Fin de partie en Afghanistan, un moment fondateur

On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec l’engagement de la France au Sahel depuis 2013. Certes, comparaison n’est pas raison. Mais deux vérités se sont imposées à Bamako comme à Kaboul. La première, c’est qu’une armée traditionnelle, faite pour la guerre entre pairs, n’est pas adaptée pour faire face aux guerres «irrégulières». (AFP).
On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec l’engagement de la France au Sahel depuis 2013. Certes, comparaison n’est pas raison. Mais deux vérités se sont imposées à Bamako comme à Kaboul. La première, c’est qu’une armée traditionnelle, faite pour la guerre entre pairs, n’est pas adaptée pour faire face aux guerres «irrégulières». (AFP).
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Publié le Vendredi 17 septembre 2021

Fin de partie en Afghanistan, un moment fondateur

Fin de partie en Afghanistan, un moment fondateur
  • C’est la notion même d’intervention internationale, que dans le jargon français nous appelons «opex» (opération extérieure), qui se trouve mise en cause
  • C’est le moment pour les Européens de se préparer à assumer leur autonomie stratégique, du point de vue des concepts, d’abord, et des moyens, ensuite

À coup sûr, il fallait mettre un terme à cette guerre sans fin que les Américains menaient depuis vingt ans avec le concours de leurs alliés.

On savait depuis longtemps qu’elle n’avait pas d’issue, que la fin signifierait seulement le départ des Occidentaux. On savait aussi qu’entre le régime de Kaboul et les talibans il n’y avait pas de compromis possible, puisque les talibans rejetaient la Constitution afghane en vigueur et voulaient imposer la charia. On savait enfin que l’Amérique allait s’en accommoder puisque le gouvernement afghan avait été écarté de la négociation de Doha, laquelle ne concernait donc plus que les conditions du retrait des États-Unis et de leurs alliés. Il n’empêche, la surprise fut grande, la stupéfaction totale dans les médias et les opinions publiques du monde entier, donnant l’image d’une débâcle matérielle, intellectuelle et morale.

La réalité cependant était un peu différente. Contrairement à ce qui a été généralement dit, tout avait été préparé, mais avec la brutalité coutumière des Américains. Les autorités afghanes étaient abandonnées en rase campagne, la date de départ arrêtée et rendue publique dès avril, tout cela sans aucune concertation ni avec les dirigeants afghans, ni avec les alliés, ni avec personne. Pire: le peuple afghan aura été le dernier prévenu et le premier sacrifié. Il n’aura compté pour rien ou presque dans les décisions américaines. Seule concession: le rapatriement des étrangers et des Afghans ayant été engagés auprès des autorités américaines, grâce à un pont aérien mené avec le savoir-faire d’outre-Atlantique.

Pour les États-Unis, c’est un tournant de la plus haute importance. La ligne géopolitique inaugurée par George W. Bush visant à installer de gré ou de force au Moyen-Orient des régimes «démocratiques» qui leur seraient favorables, en particulier en Irak et en Afghanistan, vient de rendre l’âme. Définitivement semble-t-il. Les Américains renoncent –enfin!  à être les gendarmes du monde. Ils ne vont pas gérer l’événement comme une défaite mais comme une reconversion. Ils sont partis de Kaboul parce qu’il n’y avait pas d’enjeu qui justifie une telle mobilisation de moyens matériels, financiers et humains. Ils vont désormais se concentrer sur la défense et la promotion de leurs intérêts dans le monde. Ce n’est pas le retour de l’isolationnisme, c’est un changement de paradigme à Washington.

L’Iran, le Pakistan, la Chine, la Russie l’Ouzbékistan et le Tadjikistan seront d’autant plus attentifs que le kaléidoscope compliqué des ethnies afghanes déborde largement par-delà les frontières du pays sur les territoires voisins.

Hervé de Charette

La première conséquence, très concrète, c’est que les voisins de l’Afghanistan vont devoir s’en débrouiller. L’Iran, le Pakistan, la Chine, la Russie l’Ouzbékistan et le Tadjikistan y seront d’autant plus attentifs que le kaléidoscope compliqué des ethnies afghanes déborde largement par-delà les frontières du pays sur les territoires voisins.

On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec l’engagement de la France au Sahel depuis 2013. Certes, comparaison n’est pas raison. Mais deux vérités se sont imposées à Bamako comme à Kaboul. La première, c’est qu’une armée traditionnelle, faite pour la guerre entre pairs, n’est pas adaptée pour faire face aux guerres «irrégulières». La seconde, c’est que la lutte contre les mouvements de type djihadiste relève beaucoup moins de moyens militaires, à fortiori venus de l’étranger, que de politiques inclusives et de pratique de terrain menées par les autorités locales.

Il est très probable que la légitimité de l’opération Barkhane, déjà très ébranlée, aux yeux de nos partenaires européens en particulier, soit encore plus affaiblie. En réalité, c’est la notion même d’intervention internationale, que dans le jargon français nous appelons «opex» (opération extérieure), qui se trouve mise en cause. Dans l’après-guerre froide après l’effondrement de l’Union soviétique, les Occidentaux se sont cru autorisés à multiplier ces interventions, en Irak , en Serbie et en Libye notamment, avec chaque fois de piteux résultats. Il y a fort à parier que c’en est fini et on ne le regrettera pas. À ce titre, la guerre d’Afghanistan apparaît bien comme le dernier conflit de l’ancien monde.

L’Otan est sûrement la principale institution de cet ancien monde. Fondé en 1948 pour protéger l’Europe occidentale contre la menace soviétique, elle a vu sa compétence étendue à l’ensemble de la planète après 1989, la disparition de l’URSS et la dissolution du pacte de Varsovie. Elle vient de subir en Afghanistan un échec dans des conditions qui la disqualifient pour assurer notre sécurité dans le monde d’aujourd’hui. C’est le moment pour les Européens de se préparer à assumer leur autonomie stratégique, du point de vue des concepts, d’abord, et des moyens, ensuite. Comme on le voit, la fin du conflit en Afghanistan, c’est un moment fondateur, peut-être le début d’un monde nouveau.

 

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.

Twitter: @HdeCharette

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.