parle des descriptions de poste, des objectifs, des indicateurs clés de performance et du flux de travail. Il décide également d’accompagner les nouveaux venus qu’il transforme en excellents rédacteurs.

Nous avons relancé Arab News le 3 avril 2018 lors d’un grand événement au cours de l’Arab Media Forum à Dubaï. Youssef est le premier que je remercie, mais il n’est pas là… Pourquoi? Parce qu’il est exactement ce genre de personne qui travaille dans l’ombre pour permettre aux autres de briller tant il aime ce qu’il fait, le fait bien et se sent apprécié. C’est d’ailleurs grâce à la gestion impeccable de Youssef du projet de relance qu’Arab News remporte un prix aux Wan-Ifra Awards plus tard cette année à Berlin pour la meilleure restructuration de journal au monde.

Youssef était un homme à la carrure imposante, à l’élégance naturelle. Tout le monde l’admirait, que ce soit dans la salle de rédaction ou ailleurs. Il avait un sens de l’humour incroyable, était doué pour les plaisanteries et, plus que tout, appréciait les bons mets grâce à ses nombreux voyages et expériences à travers le monde.

Youssef Khazem travaille dans l’ombre pour permettre aux autres de briller tant il aime ce qu’il fait, le fait bien et se sent apprécié.

Faisal J. Abbas

Sur le plan personnel, je n’exagère pas en disant que Youssef avait un cœur d’or. Je sais qu’il n’aurait pas aimé que je parle de tout ce qu’il a fait pour moi et pour les autres. Je passerai donc sous silence les détails mais permettez-moi de dire ce qui suit: Youssef est la preuve vivante que c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis.

Il y a trois ans environ, la nouvelle de son cancer m’a profondément attristé. Fier, honnête au plus haut point, il démissionne de son poste à Arab News. J’insiste pour qu’il reste jusqu’à ce qu’il se rétablisse mais il est catégorique. Après un mois de négociations, c’est lui qui a le dernier mot. J’accepte sa démission. Le cancer n’aura jamais raison de toi, lui dis-je. J’ajoute que je suis prêt à miser sur son prompt rétablissement et son retour au travail.

Malheureusement, j’ai tort. La pandémie commence à se propager. Youssef a la chance de ne pas attraper la Covid-19 mais son traitement est interrompu et sa santé se détériore. Il y a trois semaines environ, il m’envoie un message vocal au beau milieu de la nuit. Sa voix semble différente de celle du Youssef jovial qui avait le don de m’apaiser. J’ai l’impression qu’il m’envoie un message d’adieu. Je prends l’avion pour Londres afin de le voir. J’ai la chance de passer du temps avec lui au cours des derniers jours où il est conscient, même si ce n’est qu’une trentaine de minutes. Jusqu’à son dernier souffle, Youssef avait toujours beaucoup à m’apprendre.

Bien qu’il soit cloué au lit, sous médicaments et en proie à une douleur atroce, il garde ce sourire digne qui lui coûte tant. Il est sur le point de rendre l’âme mais trouve quand même moyen de détourner la conversation et de me demander comment je m’en sors avec la gestion du journal. Il me demande même comment il peut se rendre utile!

Youssef laisse dans le deuil sa femme Dima, son fils Karim et sa fille Noor. Il restera également dans la mémoire de ces dizaines de jeunes journalistes qui ont tous fait carrière grâce à sa formation, sa patience et son professionnalisme.

En mémoire de Youssef, nous, chez Arab News, sommes fiers de renommer le département de formation et de développement du journalisme que nous avons créé l'année dernière. Pour honorer sa mémoire à jamais, nous nous associerons aux meilleures institutions du monde pour garantir que chaque journaliste diplômé de ce département puisse avoir la meilleure formation et la meilleure attention possible.

Repose en paix, mon cher ami.

 

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d’Arab News

Twitter: @FaisalJAbbas

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.