Présidentielle 2022 : Le candidat Macron veut une «France plus indépendante et plus forte»

Le président français, Emmanuel Macron, et le candidat du parti libéral français La République en marche (LREM) à sa succession prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter son programme politique avant l'élection présidentielle du 10/24 avril en France, dans la banlieue parisienne d'Aubervilliers , le 17 mars 2022. (Photo, AFP)
Le président français, Emmanuel Macron, et le candidat du parti libéral français La République en marche (LREM) à sa succession prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter son programme politique avant l'élection présidentielle du 10/24 avril en France, dans la banlieue parisienne d'Aubervilliers , le 17 mars 2022. (Photo, AFP)
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Présidentielle 2022 : Le candidat Macron veut une «France plus indépendante et plus forte»

  • Emmanuel Macron a expliqué que son programme se base sur trois socles philosophiques: le retour à la souveraineté populaire, la confiance dans le progrès et un attachement à l’humanisme
  • Macron affirme viser le « plein emploi» dans cinq ans

CASABLANCA : À près de trois semaines du premier tour de la présidentielle 2022, le président Emmanuel Macron a présenté, jeudi, aux Docks d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) son programme de candidat à un nouveau quinquennat.

Dernier candidat à présenter son programme, il a tout d’abord expliqué lors d’une conférence de presse, tenue devant 250 journalistes, que son programme se base sur trois socles philosophiques: le retour à la souveraineté populaire, la confiance dans le progrès et un attachement à l’humanisme. Avant de mettre l'accent sur la nécessité d'aller vers une «France plus indépendante» et une nation plus fort.

Le programme est «nourri des crises que nous avons traversées durant ces cinq années et qui n’étaient pas prévues», explique le chef de l’État, citant la Covid-19, les mouvements sociaux (Gilets jaunes, manifestations contre la réforme des retraites), le terrorisme. «Le projet que je vous présente aujourd’hui est aussi évidemment ancré dans le moment qui est le nôtre, c’est-à-dire celui du retour du tragique dans l’histoire», a-t-il expliqué. Cela avant de repousser des sujets comme la politique d’outre-mer, la politique pour la biodiversité, le logement à d’autres prises de parole.

Une France plus indépendante dans une Europe plus forte

Emmanuel Macron veut d'abord «faire de la France une nation plus indépendante» dans une Europe plus forte. «Nous atteindrons l'objectif de 50 milliards (du budget de la Défense) d'ici à 2025», assure le président. «Cet engagement doit être complété par un engagement accru au niveau européen.»

Sur le même thème, le candidat LaREM souhaite «doubler le nombre de réservistes pour les militaires», «augmenter nos réservistes auprès des forces de sécurité intérieure», «mettre en place un plan de mobilisation civile pour renforcer notre résilience, par un renforcement des stocks stratégiques de la Nation et un recensement des compétences des Français volontaires pour être mobilisés en cas de crise grave».

Le deuxième thème développé concerne l’indépendance agricole. Ainsi, Emmanuel Macron veut revenir sur le plan européen «de la ferme à la fourchette» et «renforcer notre investissement pour produire plus».

Il évoque ensuite un plan d’investissement de 30 milliards d’euros dans les «secteurs d’avenir où il faut, en matière de recherche fondamentale et appliquée, un développement industriel assumé», explique-t-il. 

Le candidat liste ensuite une longue série «d’investissements massifs de la nation» dans «les minilanceurs spatiaux, dans les biomédicaments, dans les semi-conducteurs, dans les réacteurs nucléaires de troisième et quatrième générations, dans la poursuite de notre stratégie numérique et du développement des licornes et des grandes entreprises du secteur dans le cloud, le quantique, l’intelligence artificielle et plusieurs autres».
Sur le sujet de l’énergie, Emmanuel Macron souhaite mettre l'accent sur le «développement de filières 100% françaises». «L'objectif des cinq prochaines années» doit être le développement de filières françaises «en matière de véhicules électriques, d'éolien et de solaire», détaille-t-il.

 

Financement du programme

Emmanuel Macron estime que son programme sera financé à hauteur de 50 milliards d’euros sur cinq ans. Le président candidat a également indiqué qu’il vise une baisse d’impôts de 15 milliards d’euros: la moitié des baisses d’impôts concernera les ménages, l’autre moitié visera les entreprises.  

Pour financer son programme, il veut commencer à «rembourser la dette en 2026 et repasser sous les 3% (de déficit) en 2027», et s'appuyer sur «les gains sur la réforme des retraites et de l'assurance chômage», des «réformes de fond» et une «trajectoire de réduction des coûts de fonctionnement des collectivités publiques».

 

 

Par ailleurs, s'il est réélu, Macron souhaite lancer, au niveau français comme européen, «des États généraux pour le droit à l'information» qui auront vocation à établir les éléments permettant de défendre l'information libre et indépendante. Il plaide également pour la «consolidation d'un modèle économique viable pour une information libre et indépendante et la production de documentaires» et pour se battre «afin de bâtir un métavers européen».

«Sur l'école et la santé, investir ne suffit pas»

Sur le thème de l’emploi et de la formation, le candidat propose de «transformer Pôle emploi en France travail», – un «changement profond», selon lui – et de proposer une réforme du RSA avec «quinze à vingt heures d'activité» hebdomadaire.
«Nous devons travailler plus», insiste Emmanuel Macron. «Il y a deux leviers: le plein-emploi et la réforme des retraites », explique le candidat qui vise le plein emploi dans cinq ans. Alors que pour la retraite, il confirme vouloir «augmenter progressivement l'âge légal (de la retraite) à 65 ans avec un système de trimestres progressif».

«Sur l'école et la santé, investir ne suffit pas», assure Emmanuel Macron. «Il faut mobiliser différemment les énergies et adapter les solutions aux réalités de terrain.» Le président-candidat, qui entend ouvrir un «pacte nouveau pour les enseignants», poursuit: «Je souhaite que le chantier de l'école puisse débuter par une large concertation.»

Ce qui devrait permettre de «poursuivre de manière significative l'augmentation des rémunérations, le remplacement des professeurs absents, un suivi plus individuel des élèves en valorisant des missions nouvelles, rapprocher familles et écoles et plus de formations des professeurs».

Sur le thème de la santé, Emmanuel Macron entend «renforcer la politique de prévention», mettre en place des «bilans de santé à 25, 45 et 60 ans» et renforcer «la prévention de l'obésité».

Emmanuel Macron plaide également pour un «renfort massif dans les déserts médicaux». Il entend pour cela «mettre en place des permanences ponctuelles dans les territoires les moins dotés, développer la téléconsultation, la 4e année d'internat pour les généralistes dans les zones rurales».

Refonte de l'organisation de l'asile et du droit de séjour

Sur le thème de l'immigration, le président-candidat souhaite une «refonte de l'organisation de l'asile et du droit de séjour, avec notamment la mise en place de procédures d'éloignement plus rapides et effectives». 

Emmanuel Macron veut par ailleurs que l'obtention des titres de séjour long ne soient plus conditionnés à des démarches mais «à un examen de français et à une vraie démarche d'insertion professionnelle». La carte de séjour annuelle sera donnée «dans des conditions plus restrictives», promet-il, et il affirme qu'il «assume» ce choix.

Pour les pays qui refuseraient d'accueillir leurs ressortissants qui se sont vu refuser l'asile ou des titres de séjours en France, «nous aurons une politique de réduction ou de suppression de nos visas», assure Emmanuel Macron. Il plaide également pour qu'un refus d'asile soit équivalent à une «obligation de quitter le territoire français».
 


Les députés s'apprêtent à baisser le rideau sur la partie «recettes» du budget de l'Etat

Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
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  • Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession
  • La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent

PARIS: Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle.

Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent.

Les députés s'empareront mardi en séance du budget de la Sécurité sociale, rejeté en commission vendredi.

Celui-ci doit faire l'objet d'un vote solennel le 12 novembre, après lequel pourront reprendre les discussions sur le projet de loi de finances, jusqu'au plus tard le 23 novembre à minuit - les délais constitutionnels obligeant alors le gouvernement à transmettre le texte au Sénat. Le gouvernement tablait ces jours-ci sur un vote le 18 novembre pour la partie "recettes" du budget de l'Etat.

Mais d'ores et déjà le rapporteur général du Budget, Philippe Juvin (LR), anticipe son rejet: "Je ne vois pas très bien comment cette partie 1 pourrait être votée, parce qu'en fait elle ne va satisfaire personne", a-t-il dit sur LCI dimanche.

En cas de rejet de cette première partie, le projet de budget partirait au Sénat dans sa version initiale.

"Ecœurement" 

L'adoption du texte nécessiterait l'abstention des socialistes et des écologistes (et le vote positif de la coalition gouvernementale). Or rien ne la laisse présager à ce stade.

Le chef des députés PS, Boris Vallaud, a ainsi fait part dans une interview à La Tribune Dimanche de son "écœurement", après le rejet vendredi de la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra-riches, et alors que la gauche peine de manière générale à "mettre de la justice dans ce budget".

"Si on devait nous soumettre le budget aujourd'hui, nous voterions évidemment contre, en sachant tout ce que cela implique, à savoir la chute du gouvernement", a ajouté celui dont le groupe avait décidé de laisser sa chance à Sébastien Lecornu en ne le censurant pas.

Les écologistes se montrent eux aussi sévères, vis-à-vis du gouvernement mais aussi des socialistes, dont ils semblent critiquer une quête du compromis à tout prix: "Je ne comprends plus ce que fait le PS", a déclaré la patronne des députés écolos Cyrielle Chatelain sur franceinfo vendredi soir.

Mais le texte ne fait pas seulement des mécontents à gauche. Le gouvernement a lui aussi marqué ses réticences face à des votes souvent contraires à ses avis, qui ont abouti à alourdir la pression fiscale.

"Je pense qu'il faut qu'on arrête de créer des impôts (...) Aujourd'hui, si je compte les mesures sur l'impôt des multinationales, sur les rachats d'actions, sur la taxe sur les super-dividendes et l'ensemble des amendements qui ont été votés, le taux de prélèvements obligatoires atteindrait au moins (...) 45,1% du PIB, c'est plus qu'en 2013 où il était à 44,8%", a fustigé Amélie de Montchalin vendredi soir.

"Sorcellerie fiscale" 

Le ministre de l'Economie Roland Lescure a lui mis en garde contre la "sorcellerie fiscale" et le vote de mesures "totalement inopérantes". Particulièrement dans son viseur, une "taxe Zucman" sur les multinationales censées rapporter 26 milliards d'euros, selon son initiateur Eric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances.

Montré du doigt par la droite pour son soutien à la mesure, le Rassemblement national a assumé son vote: le président du RN Jordan Bardella a défendu sur X un "mécanisme de lutte contre la fraude fiscale des grandes multinationales étrangères".

Sur France Inter dimanche, le vice-président du RN Sébastien Chenu a cependant fustigé un budget "de bric et de broc", qui crée "beaucoup d'impôts" sans s'attaquer "aux dépenses toxiques".

Vendredi, reconnaissant les limites de la discussion budgétaire pour parvenir à une copie d'ensemble cohérente, le Premier ministre a demandé "à l'ensemble des ministres concernés" de réunir les représentants des groupes pour "essayer de se mettre d'accord sur les grands principes de l'atterrissage d'un texte pour la Sécurité sociale et pour le projet de loi de finances".

 


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.