L’Amérique au secours de l’Éthiopie

Des réfugiés éthiopiens en Erythrée, fuyant les zones de combat. Dans le conflit actuel, on parle de deux millions de réfugiés éthiopiens de différentes ethnies. (Photo, AFP)
Des réfugiés éthiopiens en Erythrée, fuyant les zones de combat. Dans le conflit actuel, on parle de deux millions de réfugiés éthiopiens de différentes ethnies. (Photo, AFP)
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Publié le Vendredi 19 novembre 2021

L’Amérique au secours de l’Éthiopie

L’Amérique au secours de l’Éthiopie
  • Jusqu’aux événements tragiques de l’année écoulée, l’Éthiopie connaissait un développement remarquable, avec le taux de croissance économique le plus élevé d’Afrique
  • Aujourd’hui, le pays est en plein drame. Les troupes tigréennes sont à deux cents kilomètres d’Addis-Abeba, autant dire aux portes de la capitale

PARIS: Il est temps de s’intéresser à l’Éthiopie, parce qu’elle traverse une crise grave, sans doute l’une des plus graves de son histoire récente, et qui menace son existence même.

Cette crise appelle l’attention sur ce pays à l’histoire plurimillénaire, considéré comme l’un des berceaux de l’humanité. C’est aujourd’hui l’un des pays les plus importants du continent africain, avec un territoire équivalent à deux fois la France, cent dix millions d’habitants, le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria. Jusqu’aux événements tragiques de l’année écoulée, l’Éthiopie connaissait un développement remarquable, avec le taux de croissance économique le plus élevé d’Afrique.

En outre, cette nation a pour caractéristique particulière d’être composée d’un grand nombre d’ethnies – le pays compte, dit-on, plus de quatre-vingts langues parlées – où dominent les Oromos, au Centre (30% de la population), sans compter les Amharas, les Tigréens, les Érythréens, les Afars… Après la chute du régime marxiste de Mengistu, l’Éthiopie s’est dotée d’un régime fédéral qui fut le seul capable, et dans le meilleur des cas, de faire cohabiter des populations toujours rivales et souvent en conflit. La crise actuelle est donc un épisode de plus dans une histoire chaotique qui en a connu beaucoup d’autres.

Le Premier ministre, Abiy Ahmed, 42 ans, est arrivé au pouvoir en 2018. Il s’est d’abord fait connaître en réglant pacifiquement le conflit vieux de vingt-cinq ans avec l’Érythrée, autrefois province éthiopienne, entrée en dissidence et qui s’est proclamée indépendante en 1993. Mais sa politique autoritaire, qui visait à renforcer le pouvoir central d’Addis-Abeba, s’est vite heurtée à l’irrédentisme traditionnel de la plupart des ethnies.

C’est le report, pour cause de Covid-19, des élections législatives prévues en août 2021 qui a mis le feu aux poudres. Le chef de la région du Tigré, Debretsion Gebremichael, s’y est opposé et a organisé lui-même des élections au Tigré. Divers incidents avec l’armée qu’Abiy Ahmed avait envoyée pour rétablir l’ordre ont provoqué à partir de novembre 2020 un affrontement sauvage et meurtrier qui a vite tourné à la déroute de l’armée éthiopienne et à d’épouvantables massacres de civils.

Aujourd’hui, l’Éthiopie est en plein drame. Les troupes tigréennes sont à deux cents kilomètres d’Addis-Abeba, autant dire aux portes de la capitale. L’armée nationale est défaite; on parle de deux millions de réfugiés qui fuient les combats et de plusieurs milliers de victimes, tandis que les Oromos se sont soulevés à leur tour contre le pouvoir central, ou ce qu’il en reste. Abiy Ahmed est désormais à la merci de ses adversaires, et le pays au bord de l’éclatement. Le plus grave, dans tout cela, c’est le désastre humanitaire que subit la population et qui laissera des traces difficiles à effacer. C’est donc la survie du pays qui est en cause.

Des efforts ont été faits pour tenter de trouver une issue à la crise. L’Union africaine – dont le siège est à Addis-Abeba ! – a désigné un médiateur, le très subtil ex-Premier ministre du Nigeria Olusegun Obasanjo. Il est rentré bredouille. Les Tigréens réclament une intervention internationale, mais Abiy Ahmed la refuse et veut régler l’affaire «entre Éthiopiens», ce qui paraît bien peu réaliste.

Jusqu’à présent, les pays voisins (Soudan, Soudan du Sud, Somalie, Ouganda, Kenya) se sont tenus à l’écart, à l’exception de l’Érythrée, qui, au moins dans un premier temps, a volé au secours d’Abiy Ahmed. Mais on redoute fort que le conflit éthiopien ne déstabilise toute l’Afrique de l’Est. Le Soudan a rappelé son ambassadeur au mois d’août dernier après l’échec d’une tentative de médiation. Le Kenya est très préoccupé; le président Kenyatta s’est récemment rendu à Addis-Abeba pour presser Abiy Ahmed de se montrer plus conciliant. En Somalie, on craint que l’Éthiopie rappelle son contingent, qui contribue au maintien de la paix. À Djibouti, peuplé en partie d’Afars, une ethnie originaire d’Éthiopie, les autorités ont dû fermer la frontière avec l’Éthiopie voisine.

Désormais, on attend tout, ou presque, d’une intervention américaine. Le secrétaire d’État, Antony Blinken, a entamé une tournée africaine et se trouve actuellement dans la région. On peut donc s’attendre à une initiative qui ouvrirait la voie à une pause dans le conflit et peut-être au début d’un processus de règlement. C’est en tout cas l’espoir que l’on peut former à ce stade pour retrouver un peu d’optimisme.

 

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.