Les Bleus n’ont pas dit leur dernier mot!

De Karim Benzema à Kylian Mbappé, Kimpembe, Griezmann, Upamecano, Camavinga, Pogba et à tous ces joueurs français venus d’ici ou d’ailleurs qui, à l’issue d’un match héroïque en finale de la Ligue des nations, ont vaincu l’Espagne après avoir été menés au score. (AFP)
De Karim Benzema à Kylian Mbappé, Kimpembe, Griezmann, Upamecano, Camavinga, Pogba et à tous ces joueurs français venus d’ici ou d’ailleurs qui, à l’issue d’un match héroïque en finale de la Ligue des nations, ont vaincu l’Espagne après avoir été menés au score. (AFP)
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Publié le Mardi 12 octobre 2021

Les Bleus n’ont pas dit leur dernier mot!

Les Bleus n’ont pas dit leur dernier mot!
  • Contre les sorties politico-médiatiques récurrentes de Zemmour, contre les faux débats basés sur des notions erronées, il faut regarder les matchs de foot, car ce sport est une belle leçon de vie
  • La France, c’est celle des Arabes, des Noirs, des Blancs, des juifs, des musulmans, des chrétiens et des athées, citoyens arc-en-ciel qui jouent dans la même équipe, portent le même maillot, ne renoncent jamais

«Les Bleus n’abandonnent jamais», «Karim Benzema plus heureux et épanoui que jamais», «L’équipe de France, redevenue un monstre d’orgueil, remporte la Ligue des nations»… Ce dimanche 10 octobre 2021, à 22h30, les louanges pleuvaient. La France a gagné. Pas la France d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen, qui incarnent celle des peurs, des fantasmes, du racisme, de l’islamophobie, de «Dupont Lajoie»... Non, la France qui a gagné est en bleu, celle des Bleus.

De Karim Benzema à Kylian Mbappé, Kimpembe, Griezmann, Upamecano, Camavinga, Pogba et à tous ces joueurs français venus d’ici ou d’ailleurs qui, à l’issue d’un match héroïque en finale de la Ligue des nations, ont vaincu l’Espagne après avoir été menés au score. Deux buts de la victoire signés par Karim et Kylian, des attaquants vaillants, aux prénoms non francisés (sic), déterminés à faire gagner leur pays, et qui n’ont jamais baissé les bras. Ils ont résisté collectivement, fait bloc, se sont parlé, démontrant un orgueil qui a donné des frissons à des millions de Français.

C’est cela la France. Celle d’aujourd’hui et de demain. Celle des Arabes, des Noirs, des Blancs, des juifs, des musulmans, des chrétiens et des athées, citoyens arc-en-ciel qui jouent dans la même équipe, qui portent le même maillot, qui ne renoncent jamais – même s’ils sont menés au score –, qui marquent des buts sans craindre leurs redoutables adversaires… Ce 10 octobre 2021, il a fait beau sur la république. Nous sommes champions. La victoire des tricolores est tombée à pic.

Il reste encore sept mois sur le terrain celui de la politique cette fois –, avant la finale présidentielle pour refaire le même match, avec une ferveur collective identique et les mêmes ingrédients. Ceux d’une équipe talentueuse qui joue collectif, d’une nation soudée, en dépit des singularités de chaque joueur. Les Bleus, au fond, incarnent la France que nous aimons, la France que nous voulons.

En cet automne, où les discours nauséabonds polluent les prétendus «débats politiques» dans les médias, les Bleus sont une réponse providentielle à la lepénisation/zemmourisation des esprits. Dans le champ sportif, on est loin du champ politique! On se souvient, qu’avant Zemmour, il y a dix ans, la liste était longue des thèmes de campagne du FN qui avaient débordé la droite classique avec les valeurs de fierté nationale, d’orgueil, de patriotisme, à coups de slogans: «Fier d’être Français! Va-t-on s’excuser d’être Français?  

C’est cela la France. Celle d’aujourd’hui et de demain. Celle des Arabes, des Noirs, des Blancs, des juifs, des musulmans, des chrétiens et des athées, citoyens arc-en-ciel qui jouent dans la même équipe 

Azouz Begag

Défendons notre drapeau et notre hymne national! Pensons d’abord aux victimes avant de penser aux coupables»... Clivants, ces appels étaient conçus comme un appel à un sursaut des patriotes contre les «angéliques», les «humanistes», qui pécheraient par excès de laxisme, de générosité, de tolérance, d’hospitalité envers les étrangers depuis la révolution de 1789. Ils auraient ouvert les vannes du déclin français. La France est lasse de ce thème électoral si souvent rabâché par ceux qui font de la peur leurs fonds de commerce politique.

Le remplacement des Gaulois par des Sarrasins est un pur fantasme populaire réchauffé à chaque échéance électorale, comme l’a encore fait récemment le vice-président du parti Les Républicains, Gilles Platret. Il évoquait, après d’autres, une «épuration ethnique» prétendument menée dans certains quartiers par un «bloc musulman» contre des Français d’origine. Il a proposé de nous arrêter de «nous bercer de mots» et de regarder «la réalité en face». «Dans certains quartiers, nous assistons à une véritable épuration ethnique, des individus de culture islamique chassant par l’insulte, la menace et la violence la population d’origine française.»

Venant d’un homme politique de premier plan, l’invective paraissait déjà indigne, mais il ajoutait, comme si l’on n’avait pas bien compris : «Des personnes d’origine étrangère chassent petit à petit ce qu’on appelle en démographie des natifs, c’est-à-dire des gens originaires du pays, pour faire la place et pousser dehors ceux qui n’appartiennent pas à un bloc musulman.» On voit dans ses propos désordonnés comment opère la confusion sémantique entre ce qu’il nomme tantôt «des individus de culture islamique», «des personnes d’origine étrangère». Il parle aussi de «la population d’origine étrangère» ou encore des «natifs», «des gens originaires du pays». Tout cela pour éviter de dire tout bonnement «musulmans» ou «petits Blancs» à la manière débridée et provocatrice d’Éric Zemmour, ce qui risquerait de lui valoir un procès.

Heureusement, Gilles Platret était aussitôt recadré par le président de LR, pour qui ces propos malvenus ne font que fracturer davantage la société, et mener le parti républicain dans une énième impasse politique. Depuis des décennies, en effet, il sait que les électeurs de l’extrême droite préfèrent leur programme «original» à «la copie» pour dire non à l’islam et à l’immigration. Il reste que la sortie du maire de Chalon-sur-Saône, comme l’omniprésence d’Éric Zemmour dans les médias, atteste «l’existence de quelque chose de pourri en République française», pour reprendre les mots de Guy Verhofstadt, ex-Premier ministre belge, en 2010 au moment du débat sur l’identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy.  

Ce débat a laissé des traces profondes dans le corps social. Aujourd’hui, des musulmans dans la rue me demandent souvent: «Pourquoi nous agresse-t-on depuis l’affaire du voile à Creil en 1989? Pourquoi n’arrête-t-on pas de faire de nous des envahisseurs, des réfractaires aux valeurs républicaines, alors que nous ne demandons que l’égalité des chances et de traitement?» Ils veulent que les principes de la méritocratie leur soient pleinement appliqués. Sans passe-droit. Comme moi, ils aiment la France parce que c’est un pays de liberté, de conscience et de culture où il fait, somme toute, bon vivre. Leurs valeurs religieuses ne sont gangrénées par aucun groupe radicalisé. N’importe lequel d’entre eux aurait pu mourir dans les fusillades aveugles du 13 novembre 2015 à Paris.

90% des victimes du terrorisme islamiste dans le monde sont des musulmans. Mais l’hydre du racisme, de l’islamophobie, est tenace et cherche à cliver les citoyens.

Azouz Begag

 C’est de cela qu’il s’agit… Marteler encore et toujours à l’opinion publique française: les musulmans sont divisés, ils n’ont jamais formé de communauté et ne sont adeptes d’aucun type de communautarisme. D’ailleurs, 90% des victimes du terrorisme islamiste dans le monde sont des musulmans. Mais l’hydre du racisme, de l’islamophobie, est tenace et cherche à cliver les citoyens. Sa capacité à se régénérer est intacte. En France, comme l’écrit Jacques Verrière dans sa Genèse de la nation française, depuis des siècles, le discours xénophobe alimente le registre de l’invasion des hordes, du désordre, de la barbarie du langage, de l’apparence physique grossière et de la saleté, des odeurs, de la propension à la paresse, à la ripaille et à l’ivrognerie la plus sordide…

En 2021, cela continue. Sauf qu’aujourd’hui un stade est dépassé dans l’outrance puisqu’il n’y a plus de garde-fous, de barrages, de retenue... Les dérapages, incidents et agressions visant l’islam et les musulmans qui avaient déjà connu un pic avant l’élection présidentielle de 2012, avaient encore atteint un niveau historique en 2015, deux ans avant l’élection de 2017. Ils n’ont pas cessé à la veille de l’échéance de 2022. Éric Zemmour en est l’incarnation contemporaine. Récidiviste, condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale, il paye à la justice des amendes ridicules au regard de ce que ses sorties lui rapportent.

Sur l’échiquier politique, la droite et Marine Le Pen sont débordés par son discours populiste tonitruant, décliniste et alarmiste. Le RN, relégué dans un passé lointain, obsolète, enjoint aujourd’hui le trublion de ne pas diviser la famille d’extrême droite.  Les Républicains, qui courent eux depuis longtemps en vain après l’électorat de Le Pen, ne se portent pas mieux.

En cette fin d’année 2021, on a l’impression qu’un vent de panique règne sur la politique française. Les risques de débordements sont grands. L’urgence va dominer les débats jusqu’à la présidentielle et, avec elle, la superficialité des thèmes de campagne, les simplifications, les clivages qui empêcheront la réalisation d’un projet d’avenir digne de ce pays.

Contre les sorties politico-médiatiques récurrentes de Zemmour ou de Gilles Platret, contre les faux débats basés sur des notions erronées, qui alimentent l’ignorance, les divisions des citoyens et les peurs, il faut continuer patiemment  à propager les valeurs et l’esprit français dans les familles, où tant de gens, marginalisés géographiquement, économiquement, culturellement et socialement, ne comprennent pas le sens du mot  «laïcité», de séparation de l’église et de l’État, ne font pas la différence entre islam et islamisme, entre Arabe et musulman... et regarder les matchs de foot, car le football est une belle leçon de vie.

La politique devrait plus souvent s’en inspirer, afin de proposer aux citoyens un projet de vivre ensemble et de gagner ensemble aux Français. La prochaine échéance des Bleus sera en 2022 pour la Coupe du monde au Qatar. Après sa belle victoire du 10 octobre, la France n’a pas dit son dernier mot… Ah oui! One, two, three!

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.