Les Arabes et la nouvelle question d'Orient

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Publié le Lundi 21 septembre 2020

Les Arabes et la nouvelle question d'Orient

Les Arabes et la nouvelle question d'Orient
  • Une nouvelle question d'Orient est en train de naître
  • Elle dépasse largement le contexte circonscrit du monde arabe, l'interpelle dans une double dimension : éteindre les foyers de tension attisés par les forces étrangères et contribuer à la refonte nécessaire du pacte politique rompu

La «question d'Orient » est, à l'origine, une formule employée par les historiens européens pour désigner la dynamique de dislocation lente de l'empire ottoman, entamée depuis le XVIIIe siècle, et aboutissant dès la deuxième décennie du XXe siècle à l'émergence du Moyen-Orient actuel.


Pour Henry Laurens, cette question d'Orient a été l'objet de deux projets concurrentiels: une approche géopolitique britannique issue de la politique indienne de l'empire anglais qui limitait la charge sémantique du concept au golfe arabo-persique (péninsule arabe et Iran), et une approche culturaliste française qui optait pour la formule du «Levant », englobant toute la Méditerranée orientale.


Les interactions complexes des facteurs internes de dislocation de l'empire ottoman et les stratégies d'intervention et de compétition européennes dans cet espace ont conduit graduellement à la nouvelle configuration moyen-orientale, selon deux modalités structurantes: l'européanisation des Balkans et de la Grèce disjoints ainsi, pour la première fois, du monde oriental, et l'élargissement du concept du Moyen-Orient qui a fini par s'étendre des côtes atlantiques d'Afrique du Nord au Pakistan.


Une nouvelle question d'Orient est en train de naître, suscitée par une triple dynamique:
- l'effondrement du cœur névralgique de l'Orient arabe (la Syrie dans ses espaces vitaux étendus au Liban et à l'Irak) qui s'est répercuté lamentablement sur l'essor de l'ordre régional arabe;
- l'incursion hégémonique de la Turquie dans les enjeux internes du monde arabe dans sa quête de leadership sur l'espace moyen-oriental sous la bannière de la doctrine de néo-ottomanisme, socle de la politique extérieure du nouveau «sultan» turc Erdogan. Le rôle non moins déstabilisateur et belliqueux de l'Iran avec sa version sectaire de l'idéologie islamiste radicale a eu l'effet dévastateur sur les équilibres fragiles du monde arabe;
- l'irruption de la nouvelle question méditerranéenne orientale, remontant aux guerres internes balkaniques des années 1990, et ressuscitée récemment par les nouveaux enjeux économico-énergétiques.

La nouvelle question d'Orient, bien qu'elle dépasse largement le contexte circonscrit du monde arabe, l'interpelle dans une double dimension: éteindre les foyers de tension attisés par les forces étrangères, contribuer à la refonte nécessaire du pacte politique rompu dans les pays arabes secoués par les guerres civiles, revisiter et refonder l'idéal d'intégration et d'unité arabe sur des nouvelles bases solides adaptées au nouveau paradigme géopolitique mondial.

Par le partenariat avec les pays non arabes riverains de la mer Rouge, le Moyen-Orient s'ouvre sur un espace géopolitique et culturel qui fut jadis interconnecté avec la péninsule arabe et les pays qui se partagent la vallée du Nil.

Ce projet ambitieux, de longue haleine, devra prendre en compte les nouveaux paramètres objectifs de la question d'Orient, qui poussent dans le sens de l'élargissement de ce concept aux deux espaces vitaux que sont la Méditerranée orientale et la rive de la mer Rouge.

Par l'ouverture sur la Méditerranée Est, le Moyen-Orient renoue avec ses flancs euro-asiatiques, ravivant ainsi la vieille notion du Levant multiethnique et multiconfessionnel, et se donnant les moyens pratiques d'imposer à son profit un jeu d'équilibre stratégique régional avec la Turquie néo-ottomane.

Par le partenariat avec les pays non arabes riverains de la mer Rouge, le Moyen-Orient s'ouvre sur un espace géopolitique et culturel qui fut jadis interconnecté avec la péninsule arabe et les pays qui se partagent la vallée du Nil. Cet espace est de nos jours une des clés majeures de la sécurité régionale, et un enjeu crucial des rivalités et compétions mondiales.

C'est dans ce sens que nous apprécions hautement l'initiative saoudienne louable et perspicace de créer un cadre de coopération et de partenariat qui englobe les pays riverains de la mer Rouge.

L'une des tares de l'idéologie panarabiste classique fut d'avoir confiné l'identité de la région dans les critères d'identification culturels linguistiques, suivant le modèle nationaliste européen traditionnel (français, germanique), manquant ainsi les contours vastes d'un Orient civilisationnel et géopolitique qui est l'espace vital et nécessaire du monde arabe.

L'expérience actuelle d'Union européenne, souvent énoncée et évoquée comme modèle pour l'intégration arabe souhaitée et preuve tangible de sa capacité d'effectivité, démontre que l'esprit des nations ne se réalise pleinement que dans des ensembles larges qui le préservent et l'enrichissent. C'est la leçon principale à méditer pour les élites moyen-orientales. 

Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.

Twitter: @seyidbah

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.