Chroniques de la campagne présidentielle: Zemmour et les parrainages…

Le leader du parti d'extrême droite "Reconquête !" , expert des médias et candidat à l'élection présidentielle de 2022, Eric Zemmour, à l'issue de son meeting au Palais des Victoires lors d'un déplacement de campagne dans la région des Alpes-Maritimes à Cannes, dans le sud-est de la France, le 22 janvier 2022. BERTRAND GUAY / AFP
Le leader du parti d'extrême droite "Reconquête !" , expert des médias et candidat à l'élection présidentielle de 2022, Eric Zemmour, à l'issue de son meeting au Palais des Victoires lors d'un déplacement de campagne dans la région des Alpes-Maritimes à Cannes, dans le sud-est de la France, le 22 janvier 2022. BERTRAND GUAY / AFP
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Publié le Jeudi 27 janvier 2022

Chroniques de la campagne présidentielle: Zemmour et les parrainages…

Chroniques de la campagne présidentielle: Zemmour et les parrainages…
  • À l’origine, la procédure avait pour but d’éviter les candidatures fantasques et il fallait cent parrainages pour se présenter
  • Désormais, le Conseil constitutionnel fera un décompte régulier qui permettra de se faire une idée des difficultés réelles ou supposées des candidats potentiels

Nous sommes en 2002, un samedi matin de janvier. La mairie de Roybon, dans le nord de l’Isère, a mis à disposition une petite salle afin d’accueillir le député de la circonscription, Georges Colombier, pour une permanence au cours de laquelle il peut recevoir les doléances de citoyens. En tant qu’attaché parlementaire, je l’accompagne comme tous les samedis matin pour recevoir des habitants souvent en difficulté sociale; ils voient dans le député de cette circonscription rurale qui compte cent trois communes un dernier espoir pour résoudre leurs problèmes.
Vers 11 heures, ne voyant plus personne arriver, nous nous préparons à nous en aller quand un homme d’une soixantaine d’années arrive. Il est élégamment habillé et s’assoit face à nous.

Au total, 47 000 élus peuvent «parrainer» un candidat.


Il s’exprime très convenablement et nous explique qu’il est envoyé par un candidat à l’élection présidentielle qui recherche des parrainages d’élus. Puis il sort de son sac une jolie plaquette en couleurs dont nous reconnaissons immédiatement la provenance: il s’agit de celle de Jean-Marie Le Pen et de son parti, le Front national. Bien entendu, cet homme sait que Georges Colombier a déjà donné son parrainage à Jacques Chirac, mais il nous explique que, pour des raisons de démocratie, il ne serait pas normal qu’un homme politique crédité de 15% d’intentions de vote ne puisse pas être candidat; il demande au député s’il connaît des maires qui seraient à même de lui apporter son parrainage.
Cette anecdote lointaine rappelle que, pour se présenter à l’élection présidentielle française, un candidat doit être «présenté» par au minimum cinq cents membres d’un collège composé notamment des maires, de conseillers régionaux et départementaux, de parlementaires et de quelques autres. Au total, 47 000 élus peuvent «parrainer» un candidat. À l’origine, cette procédure avait pour but d’éviter les candidatures fantasques et il fallait cent parrainages pour se présenter. Depuis 1976, ce nombre est monté à cinq cents.
Par ailleurs, les parrainages, déposés et contrôlés par le Conseil constitutionnel, sont publics. Depuis une réforme votée en 2016, la liste des parrains est publiée intégralement et à intervalles réguliers, alors que, auparavant, seuls cinq cents parrainages tirés au sort par candidat étaient rendus publics à l’issue de la période de collecte, ce qui ne changeait pas grand-chose pour les candidats marginaux: le nombre de leurs parrains était souvent à peine supérieur à ce chiffre.

C’est surtout pour Éric Zemmour que les choses vont être compliquées.


Concrètement, ce dispositif pose souvent des problèmes aux «petits» candidats ainsi qu’à ceux qui représentent des courants radicaux ou extrémistes et disposent de peu d’élus locaux. En 2022, des candidats comme Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour et même Marine Le Pen ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient pour collecter ces parrainages.
C’est surtout pour Éric Zemmour que les choses vont être compliquées. Plusieurs des proches du candidat, qui peine à collecter les parrainages, accusent le fait que ces derniers sont publiés, ce qui exercerait une pression certaine sur les maires tentés de signer en sa faveur. La publication des parrainages n’a pourtant pas empêché des candidats extrémistes, comme Bruno Mégret en 2002, ou qualifiés de «fantaisistes», comme Jacques Cheminade en 1995, 2012 et 2017 ou encore François Asselineau en 2017, d’obtenir ces parrainages. De même, en 2007, trois candidats trotskystes avaient rassemblé les parrainages nécessaires.
Autrement dit, le problème rencontré par Éric Zemmour, qui devra faire parvenir les cinq cents signatures avant le 4 mars 2022, est plus complexe. En effet, les militants les plus actifs de son parti sont omniprésents sur les réseaux sociaux, ce qui donne l’impression d’une force très relative. Ils sont plutôt jeunes, ont fait des études supérieures et habitent majoritairement en milieu urbain. Zemmour est lui-même parisien et il a plusieurs fois fait part de son ignorance des problématiques rurales.

Le problème Zemmour est donc d’abord sociologique bien plus que politique


Il dispose donc de peu de militants ruraux susceptibles de se déplacer pour solliciter leur maire ou le député comme cet envoyé de Jean-Marie Le Pen avait pu le faire en 2002.
Si, souvent, les candidats se servent de ces difficultés de collecte pour faire parler d’eux, dans le cas d’Éric Zemmour, le problème semble autrement plus sérieux et structurel. On voit mal, en effet, comment de jeunes cadres de la région parisienne peuvent arpenter les routes de la Meuse, de l’Ardèche ou de l’Aisne et leurs très nombreux maires pour les convaincre de parrainer leur candidat. Le problème Zemmour est donc d’abord sociologique bien plus que politique. Le prétexte selon lequel les maires craindraient de le parrainer de peur de perdre des subventions et de voir leur nom publié est surtout une excuse qui vise à masquer cette faible implantation rurale.
Le feuilleton des parrainages risque d’animer fortement la campagne ces prochaines semaines et jusqu’à la date butoir, car, désormais, le Conseil constitutionnel fera un décompte régulier qui permettra de se faire une idée des difficultés réelles ou supposées des candidats potentiels.

Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.

Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.

Twitter: @LacheretArnaud

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.