La conquête des étoiles s’est faite au nez et à la barbe des Arabes. Voici pourquoi…

Un Palestinien regarde les étoiles au-dessus des montagnes de Judée entre Jéricho en Cisjordanie occupée et Ein Gedi en Israël, tôt le 14 août 2021. AHMAD GHARABLI / AFP
Un Palestinien regarde les étoiles au-dessus des montagnes de Judée entre Jéricho en Cisjordanie occupée et Ein Gedi en Israël, tôt le 14 août 2021. AHMAD GHARABLI / AFP
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Publié le Mercredi 26 janvier 2022

La conquête des étoiles s’est faite au nez et à la barbe des Arabes. Voici pourquoi…

La conquête des étoiles s’est faite au nez et à la barbe des Arabes. Voici pourquoi…
  • Les anciens bédouins, à force de consulter le ciel et ses étoiles, avaient fini par en dresser une sorte de «mappemonde»
  • Les bédouins prenaient tout leur temps pour admirer la céleste coupole (mot d’origine arabe), étudier les coordonnées des étoiles qu’ils avaient appris à nommer et à identifier

On sait que le calendrier des musulmans est lunaire. C’est dire combien l’astre de la nuit est déterminant dans le comput de leur almanach (mot d’origine arabe)! Les anciens bédouins, à force de consulter le ciel et ses étoiles, avaient fini par en dresser une sorte de «mappemonde». Terrestre, celle-ci comporte deux hémisphères; on peut dire qu’il en est de même pour la «mappemonde» céleste: le zénith et le nadir. Si, le jour, nos bédouins nomadisaient sous un ciel d’azur (mot d’origine arabo-persane), la nuit, ils prenaient tout leur temps pour admirer la céleste coupole (mot d’origine arabe), étudier les coordonnées des étoiles qu’ils avaient appris à nommer et à identifier.
À force, et bien avant l’Âge d’or, l’esprit bédouin s’était fait astronome. En somme, cela leur avait suffi, à nos bédouins: ils n’avaient plus besoin d’aller plus loin: astrophysiciens, ils ne le seront pas. Plus tard, bien plus tard, l’Occident s’en chargera, de l’astrophysique. C’est ainsi que les Arabes, de plus en plus déconnectés, s’étaient fait doubler. Mais tout de même! La carte du ciel, on la doit pour une bonne part à leurs observations!
«Le ciel arabe»: azur, zénith, azimut
Au commencement était le… Zénith. Du latin médiéval zenit (1150), cenith (1184). Au XIVe siècle, Oresme, futur évêque de Lisieux, en donna lui-même la définition: «Le point du ciel qui est tout droit sur nostre teste est appelé cenith». Il s’agit en fait d’une lecture altérée (m lu «ni») de l’arabe ﺍﻟﺴﻣﺖ: al-samt, «chemin», dans l’expression ﺁﻟﺮﺃﺲ ﺍﻟﺴﻣﺖ: al-samt el-ras: littéralement «direction (au-dessus) de la tête». Et c’est le même (al-samt) qui a donné azimut.
Zénith, opposé à nadir es-samt (d’où le mot nadir), est le point de la sphère céleste, situé au croisement de la verticale d’un lieu donné. Le mot est admis dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1694. En 1721, c’est Montesquieu qui, dans ses Lettres persanes, fait subtilement le lien entre les deux points: «Le zénith de votre esprit ne va pas au nadir de celui du moindre des imams». C’est dire…
Entre le nadir et le zénith, il arrive que l’on ait besoin de mesurer l’angle que fait une ligne avec le zénith. Pour cela, il faut une «alidade de hauteur» (qui a donné son nom à une règle graduée dite «de l’astrolabe»). Une «alidade horizontale» sert, elle, à mesurer l’azimut. En géodésie (étude du mouvement de rotation), on utilise un théodolite, instrument qui sert également à mesurer «les angles horizontaux ou verticaux et les coordonnées azimutales d’un astre». Mais, me direz-vous, quel rapport y a-t-il entre alidade et théodolite? Eh bien... Le plus étonnant, c’est que le deuxième terme est issu du premier, lequel vient, lui, de l’arabe! Et le passage de l’un à l’autre est extravagant!
Alidade, de العِضادَة: «al-‘idhāda» (les mots commençant par «al» viennent souvent de l’arabe: al ou el étant l’article, comme dans «algèbre» ou «Alhambra»). La première forme theodelit (transcription anglaise) fut attestée en 1701 dans le dictionnaire Harris, suivie de theodolet puis de theodolite. Le fait est que les Anglais, très pointilleux, avaient cru bien faire en gardant la trace de l’article arabe (al) en le traduisant par l’article anglais the… Plus extravagant encore, c’est qu’en passant de la forme «thealidade» à la forme «théodolite» on n’aura fait qu’helléniser l’emprunt: à se demander ce que fait le préfixe «théo» (comme dans «théologie») dans le nom d’un instrument qui n’a rien à voir avec une quelconque divinité, si ce n’est avec la sphère céleste?
500 noms d’étoiles d’origine arabe!
Si l’esprit bédouin, pragmatique par nécessité vitale, ne s’est pas fait astrophysicien, il aura tout de même, et avant de quitter les lumières de la science, eu le temps de laisser tout un lexique lié à l’astronomie et, plus exactement, aux étoiles. Imaginez que la nomenclature céleste compte non pas dix, non pas cent, mais cinq cents noms d’étoiles d’origine arabe! Et c’est un linguiste spécialiste en la matière, Roland Laffitte, qui nous le dit:
«La curiosité pour l’astronomie arabe reste intacte, la proportion des noms stellaires que livre cette dernière reste la même alors que l’on dépasse aujourd’hui sur la toile plus de 500 noms d’étoiles d’origine arabe.»
Auteur d’ouvrages sur les nomenclatures célestes babylonienne, grecque, araméenne et arabe, il fut responsable du projet Le ciel, patrimoine commun et de son volet de recherche, L’imaginaire du ciel étoilé dans le Monde arabe».

Voici quatre des plus brillantes étoiles du «Ciel arabe».

Aldébaran
Aldébaran (en arabe «la Suivante», parce qu'elle «suit les Pléiades») s'appelle aussi «Alpha du Taureau» (S. Jodra, Atlas des constellations, Imago Mundi, 2004). Les Arabes l’appelaient «l’œil du Taureau», et les Hébreux: «l’œil de Dieu». Son nom vient de l’arabe دَبَرَ: «dabara», suivre, venir après; الدّابرة a(l)-dābira(t): l’élément qui suit, partie postérieure; et, au sens d’«extrémité»: الدّبر: al-dabir, au duel: الدَّبرَان al-dabirān(i), addabirān. Le nom fut emprunté, au Xe siècle, au grand astronome persan Abd er-Rahman Sufi. «Aldébaran, turban de feu!» s’écrie Hugo dans Les Contemplations. Et Voltaire: «J'irais dans l'étoile Canope, dans Sheat, dans Aldébaran; j'irais le convaincre de mon amour et de mon innocence» (Contes en vers et en prose).

الدَّبرَان

 

etoiles
Aldébaran
Surnommée par Victor Hugo l’Etoile tricolore ou le Turban de feu
(Photo: Institut astronomique Sobolev, Saint-Pétersbourg).

 

Altaïr

Altaïr, de l’arabe الطيْر: al-taïr (L’Aigle). Le nom complet de l’étoile dite α Aigle était: al-nasr al-tāïr. «Il n’y a rien de surprenant », souligne Camille Flammarion, «à ce qu’on ait donné à cette étoile, soutenue par ses deux voisines comme par deux ailes, le nom de l’oiseau colossal qui symbolise la domination, la gloire et le triomphe.» D’Herbelot, dans son Dict. universel-Bibliothèque orientale, l’appelle «L’Etoile de l’Arabie heureuse, parce qu’elle y domine». Attesté depuis le XIIe siècle, Altaïr figurait dans la Description du ciel rédigée au Xe siècle par l’astronome persan Abd el-Rahman al-Sūfi. C'est la plus brillante (dix fois plus que le soleil) des étoiles du triangle qu’elle forme avec Véga et Deneb (De l’arabe ذنـب).). Elle est restée longtemps un mystère, mystère que le satellite Wire était chargé de lever, à la fin de 1999.

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Bételgeuse

Pour cette étoile, surnommée la «supergéante rouge» (un éclat dix mille fois supérieur à celui du Soleil!), deux étymologies arabes se sont affrontées: 1. بيت الجَوْزاء: beït al-jawzāa (Maison des Gémeaux, ou d’Orion, d’après un catalogue publié en 1437, et connu sous le nom de Tables d’Uluğ Beg (astronome mongol, prince de Samarkand, et petit-fils de Tamerlan). 2. Un autre astronome musulman, Abul-Hassan, l’appelait «l’Étoile de l’épaule droite d’Orion», en arabe: الجَوْزاء إبْط: ibţ al-jawzāa (le dict. arabe traduit ibţ par aisselle). Pour Lucien Gautier (Revue critique d’histoire et de littérature): Bételgeuse ne tire pas son nom de yed ni de beit, mais de ibt al-djauzâ, épaule d’Orion…»

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Fomalhaut

C’est la plus brillante de la constellation du Poisson austral (Piscis Austrinus). Son nom vient de ﺁﻠﺣﻮﺖ ﻓﻢ: fum al-hūt; «Bouche du Poisson». Allusion à la forme que suggérait aux yeux des astronomes arabes la place de l’étoile dans la constellation. Répertoriée par Ptolémée en l’an 140, elle est «marquée par l'éclat de son étoile principale, Fomalhaut: une sous-géante dont l’éclat est de 17 soleils.» (Atlas des constellations, Imago Mundi). Le 22 juin 2005, le Télescope spatial Hubble en a pris une vue impressionnante. Au XIXe siècle, l’abbé Charles Nicoullaud, astronome de son état, signait ses ouvrages du pseudonyme de Fomalhaut.
Cette Bouche, «gardienne du ciel» pour les anciens Perses, sert de repère pour l’identification des autres étoiles du ciel austral.
ﺁﻠﺣﻮﺖ ﻓﻢ
Jules Verne dans L’Île mystérieuse: «À mesure que s'évasait le cratère, apparut Fomalhaut du Poisson (…). En un point de cet horizon, une lueur parut soudain, qui descendait lentement, à mesure que le nuage montait vers le zénith. C'était le croissant délié de la lune…»

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Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.