La pêche française, une force vieillissante chahutée par le Brexit

Le président français Emmanuel Macron, aux côtés du ministre français des Affaires européennes Clément Beaune, assiste à une réunion avec une délégation de pêcheurs français, sur les licences de pêche post-Brexit dans la Manche au palais de l'Élysée à Paris, France, le 17 décembre , 2021.(AFP)
Le président français Emmanuel Macron, aux côtés du ministre français des Affaires européennes Clément Beaune, assiste à une réunion avec une délégation de pêcheurs français, sur les licences de pêche post-Brexit dans la Manche au palais de l'Élysée à Paris, France, le 17 décembre , 2021.(AFP)
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Publié le Jeudi 23 décembre 2021

La pêche française, une force vieillissante chahutée par le Brexit

  • La France est le troisième producteur de poissons (pêche et aquaculture confondues) de l'Union européenne, derrière l'Espagne et le Danemark
  • Malgré cela, la pêche française reste minoritaire sur les étals nationaux (25% du poisson vendu) et déficitaire, avec des importations qui excèdent largement ses exportations

PARIS : Un secteur prospère et une armada vieillissante: tour d'horizon de la pêche française, éprouvée par le Brexit et confrontée aux défis d'une modernisation plus verte.

Une force en Europe, mais déficitaire

La France est le troisième producteur de poissons (pêche et aquaculture confondues) de l'Union européenne, derrière l'Espagne et le Danemark, avec quelque 720.000 tonnes en 2019, selon les données du ministère de la Mer.

En 2019, la France a vendu pour 1,2 milliard d'euros de poissons. Elle est, par ailleurs, le leader européen de la production d'huîtres et au premier rang des ventes (en valeur) pour les moules (2e derrière l'Espagne en volume).

Malgré cela, la pêche française reste minoritaire sur les étals nationaux (25% du poisson vendu) et déficitaire, avec des importations qui excèdent largement ses exportations, contribuant pour 4,3 milliards d'euros au déficit du commerce extérieur français.

Le goût des Français pour le saumon et la crevette pèse dans la balance: ces deux espèces constituent, à elles seules, le tiers des importations de poissons (2,2 milliards d'euros en 2018).

Des armements vieillissants

La flotte française a diminué de plus d'un quart en 20 ans, pour atteindre 6.034 navires en 2020, dont quelque 4.000 en métropole.

Elle est composée essentiellement de petits bateaux: 5.166 navires de moins de 12 mètres, contre moins de 300 navires dédiés à la pêche au grand large.

La pêche au chalut approvisionne la moitié de l'offre française. Elle permet de pêcher les espèces près du fond comme le cabillaud, le merlu, ou la lotte ainsi que des espèces pélagiques comme l'anchois.

Le reste des approvisionnements se fait avec des filets (raie, sole), mais aussi à la drague (coquilles Saint-Jacques), avec des casiers (crabes, homards) et à la palangre (requins, thons et dorades).

La pêche française est engagée dans un renouvellement de sa flotte, vieillissante. Entre 2017 et 2019, une vingtaine de navires de 18-24 mètres sont sortis des chantiers. Objectifs: réduire la facture énergétique, améliorer la qualité de vie à bord pour attirer de nouveaux marins et développer une pêche plus verte.

Un métier rémunérateur qui manque de bras 

En 2019, la France comptait 13.120 marins-pêcheurs (en équivalent temps plein). Près de la moitié (46%) ont plus de 45 ans et partiront dans les 5 à 10 ans.

Leur rémunération mensuelle varie entre 2.500 et 3.000 euros nets, selon France Filière Pêche, avec de fortes variations dans l'année selon les espèces pêchées et la météo.

Et pourtant, la filière a du mal à recruter: on estime entre 200 et 300 le nombre de matelots qui manquent.

Pointés du doigt comme responsables de la surpêche, les marins ont pourtant participé aux efforts communs: outre le respect des quotas et périodes de pêche, ils participent à la gestion durable de la ressource, par exemple pour la coquille Saint-Jacques, en ensemençant les côtés de la Manche.

En 2020, 60% des volumes pêchés en France étaient issus de stocks exploités durablement, contre 15% il y a 20 ans, selon l'Ifremer. Un effort "compatible avec l'objectif de rendement maximal durable" fixé par la Politique commune de la pêche.

Mais il y a encore 21% de stocks surpêchés (sole, merlan, cabillaud) et 2% des populations sont considérées comme effondrées, comme le merlu en Méditerranée.

Dans le cadre du plan de relance lancé à l'été 2020, 100 millions d'euros sont destinés au renforcement d'un modèle de pêche et d'aquaculture durable et 200 millions au verdissement des ports.

Le choc du Brexit

Si plus d'un millier de licences de pêches post-Brexit ont finalement été octroyées par le Royaume-Uni et les îles anglo-normandes, des dizaines de pêcheurs restent sur le carreau, un an après l'accord de commerce entre Londres et Bruxelles.

Durant cette année, certains pêcheurs, notamment des Haut-de-France, n'ont eu aucun accès aux eaux britanniques, où ils se retrouvent à peine sortis du port de Boulogne-sur-Mer, et affichent des pertes de 20% à 50% de leur chiffre d'affaires, selon le comité national des pêches.

La France s'est engagée à indemniser ceux affectés par le Brexit, mais le manque de visibilité freine les projets d'investissement: les pêcheurs s'inquiètent des modalités techniques (types de filets, quotas) dont seront assorties les nouvelles licences.

Ils redoutent un "risque de surpêche", notamment après l'été 2026 quand les navires européens devront renoncer à 25% de leurs captures dans les eaux britanniques.

 

Brexit: un an de bataille franco-britannique et le coeur lourd des pêcheurs

Un "long supplice", un "brouillard épais": les pêcheurs français, durement éprouvés par un an de bataille entre Paris et Londres pour obtenir des licences post-Brexit, ont pris acte, dans un mélange de soulagement et d'amertume, de la fin d'une époque.

La veille de Noël 2020, alors que Bruxelles et Londres scellaient enfin un accord de commerce permettant d'éviter le désastre d'un "no deal", ils se disaient plongés dans le noir, "à la merci des Anglais".

Pour certains d'entre eux, on en est toujours là: "On a finalement obtenu un paquet de licences mais maintenant on attend de connaître les modalités de pêche (quotas, période, techniques): on n'a aucune prise là-dessus, tout est entre les mains de Londres", résume Romain Davodet, pêcheur normand de homards et de bulots.

S'ils saluent "l'engagement clair" du gouvernement français à leurs côtés, les pêcheurs ne décolèrent pas contre la Commission européenne qui les a "mal défendus", "trop tard" et noyés sous "une tonne de paperasserie".

"On est soulagés de voir cette période se terminer mais beaucoup en ont assez, même des jeunes veulent quitter le métier", regrette Olivier Leprêtre, président du comité des pêches des Haut-de-France.

L'accord post-Brexit a instauré une période de transition jusqu'à l'été 2026, date à laquelle les pêcheurs européens devront renoncer à 25% des captures dans les eaux britanniques --qui s'élèvent en valeur à environ 650 millions d'euros par an.

Le texte prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans les eaux britanniques à condition de prouver qu'ils y pêchaient auparavant. Pendant un an, Français et Britanniques se sont disputés sur la nature et l'ampleur des justificatifs à fournir.

Parmi les Européens, les Français occupent une position singulière du fait de la forte interdépendance entre les deux rives de la Manche: près de 25% des captures françaises sont effectuées dans les eaux britanniques, tandis que 70% des produits de la mer britanniques sont exportés vers l'Europe, avec la France comme premier débouché.

Des importations qui font vivre toute une activité industrielle littorale, du mareyage aux usines de transformation du Boulonnais.

« Se parler à nouveau »

Les premières licences sont arrivées dès janvier pour la zone économique exclusive britannique (12-200 milles), où se pratique une pêche hauturière: les Français obtiennent 734 des 1.674 autorisations européennes.

Les négociations s'enlisent rapidement pour tout le reste et en particulier concernant les petits bateaux de moins de douze mètres, auxquels l'UE n'imposait pas alors d'être dotés d'un système de géolocalisation et qui peinent à apporter la preuve d'une antériorité de leur activité.

Le ton monte, frôlant la confrontation à plusieurs reprises en 2021: un blocus de Jersey par les pêcheurs français en mai, qui a entraîné l'envoi de deux patrouilleurs britanniques; des menaces françaises de sanctions en octobre; le blocage côté français du terminal fret du tunnel sous la Manche en novembre.

Paris a revu à la baisse ses exigences, écartant des dizaines de dossiers fragiles, mais a demandé en retour la "bonne foi" de Londres, qui assurait s'en tenir à de stricts "critères techniques".

Cela dure des mois: Paris finit par critiquer ouvertement la "mollesse" de la Commission européenne, qui impose à Londres la date du 10 décembre pour régler le litige. Tout en rejetant cet "ultimatum", le Royaume-Uni délivre une dernière poignée de licences.

"Nous avons obtenu 1.034 licences, il en manque encore 74", dira la ministre de la Mer Annick Girardin.

Mais une page est tournée et le président Emmanuel Macron l'explique lui-même aux pêcheurs, qu'il reçoit à l'Elysée. La France va demander à la Commission d'engager une procédure de contentieux contre le Royaume-Uni et lance en parallèle un "plan d'accompagnement" pour les professionnels restés à quai.

Pierre Vogel, pêcheur de coquilles à Saint-Malo, a fourni "tous les papiers possibles" et attend toujours sa licence de Jersey. Son dossier est en haut de la pile mais il redoute que "cela dure encore des mois".

"La bonne nouvelle, c'est qu'on va pouvoir se parler à nouveau directement. On partage cette mer depuis si longtemps, dit-il. C'est une vieille histoire avec Jersey", sous souveraineté anglaise depuis le raid éclair de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie couronné roi d'Angleterre le jour de Noël 1066. 

Le choc du Brexit

Si plus d'un millier de licences de pêches post-Brexit ont finalement été octroyées par le Royaume-Uni et les îles anglo-normandes, des dizaines de pêcheurs restent sur le carreau, un an après l'accord de commerce entre Londres et Bruxelles.

Durant cette année, certains pêcheurs, notamment des Haut-de-France, n'ont eu aucun accès aux eaux britanniques, où ils se retrouvent à peine sortis du port de Boulogne-sur-Mer, et affichent des pertes de 20% à 50% de leur chiffre d'affaires, selon le comité national des pêches.

La France s'est engagée à indemniser ceux affectés par le Brexit, mais le manque de visibilité freine les projets d'investissement: les pêcheurs s'inquiètent des modalités techniques (types de filets, quotas) dont seront assorties les nouvelles licences.

Ils redoutent un "risque de surpêche", notamment après l'été 2026 quand les navires européens devront renoncer à 25% de leurs captures dans les eaux britanniques.


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
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  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.

 


Le premier procès en France pour juger les crimes du régime syrien s'ouvre mardi

Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
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  • Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice
  • Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud

PARIS: Une première en France: trois hauts responsables du régime de Bachar Al-Assad seront jugés à partir de mardi, par défaut, de complicité de crimes contre l'humanité et de délit de guerre devant la cour d'assises de Paris, pour leur rôle dans la mort de deux Franco-syriens arrêtés en 2013.

Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ce procès "jugera les plus hauts responsables du régime jamais poursuivis en justice depuis l'éclatement de la révolution syrienne en mars 2011".

Des procès sur les exactions du régime syrien ont déjà eu lieu ailleurs en Europe, notamment en Allemagne. Mais dans ces cas, les personnes poursuivies étaient de rang inférieur, et présentes aux audiences.

Visés par des mandats d'arrêt internationaux, Ali Mamlouk, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie, Jamil Hassan, ancien directeur des très redoutés services de renseignements de l'armée de l'Air et Abdel Salam Mahmoud, ancien directeur de la branche investigation de ces services, seront jugés, eux, par défaut.

Pour cette raison, la cour d'assises sera composée de trois magistrats professionnels, sans jurés.

Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice. Et pour la première fois à la cour d'assises de Paris, un interprétariat en arabe sera assuré pour le public.

Les deux victimes, Patrick et son père Mazzen Dabbagh, étudiant à la faculté de lettres et sciences humaines de Damas né en 1993 pour le premier et conseiller principal d'éducation à l'Ecole française de Damas né en 1956 pour le deuxième, avaient été arrêtés en novembre 2013 par des officiers déclarant appartenir aux services de renseignement de l'armée de l'Air syrienne.

Torture 

Selon le beau-frère de Mazzen Dabbagh, arrêté en même temps que lui mais relâché deux jours plus tard, les deux hommes, de nationalités française et syrienne, ont été transférés à l'aéroport de Mezzeh, siège d'un lieu de détention dénoncé comme un des pires centres de torture du régime.

Puis ils n'ont plus donné signe de vie jusqu'à être déclarés morts en août 2018. Selon les actes de décès transmis à la famille, Patrick serait mort le 21 janvier 2014 et Mazzen le 25 novembre 2017.

Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges d'instruction jugent "suffisamment établi" que les deux hommes "ont subi comme des milliers de détenus au sein des renseignements de l'armée de l'Air, des tortures d'une telle intensité qu'ils en sont décédés".

Coups de barres de fer sur la plante des pieds, décharges électriques, violences sexuelles... lors des investigations, plusieurs dizaines de témoins - dont plusieurs déserteurs de l'armée syrienne et des anciens détenus d'al-Mezzeh - ont détaillé aux enquêteurs français et à l'ONG Commission internationale pour la justice et la responsabilité (CIJA) les tortures infligées dans la prison de Mezzeh.

Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud. Des faits "susceptibles de constituer les délits de guerre, d'extorsion et de recel d'extorsion", selon l'accusation, qui souligne que "l'appréhension des propriétés des Syriens disparus, placés en détention, déplacés de force ou réfugiés, représentait un véritable enjeu pour le régime syrien".

"Beaucoup pourraient considérer ce procès comme symbolique, mais il s'inscrit dans un long processus et doit se lire à l'aune des procès" déjà tenus ou en cours ailleurs dans le monde, observe Me Clémence Bectarte, qui défend plusieurs parties civiles. "Tout cela participe à un effort de lutte contre l'impunité des crimes du régime syrien, d'autant plus indispensable que ce combat pour la justice est aussi un combat pour la vérité".

"On a tendance à oublier que les crimes du régime sont encore commis aujourd'hui", met en garde l'avocate. Ce procès vient rappeler qu'"il ne faut en aucun cas normaliser les relations avec le régime de Bachar al-Assad".


En Nouvelle-Calédonie, situation «plus calme» mais vie quotidienne difficile

Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
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  • Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation
  • Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel

NOUMÉA, France : La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation «plus calme» sur la majeure partie de l'archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l'un d'eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s'est tué vendredi en fin d'après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a appelé lors d'une conférence de presse à cesser barrages et barricades.

«On est en train de s'entretuer et on ne peut pas continuer comme ça», a déclaré Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement chargé de la fonction publique.

«Des gens meurent déjà non pas à cause des conflits armés, mais parce qu'ils n'ont pas accès aux soins, pas accès à l'alimentation», a-t-il ajouté.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a aussi recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d'émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok - réseau social prisé des émeutiers -, et déployé des militaires.

- Strict minimum -

Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d'attente restaient très longues samedi.

«Cela fait plus de trois heures qu'on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.

Selon la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l'Etat pour «organiser l'acheminement des produits de première nécessité» et un «pont aérien» entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.

De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. «Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins», en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

Face à la «gravité» de la situation et afin «de répondre aux besoins sanitaires de la population», l'Etablissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l'envoi de produits sanguins.

- «Grande fermeté» -

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet «la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu'il envisageait de transférer les «criminels» arrêtés sur le «Caillou» en métropole «pour ne pas qu'il y ait de contaminations (...) des esprits les plus fragiles».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur «les commanditaires» des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

«J'ai décidé d'ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires», parmi lesquels «certains membres de la CCAT», a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant «ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d'organisation «mafieuse».

Vendredi, ce collectif a demandé «un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation «n'a pas appelé à la violence», attribuant ces émeutes à une «population majoritairement kanak marginalisée».

Sur le front politique, après l'annulation d'une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d'entre eux mais son service de communication a refusé d'en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l'Azerbaïdjan «d'ingérences» en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.

Paris a évoqué une «propagation massive et coordonnée» de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.