Éric Zemmour, un olivier aux racines peu profondes?

Journaliste vedette de télévision, essayiste, omniprésent, Éric Zemmour surfe sur les méandres de l’histoire de France. (AFP)
Journaliste vedette de télévision, essayiste, omniprésent, Éric Zemmour surfe sur les méandres de l’histoire de France. (AFP)
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Publié le Mercredi 22 septembre 2021

Éric Zemmour, un olivier aux racines peu profondes?

Éric Zemmour, un olivier aux racines peu profondes?
  • Depuis des décennies, la thèse de l’invasion est activée par une partie de la droite pour stopper «la cinquième colonne»
  • Zemmour le messie veut réveiller les consciences des résistants. Les «Blancs de France.» Les gens d’ici. Cela fait dix ans qu’il s’agite et prospère dans la fachosphère islamophobe. Dix ans de «lepénisation des esprits»

Journaliste vedette de télévision, essayiste, omniprésent, Éric Zemmour surfe sur les méandres de l’histoire de France. Ses provocations soulèvent haines et approbations, moqueries et louanges. Le sexagénaire ne craint pas les procès pour incitation à la haine raciale, ils lui coûtent des sommes ridicules au regard des dégâts qu’il cause au corps social.

Infatigable, il veut imposer des prénoms français aux «étrangers», protéger le «petit blanc» abandonné en pâture aux «musulmans menaçants», lutter contre le «Grand remplacement», expulser les musulmans chez eux, défendre les employeurs qui ont «le droit de refuser des Arabes ou des Noirs»... Ça n’en finit pas.

Ses diatribes sont tissées de mensonges, simplifications, amalgames et caricatures sur les «Noirs», les «Arabes», le «petit blanc», les «musulmans» qui, pour lui, seraient tous des colonisateurs venus en France avec leur religion «qu'ils imposent de gré ou de force aux Français de souche qui doivent se soumettre […] ou fuir». Il questionne: «Les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres? Si oui, ils méritent leur colonisation; sinon, ils devront se battre pour leur libération.»

Mais quelle est donc sa définition du «jeune Français»? On le devine. N’empêche que le trublion incarne le mal-être français. Il porte les angoisses, souffrances et fantasmes de tout un peuple. Toutefois, il a une constante: la haine des musulmans et de l’islam. Une haine viscérale… Tous les enfants d’immigrés maghrébins, comme moi, nés en France, l’ont déjà sentie dans les regards. Cette créature s’est propulsée au début des années 2010. Depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un moment en effet, où l’islam a été instrumentalisé dans le champ politique, amalgamé avec les banlieues, l’insécurité, si bien que les Français se sont retrouvés en pleine guerre identitaire autour du halal, des minarets, du cochon, du voile, de la burqa… Une guerre qui a distillé le syndrome du «Grand remplacement».

Aujourd’hui, c’est ce que Zemmour fait encore et toujours. Il recycle la thèse de l’identité nationale, comme Nicolas Sarkozy, à la manœuvre en 2006 pour la présidentielle, décrétant que la France devait débattre – non pas de l’égalité des chances! – mais de son identité nationale.

Azouz Begag

Les Arabo-musulmans sont devenus un déversoir de haine. Les exemples abondent, éloquents. En 2014, par exemple, à Wissous, le maire UMP à propos des femmes voilées: «L’islam va nous avaler! J’ai tant de rage contre ceux qui […] nous imposent des centaines de milliers de Rachida et de Mohammed», «Ras-le-bol! Vive le christianisme»…

Depuis des décennies, la thèse de l’invasion est activée par une partie de la droite pour stopper «la cinquième colonne». Nicolas Sarkozy en 2007 énonçait: «… Quand on habite en France, on respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, qu’on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement.» Un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration était créé et confié à Brice Hortefeux. Au sommet de l’État, ainsi, le débat pernicieux sur la compatibilité de l’islam et la République était installé.

Rapidement, le nombre des dérives islamophobes était impressionnant, mais le pic était atteint par le ministre Hortefeux à propos des Arabes: «Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes…!» Puis le maire UMP de Goussainville, invité au débat sur l'identité nationale, déclarait sur France 2: «Il est temps qu'on réagisse, parce qu'on va se faire bouffer… Il y en a déjà dix millions…» Les langues se décomplexaient. Éric Zemmour a seulement surfé sur cette déferlante islamophobe. Puis la ministre Nadine Morano surenchérissait: «Moi, ce que je veux du jeune musulman, quand il est français, c’est qu’il aime son pays, trouve un travail, qu’il ne parle pas le verlan, qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers». On croit rêver. Dans sa bouche, le «jeune des banlieues» est devenu «le jeune musulman».

Aujourd’hui, c’est ce que Zemmour fait encore et toujours. Ses provocations suintent la haine des musulmans qui, pour lui, «… qu'ils le disent ou ne le disent pas, considèrent les djihadistes comme de «bons musulmans» et mènent une guerre d'extermination de l'homme blanc hétérosexuel catholique». Il recycle la thèse de l’identité nationale, comme Nicolas Sarkozy, à la manœuvre en 2006 pour la présidentielle, décrétant que la France devait débattre – non pas de l’égalité des chances! – mais de son identité nationale.

La conquête de l’électorat du FN était lancée. Faux débats et incidents ont marqué l’époque. La droite populaire criait haro à l’islamisation, avec Gérard Longuet, Éric Zemmour, Lionel Lucas, Jean-Claude Gaudin, Le Pen, Éric Besson, vilipendant le «terrorisme intellectuel» et les «tyranneaux de l’antiracisme», jurant que les «blancs» étaient les vrais discriminés chez eux.

Aujourd’hui, Éric Zemmour engrange les dividendes, politiques et commerciaux, de cette sale période. Avant la présidentielle de 2012, «la dangerosité de l’islam» en France servit de frontière au clivage droite-gauche, chacun devait se positionner avec ou contre nous. En 2011, Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, déclarait: «Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale.» Il est aujourd’hui mis en examen pour corruption.

Encore une fois, Éric Zemmour remixe en 2021 la même formule. Dans les années 2010, les agressions se multipliaient contre les mosquées et dans les cimetières musulmans. Cochon, apéro jambon-pinard dans les rues et au Palais Bourbon, les produits du terroir français servaient la guerre des racines. Depuis, les haines et les peurs sont ancrées, des politiques en embuscade soufflent sur leurs braises pour les attiser.

Ainsi en est-il d’Éric Zemmour qui pousse impunément le curseur plus loin. En 2009, il participait à un débat sur l’intégration, et à propos des contrôles au faciès, lançait: «Les Français issus de l'immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est un fait.» Il se défendait: «Ce n’est pas un dérapage, c’est une vérité. Je ne dis pas que tous les Noirs et les Arabes sont des délinquants! Je dis juste qu’ils sont contrôlés plus souvent parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux. Demandez à n’importe quel policier.»

Grotesque. Que veut dire «les Noirs et les Arabes?» Quels Arabes? Ceux du Golfe? Les Arabes chrétiens? Les Kabyles? Et quels Noirs? Quant à la «vérité», il propose de faire témoigner “n’importe quel” policier. Insensé. Cependant, ses clivages simplistes fonctionnent: soit on est de ceux qui disent la vérité contre ledit “terrorisme intellectuel”, soit des gauchos qui défendent les «Arabes» et les «Noirs».

Zemmour le messie veut réveiller les consciences des résistants. Les «Blancs de France.» Les gens d’ici. Cela fait dix ans qu’il s’agite et prospère dans la fachosphère islamophobe. Dix ans de «lepénisation des esprits». Nicolas Sarkozy avait ouvert la boîte de Pandore en décomplexant la droite française: préférence nationale, identité, immigration choisie et non subie, karchérisation des banlieues et leur racaille, guerre contre les bandes de voyous… Il avait tout récupéré du discours FN.

Dès lors, l’expression «on va se faire bouffer» illustre bien ce sentiment installé aujourd’hui chez une partie des Français et que Zemmour réveille de nos jours avec sa candidature putative. Ils vivent la présence des musulmans comme un viol de leur identité chrétienne et laïque. La France en a fait une grande cause nationale grâce à Nicolas Sarkozy… aujourd’hui accusé d’association de malfaiteurs par la justice, mis en examen quatre fois dans l’affaire du financement libyen de sa campagne. Quatre fois! Un multirécidiviste.

En 2010, j’étais tête de liste Modem aux régionales en Rhône-Alpes. Un jour, sur un marché de Lyon où je menais campagne, une vieille lyonnaise jette à terre mon affiche électorale et m’invective méchamment: «Pourquoi vous venez vous présenter en France? Est-ce que les Français vont se présenter aux élections en Algérie?» Elle ne reconnaissait plus la France de son enfance, comme se plaint Zemmour, pour qui «C’est aux Halles de Paris que l'on sent le mieux, physiquement, la disparition d'un peuple français […] tandis que, venant de banlieue depuis le fin fond de l'Afrique, un peuple arabo-musulman s'est substitué aux anciens habitants». La dame était dégoûtée. Autour de moi, chacun souriait sous le soleil amer.

En 2007, une majorité des Français pensait trouver en Nicolas Sarkozy le sauveur des valeurs morales, de la fierté et de l’identité nationale reconquises, heureux d’avoir trouvé le sauveur de la nation déliquescente. Il a fait pschitt. Hier, à un ami cher, Jacques, 80 ans, j’ai dit qu’aujourd’hui Éric Zemmour incarnait un nouveau gouailleur providentiel. Il m’a dit: «Il ne dit pas que des c…».

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.