L’émancipation des femmes et le sport en Arabie saoudite

La Saoudienne Yara al-Haqbani, 17 ans a déjà plusieurs faits d'armes à son actif (Photo fournie).
La Saoudienne Yara al-Haqbani, 17 ans a déjà plusieurs faits d'armes à son actif (Photo fournie).
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Publié le Jeudi 17 février 2022

L’émancipation des femmes et le sport en Arabie saoudite

L’émancipation des femmes et le sport en Arabie saoudite
  • Le sport féminin et sa pratique en compétition sont relativement récents en Arabie saoudite, mais force est de constater qu’il permet de créer des exemples, des modèles
  • Cette visibilité des championnes doit donc s’accompagner d’une politique volontariste d’accès au sport de masse pour les Saoudiennes

Il y a une semaine, une tenniswoman inconnue du grand public apparaissait dans les journaux saoudiens. Tête de série numéro 6 du tournoi de Nairobi, la Saoudienne Yara al-Haqbani, 17 ans, infligeait une défaite en deux petits sets à son adversaire israélienne en quart de finale du tournoi.

Cette information a priori anodine a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. D’abord, elle montre que, contrairement à certains pays comme l’Iran, qui adoptent une attitude très fermée, les athlètes saoudiens ne boycottent pas les rencontres contre des adversaires israéliens. Cela permet de sanctuariser le sport et de le mettre en dehors des affaires politiques, ce qui est conforme, notamment, à l’esprit olympique.

En s’intéressant un peu plus à cette tenniswoman, on s’aperçoit aussi qu’elle ne porte pas de hijab en compétition: les photos diffusées par les journaux saoudiens pour illustrer cette victoire la présentent d’ailleurs non voilée, dans une tenue adaptée à la pratique du tennis de haut niveau.

Ce genre d’information peut plonger l’observateur occidental dans une forme de dissonance cognitive et elle l’aide à remettre en question ses préjugés sur le Royaume.

Le sport féminin et sa pratique en compétition sont relativement récents en Arabie saoudite, mais force est de constater qu’il permet de créer des exemples, des modèles, tout en contribuant à faire évoluer la culture et la société, engagée dans un profond mouvement vers une modernité qui conserve des repères arabes.

Ainsi, au début de l’année 2022, le Rallye-Raid automobile le plus prestigieux du monde, le Dakar, voyait au départ de sa 44e édition deux pilotes saoudiennes, Mashael al-Obaidan et Dania Akil.

Quelques jours plus tard, l’équipe de football d’Al-Mamlaka infligeait une sévère défaite à ses adversaires en finale du premier championnat national de football féminin, avec notamment un quintuplé d’une joueuse bahreïnienne. La photo de la joie de ses joueuses fut largement diffusée partout dans le Royaume, mais bien au-delà aussi: pratiquement aucune des joueuses ne portait le hijab, ce qui fut remarqué en Occident.

En effet, en Arabie saoudite, le sport féminin gagne ses lettres de noblesse «par le haut». Si la pratique amateur n’est pas encore très développée, ce sont des têtes d’affiche qui font parler d’elles en s’affichant librement dans les médias et sur les terrains, montrant aux millions de femmes du Royaume qu’elles évoluent sans contrainte et que cette pratique sportive ne peut que leur apporter de l’épanouissement.

Contrairement au mouvement qui a conduit les femmes saoudiennes à intégrer le marché du travail «par le bas» en investissant les échelons intermédiaires des entreprises et des administrations au point de devenir indispensables et de s’imposer naturellement, c’est par le haut niveau que les femmes saoudiennes entreprennent de conquérir le monde sportif. Cette visibilité des championnes doit donc s’accompagner d’une politique volontariste d’accès au sport de masse pour les Saoudiennes, par la création d’infrastructures, de clubs et de compétition.

On sait, en effet, que la pratique sportive amateur est un facteur d’intégration, car il permet de sortir, de faire des rencontres en dehors de son milieu d’origine, pendant les compétitions par exemple, d’apprendre les règles et la discipline ainsi que l’esprit de combativité. Les femmes saoudiennes sont depuis quelques années entraînées dans un processus qui les propulse au cœur d’une société à laquelle elles n’avaient pas toujours accès auparavant. Elles doivent désormais pouvoir s’appuyer sur ces championnes visibles, à l’apparence moderne, pour multiplier les opportunités de s’intégrer par la pratique sportive. C’est en tout cas ce que semble mettre en avant le gouvernement saoudien en habituant la population à voir et acclamer des championnes nationales rayonnantes et sans complexes.

Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.

Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.