Memory Box, la guerre civile libanaise à travers les yeux d'une adolescente

Le film est réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. (Fourni)
Le film est réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. (Fourni)
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Publié le Samedi 11 décembre 2021

Memory Box, la guerre civile libanaise à travers les yeux d'une adolescente

  • Le film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, basé sur une correspondance en temps de guerre, est projeté à Djeddah ce mois-ci
  • «Le montage a été très douloureux et triste, car ce film a été, d’une certaine façon, créé comme une transmission à notre fille et à sa génération»

DUBAΪ: Au cours des années 1980, la cinéaste et artiste Joana Hadjithomas correspondait avec sa meilleure amie, Corinne, à Paris, depuis la capitale Beyrouth déchirée par la guerre. «Nous nous sommes écrit tous les jours de 1982 à 1988», explique Joana Hadjithomas. «Nous avons enregistré des cassettes, écrit des lettres, composé des cahiers, et ce qui est très intéressant, c'est qu'ils étaient très précis. Je pouvais lire tous les événements au fur et à mesure qu'ils se produisaient.»

Il n'y avait pas de service postal au Liban à l'époque, donc le père de Corinne emportait les cahiers et les agendas avec lui chaque fois qu'il rendait visite à sa famille en France. À son retour, il rapportait les cassettes et les cahiers de sa fille et les remettait à Joana Hadjithomas. Ces échanges ont duré six ans avant que les amies ne finissent par perdre le contact. Puis, vingt-cinq ans plus tard, elles se sont rencontrées à nouveau lors du vernissage de l'exposition intitulée «Lebanese Rocket Society» de Joana Hadjithomas et de son mari, Khalil Joreige. Elles finiront par se rendre mutuellement leurs archives personnelles.

C'est alors que Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, qui travaillent ensemble depuis 1997, ont réalisé que ces archives devaient être transformées en film. Ils en ont donc extrait des éléments, notamment des sons et des phrases, les ont combinés avec les photographies du Liban de Khalil Joreige dans les années 1980 et en ont fait un récit de fiction.

Memory Box est une coproduction libanaise, française et canadienne. (Fourni)
Memory Box est une coproduction libanaise, française et canadienne. (Fourni)

Ce récit est centré sur Maia, une mère célibataire de Montréal, et sa fille Alex, qui sont toutes deux soudainement confrontées aux souvenirs du passé de Maia à l'adolescence pendant la guerre civile libanaise.

«Ce qui était important, pour nous, c'était que Joana se rende compte qu'elle se souvenait de quelque chose de différent de ce qu'il y avait dans ses cahiers», explique Khalil Joreige. «Sa mémoire avait changé. Alors c'est soudain devenu très intéressant de regarder ces archives à travers les yeux d'une jeune fille qui vit au Canada et qui imagine les années 1980, imagine la guerre, imagine le Liban, sans aucune référence. Et en regardant en secret les cahiers de sa mère, elle se met à fantasmer sur ce passé.»

Pour Joana Hadjithomas, ce sont les détails qui ont changé. «Vous vous souvenez de votre vie, bien sûr, mais vous pensez que vous vous entendiez très bien avec un membre de votre famille, ou que vous aviez fumé votre première cigarette à 15 ans, mais vous découvrez ensuite que ce n'est pas tout à fait vrai», précise-t-elle. «Je ne pouvais pas me mentir, car les cahiers sont très clairs. J'avais une idée très précise de tout ce que je voulais dire.»

Memory Box a fait sa première mondiale au Festival international du film de Berlin. (Fourni)
Memory Box a fait sa première mondiale au Festival international du film de Berlin. (Fourni)

Le résultat du travail du duo est Memory Box, une coproduction libanaise, française et canadienne qui a fait sa première mondiale au Festival international du film de Berlin plus tôt cette année et qui fait partie de la catégorie «Arab Spectacular» du premier Red Sea International Film Festival ce mois-ci.

«L'un des sujets principaux de notre travail est l'écriture – ou la réécriture – de l’Histoire; la façon dont nous reconstruisons les représentations du passé», explique Joana Hadjithomas. «Nous avons donc pensé qu'il était très intéressant de travailler autour de ces thématiques dans le film. Que transmettez-vous de vos propres histoires et de votre propre adolescence à vos enfants? Comment se fait cette transmission? Mais aussi, comment l’Histoire s'écrit et en quoi toutes ces anecdotes et petites histoires peuvent être utiles pour comprendre l’Histoire. Car dans les cahiers, vous avez le contexte historique mais vous n'avez pas l’Histoire en soi. Vous ne comprenez pas les événements liés à la guerre, mais vous comprenez la vie quotidienne.»

«C'est-à-dire que dans les cahiers, vous ne comprenez rien à la guerre», ajoute Khalil Joreige. «Vous comprenez l'intensité – cette volonté de vivre, de pouvoir faire la fête malgré tout.»

Comme tous les réalisateurs qui ont tenté de faire des films au Liban au cours des deux dernières années, le duo a fait face à d'innombrables défis. (Fourni)
Comme tous les réalisateurs qui ont tenté de faire des films au Liban au cours des deux dernières années, le duo a fait face à d'innombrables défis. (Fourni)

«C'était quelque chose de vraiment intéressant», poursuit Joana Hadjithomas. «Il ne s'agissait pas d'un traumatisme; il s'agissait d'aimer et de s'amuser. Dans tous mes cahiers, il s'agit de vouloir vivre. C'est une autre façon de parler des guerres, en particulier des guerres qui durent longtemps, comme la guerre civile libanaise. C'était une guerre durant laquelle nous avons continué à vivre et où nous devions continuer à vivre.»

Comme tous les réalisateurs qui ont tenté de faire des films au Liban au cours des deux dernières années, le duo a fait face à d'innombrables défis. Bien que le film ait été tourné en 2019, le montage a eu lieu pendant la Révolution, et tant la pandémie mondiale que l'explosion du port de Beyrouth ont causé un traumatisme considérable.

«Le montage a été très douloureux et triste, car ce film a été, d’une certaine façon, créé comme une transmission à notre fille et à sa génération», souligne Joana Hadjithomas. «Parce que nous avons toujours pensé que l’Histoire est très importante – en particulier au Liban, en l’absence d’une Histoire partagée qui nous empêche de vivre notre présent et de penser à notre avenir. Puis soudain, la ville et le pays se sont effondrés, et c'est vraiment très étrange et douloureux de vivre cela.»

 

 Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Sushi Bar ravive l'espoir au cœur de Beyrouth

Mario Haddad estime qu'il fait partie de ceux qui redéfinissent la scène de la gastronomie, alors que Beyrouth connaît un renouveau naissant.  Son restaurant, Le Sushi Bar, se dresse comme un trophée élégant au cœur du centre-ville.  Avec l'arrivée cet été du chef japonais en résidence Sayaka Sawaguchi, il pense que le restaurant contribue à replacer la gastronomie libanaise sur la scène mondiale. (Fournie)
Mario Haddad estime qu'il fait partie de ceux qui redéfinissent la scène de la gastronomie, alors que Beyrouth connaît un renouveau naissant. Son restaurant, Le Sushi Bar, se dresse comme un trophée élégant au cœur du centre-ville. Avec l'arrivée cet été du chef japonais en résidence Sayaka Sawaguchi, il pense que le restaurant contribue à replacer la gastronomie libanaise sur la scène mondiale. (Fournie)
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  • Pour Mme Sawaguchi, l'intégration au Liban - un pays façonné par la résilience et une chaleur particulière - s'est faite naturellement.
  • Elle a passé les semaines précédant la résidence - entre le 9 et le 27 juillet - à voyager à travers le pays, s'immergeant dans les subtilités du pays.

BEYROUTH : "Pour un restaurant, durer 28 ans au Liban, c'est héroïque", a récemment déclaré le chef Mario Haddad à Arab News, alors qu'il réfléchissait à l'industrie dans une ville et un pays confrontés à de nombreux défis.

Mario Haddad estime qu'il fait partie de ceux qui redéfinissent la scène de la gastronomie, alors que Beyrouth connaît un renouveau naissant.

Son restaurant, Le Sushi Bar, se dresse comme un trophée élégant au cœur du centre-ville.

Avec l'arrivée cet été du chef japonais en résidence Sayaka Sawaguchi, il pense que le restaurant contribue à replacer la gastronomie libanaise sur la scène mondiale.

"Nous avons décidé d'avoir un chef en résidence parce que nous voulions célébrer le retour du Liban à la vie", a déclaré M. Haddad.

Pour Mme. Sawaguchi, l'intégration au Liban - un pays façonné par la résilience et une chaleur particulière - s'est faite naturellement.

Elle a passé les semaines précédant la résidence - entre le 9 et le 27 juillet - à voyager à travers le pays, s'immergeant dans les subtilités du pays.

"Le Liban m'a appris le bel équilibre entre les épices, les herbes et l'huile d'olive, tout comme les Libanais vivent leur vie au quotidien", a déclaré Mme Sawaguchi.

Bien que venant de mondes très différents, Haddad et Sawaguchi ont trouvé un terrain d'entente dans leur passion pour la nourriture.

"Elle s'est intégrée comme un gant [...]. Ce n'est pas facile de ne pas avoir ses outils, sa cuisine, ses ingrédients, mais son attitude était parfaite", a déclaré M. Haddad.

"L'art de se nourrir les uns les autres est sans aucun doute notre passion commune", a ajouté Mme Sawaguchi.

Haddad a le sens du détail, ce qui semble être un élément clé du succès de son restaurant.

En l'observant dans son élément - examiner chaque plat à mesure qu'il arrive sur la table, accueillir chaque client comme un membre de la famille et se réjouir de son plaisir - on comprend mieux pourquoi Le Sushi Bar a résisté à la tempête.


Festival international de Hammamet 2025 : Noël Kharman et Yuri Buenaventura, deux voix engagées et envoûtantes 

Noël Kharman. (Photo fournie)
Noël Kharman. (Photo fournie)
Sur scène. (Photo fournie)
Sur scène. (Photo fournie)
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  • Noël Kharman a su allier émotion brute et justesse musicale
  • L’un des moments les plus poignants fut son interprétation de « Haifa », chanson dédiée à sa ville natale

HAMMAMET:  La 59e édition du Festival international de Hammamet, placée cette année encore sous le thème Continuous Vibes, a offert samedi soir un double moment d’exception entre engagement, virtuosité musicale et communion avec le public.

Sur la scène mythique de l’amphithéâtre de Hammamet, deux artistes venus de mondes différents mais unis par la puissance de leur message ont brillé tour à tour : la jeune chanteuse palestinienne Noël Kharman, et l’icône de la salsa colombienne Yuri Buenaventura.

Noël Kharman: la voix d’une génération sacrifiée

Venue pour la première fois en Tunisie, la chanteuse palestinienne Noël Kharman, 24 ans, a fait une entrée sobre mais électrisante. Robe noire élégante, voix puissante et regard franc, elle a captivé d’emblée un public conquis par sa sincérité et son intensité.

Entourée de musiciens tunisiens de talent – avec notamment Outail Maaoui au violon, Mohamed Ben Salha au nay, Dali El Euch à la batterie, ou encore Bechir Neffati aux percussions – Kharman a su allier émotion brute et justesse musicale. Un ensemble d’une cohésion remarquable, mis au service de compositions originales et d’arrangements soignés.

L’un des moments les plus poignants fut son interprétation de « Haifa », chanson dédiée à sa ville natale. Elle y a livré un message bouleversant : « La guerre m’a beaucoup épuisée. Elle a changé ma vision du monde. Je vis actuellement en Jordanie. Je prie pour une paix prochaine. » Le public, profondément touché, a répondu par des slogans engagés : « Free, Free Palestine », criant son soutien à la cause palestinienne.

Kharman s’est imposée ces dernières années comme une figure montante de la scène arabe grâce à ses mashups viraux et ses compositions originales, largement diffusées sur TikTok, Instagram et YouTube. Issue d’un village proche de Haïfa, elle fait résonner la culture musicale moyen-orientale au-delà des frontières, avec rigueur, passion et une vraie vision artistique.

Yuri Buenaventura: la salsa comme langage universel

Un peu plus tôt dans la soirée, c’est Yuri Buenaventura qui a fait vibrer l’amphithéâtre, dans une performance marquant son grand retour sur scène après six ans de silence. La soirée, affichant complet bien avant l’ouverture des portes, a tenu toutes ses promesses.

Dès les premières notes, le chanteur colombien a installé son univers : une salsa colorée, généreuse, ouverte à toutes les influences. Costumé en sport-chic, entre élégance sobre et énergie débordante, l’artiste a invité le public à danser, à rêver, mais aussi à réfléchir.

Pendant deux heures, il a enchaîné classiques, morceaux de son nouvel album « Ámame » – un hommage à la musique latine new-yorkaise – et quelques reprises iconiques. De « Como la maleza » à « Historia de un Amor », en passant par sa reprise bouleversante de « Ne me quitte pas », il a ému autant qu’il a fait danser.

Loin de se limiter à l’ambiance festive, Yuri Buenaventura a aussi livré des messages forts sur l’état du monde, dénonçant les conflits et les divisions actuelles. « La musique est une arme de paix », semble-t-il nous dire, en valorisant les instruments comme vecteurs de rencontre entre les peuples.

Le Festival international de Hammamet confirme ainsi, pour sa 59e édition, sa capacité à conjuguer excellence artistique et résonance contemporaine. Une scène où les émotions croisent les convictions, et où les Continuous Vibes prennent tout leur sens.

 


Le coréen, langue invitée du festival d'Avignon 2026

L'auteure française Valérie Demay pose lors d'une séance photo en marge du festival de théâtre d'Avignon, à Avignon le 8 juillet 2025. (AFP)
L'auteure française Valérie Demay pose lors d'une séance photo en marge du festival de théâtre d'Avignon, à Avignon le 8 juillet 2025. (AFP)
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  • Le Festival d'Avignon fera du coréen sa langue invitée en 2026, a annoncé lundi à l'AFP son directeur artistique Tiago Rodrigues, saluant par ailleurs le succès public de l'édition 2025 avec une fréquentation au plus haut depuis dix ans
  • Après l'arabe cette année, le festival international de théâtre mettra le cap sur la péninsule coréenne et sur une langue qui, grâce à la culture, est devenue "très globale alors qu'elle n'est pas connue", a précisé M. Rodrigues

PARIS: Le Festival d'Avignon fera du coréen sa langue invitée en 2026, a annoncé lundi à l'AFP son directeur artistique Tiago Rodrigues, saluant par ailleurs le succès public de l'édition 2025 avec une fréquentation au plus haut depuis dix ans.

Après l'arabe cette année, le festival international de théâtre mettra le cap sur la péninsule coréenne et sur une langue qui, grâce à la culture, est devenue "très globale alors qu'elle n'est pas connue", a précisé M. Rodrigues.

"C'est très intéressant de voir que cette langue qu'on pourrait dire petite, issue d'un petit pays lointain, s'est complètement répandue dans toute la planète à travers la culture, le cinéma, les séries télévisées, la musique, la littérature", a détaillé le dramaturge portugais, citant notamment l'écrivaine sud-coréenne Han Kang, prix Nobel de littérature 2024.

En 2026, le Festival d'Avignon, qui n'a pas accueilli d'artistes de la péninsule depuis 25 ans, tentera aussi de mettre en lumière des arts vivants coréens "moins connus" et donner à voir "au-delà des idées reçues une société avec ses complexités", a détaillé le directeur artistique.

A cinq jours de la fin de l'édition 2025, il s'est par ailleurs félicité d'un taux de fréquentation de 96,5% pour les 42 spectacles du "in", évoquant "des chiffres pas vus depuis 2016 et qu'on pense pouvoir encore dépasser".

Le Festival a notamment été marqué cette année par les créations de grands noms du spectacle vivant (Thomas Ostermeier, Anne Teresa de Keersmaeker...) et une restitution théâtrale du procès des viols de Mazan.

"Dans un moment où on se questionne sur le rapport fort qu'il y a avec le service public de la culture en France, c'est une preuve de sa vitalité et de l'intérêt des gens de participer à la vie culturelle", a souligné Tiago Rodrigues, qui a fait part de son inquiétude pour le spectacle vivant à l'heure des restrictions budgétaires.

Si le Festival lui-même a conservé son financement public, le directeur artistique constate une "précarisation de l'ensemble du paysage vivant en France". "On n'est pas juste solidaires, on est inquiets", a-t-il dit.