Huit ans après leur arrivée triomphale, les soldats français quittent Tombouctou

Des soldats français de la force Barkhane patrouillent dans les rues de Tombouctou, dans le nord du Mali, le 5 décembre 2021.(AFP)
Des soldats français de la force Barkhane patrouillent dans les rues de Tombouctou, dans le nord du Mali, le 5 décembre 2021.(AFP)
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Publié le Mardi 14 décembre 2021

Huit ans après leur arrivée triomphale, les soldats français quittent Tombouctou

  • Le départ de l'armée française de Tombouctou, après Kidal et Tessalit, marque un tournant symbolique fort
  • Pour la France, qui assurait en 2013 qu'il n'y avait "pas de risque d'enlisement", le combat paraît encore long pour atteindre l'objectif énoncé alors de débusquer tous les jihadistes

TOMBOUCTOU : Sur la modeste place d'armes du camp de l'opération Barkhane à Tombouctou, trois soldats repeignent soigneusement en blanc le socle du drapeau français dont les jours sont comptés: mardi soir, la petite base dans le nord du Mali aura été rendue à l'armée malienne.

Le départ de l'armée française de Tombouctou, après Kidal et Tessalit, marque un tournant symbolique fort: c'est dans cette ville, cité sainte de l'islam inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, que le président François Hollande a officialisé le début de l'intervention française.

C'était le 2 février 2013, quelques jours après le largage de légionnaires sur la ville placée depuis huit mois sous le joug de groupes jihadistes. M. Hollande, débarqué de Paris, et son homologue malien à l'époque, Dioncounda Traoré, étaient tout sourire: les armées malienne et française avaient libéré la ville.

"Certains ont été emportés par l'émotion, c'étaient des femmes qui pleuraient, des jeunes qui criaient, moi-même j'étais dépassé", raconte Yehia Tandina, journaliste à Tombouctou pour la télévision publique ORTM. "Dieu nous a même bonifiés par une pluie fine ce jour-là alors que ce n'était pas la saison pluvieuse".

"Oh! C'était la joie, c'était beau", renchérit Mohamed Ibrahim. Président du conseil régional, il avait offert un chameau à M. Hollande. L'animal est resté au Mali. La légende dit qu'il a été mangé.

A l'époque, "ce camp n'existait pas, on logeait dans les petites villas en dur en face du terminal" de l'aéroport, décrit le sergent français Mathieu. Le soldat aux vingt années de service est de retour avec l'unité chargée de rendre la base aux Maliens. "La boucle est bouclée", sourit-il.

« Cohabitation »

A l'époque, "la population nous acclamait quand on est arrivé", se souvient-il. Aujourd'hui, "ce n'est plus pareil, même si l'ambiance n'est pas non plus hostile".

A la libération triomphale de Tombouctou, qualifiée par M. Hollande de "plus beau jour de (sa) vie politique", ont succédé plusieurs mois de traque des jihadistes dans les montagnes. L'année suivante, l'opération Serval a muté en Barkhane, avec un mandat étendu aux pays voisins.

Près de neuf ans plus tard, les groupes jihadistes ont étendu leur influence dans les brousses sahéliennes tandis que Paris, qui fait face à une hostilité grandissante dans la région, a annoncé la réduction de son engagement au Sahel (de 5.100 hommes à 3.000 à l'horizon 2022).

Alors quand l'AFP demande au caporal-chef Julien, lui aussi présent à Tombouctou en 2013, si la mission a été accomplie, il esquisse une moue dubitative. "Il faut espérer que ça aille mieux pour les civils", se contente-il de répondre.

Pour la France, qui assurait en 2013 qu'il n'y avait "pas de risque d'enlisement", le combat paraît encore long pour atteindre l'objectif énoncé alors de débusquer tous les jihadistes. Pour de nombreux Tombouctiens interrogés par l'AFP, la présence dans la région de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, souvent des membres des mêmes communautés que les habitants, fait désormais partie du décor.

Une certaine "stabilité" est revenue dans les brousses, disent des responsables sécuritaires et des diplomates occidentaux. 

Une stabilité due à l'engagement français ou onusien, mais qui semble provenir au moins autant d'une acceptation de la participation d'acteurs non-étatiques, euphémisme pour les jihadistes, à la gouvernance locale, là où l'Etat n'est plus représenté, disent différents interlocuteurs sous couvert d'anonymat.

"Quand il y a cohabitation, certainement il y a moins d'actes négatifs", élude le journaliste Tandina habillé d'un long bazin vert surmonté d'un chèche de la même couleur.

« Globalement positif »

Le nombre d'attaques contre les civils est au plus bas dans la région depuis 2015, année de la signature d'accords de paix entre Bamako et des groupes rebelles du nord, selon l'ONU.

Des réfugiés nomades qui avaient fui en Mauritanie et en Algérie sont revenus. Des écoles, fermées sous pression jihadiste, ont pu rouvrir sous certaines conditions.

"Il y a eu un développement globalement positif", résume le chef à Tombouctou de la Mission de l'ONU au Mali (Minusma), Ricardo Maia.

Aucun occidental ne peut s'y rendre, sauf à être accompagné d'une forte escorte. Les services de l'Etat, présents en ville et soutenus par l'ONU, sont largement absents des campagnes. La nébuleuse jihadiste, représentée à Tombouctou par un émirat, revendique dans sa propagande le contrôle du territoire et des coeurs.

"Pour une affaire de vol ou de conflit, beaucoup vont préférer aller voir le principal cadi (juge musulman) de la région que la justice de l'Etat", note un notable tombouctien. Celui-ci, Houka Houka Ag Alhousseini, figure sur les listes de sanctions de l'ONU pour avoir été juge islamique durant l'occupation jihadiste.

Dans le camp de Barkhane, un coq et deux poules errent dans la zone autrefois occupée par les forces spéciales françaises, estampillée "accès restreint". Les soldats font de la manutention dans les allées de latérite rouge. 

« On vit avec »

Tréteaux, antennes satellite, panneau de basket, caisses de médicaments: tout doit être expédié vers Gao, principale base française du Sahel, qui, elle, reste ouverte. Les Français laisseront derrière eux quelques tentes et de petits équipements pour les aviateurs maliens qui les remplaceront.

Le wifi a été débranché, livrant les derniers soldats français au même sort que les Tombouctiens: sans réseau ou presque, les antennes des opérateurs ayant été attaquées alentour par les jihadistes.

En ville, malgré des accès de tension récurrents et souvent meurtriers, la vie suit son cours. Les échoppes du grand marché sont autant de lieux de palabres. L'église est ouverte aux fidèles, comme les mosquées millénaires qui font la renommée de la ville dite des 333 saints.

"Bien sûr, il y a les problèmes: le manque de travail, les problèmes de réseau, l'insécurité", explique Ali Ibrahim, étudiant en licence de droit de 26 ans. "Mais on est là, et on sera encore là demain, alors on vit avec!"

Selon lui, même si la force militaire a "montré ses limites au Mali", il faut "reconnaître l'ampleur de l'engagement des Français depuis 2013 à nos côtés."

A quelques rues de là, servant toukassou (spécialité de Tombouctou) et autres omelettes, Aïcha Kader Cissé avait eu espoir en l'optimisme affiché par les présidents Hollande et Traoré.

L'ancienne ménagère avait ouvert le "restaurant Hollande", avec pour cible les touristes autrefois nombreux. Il paraît bien vide quand elle l'ouvre pour l'AFP. "Avant il y avait du monde, mais aujourd'hui... C'est comme ça".


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.