L'axe Maroc - Arabie saoudite pour la transition énergétique à l'épreuve de la Covid-19

Short Url
Publié le Mercredi 22 juillet 2020

L'axe Maroc - Arabie saoudite pour la transition énergétique à l'épreuve de la Covid-19

L'axe Maroc - Arabie saoudite pour la transition énergétique à l'épreuve de la Covid-19
  • Les deux royaumes sont proches culturellement, par la langue arabe, leur nombre d'habitants et leur climat
  • La covid-19 ralentit les investissements, tarit les financements et déséquilibre les budgets

Le Maroc et l'Arabie saoudite sont des alliés de toujours. Ces deux monarchies à la tête du monde musulman possèdent deux familles régnantes aux liens historiques forts (les Alaouites marocains et les Al Saoud). L'objectif est ici d'analyser les nouvelles coopérations économiques et industrielles de ces deux pays membres de la Ligue arabe, autour de la transition énergétique. Après une revue des projets énergétiques respectifs et communs, nous anticipons des conséquences difficiles de la crise sanitaire du covid-19 et un déclin de l'influence de l'Union européenne (UE). 

Deux royaumes avec des ressources énergétiques très différentes

Les deux royaumes sont proches culturellement, par la langue arabe, leur nombre d'habitants et leur climat. Le Maroc, contrairement à l'Arabie saoudite, n'a pas de ressources en hydrocarbures et ne profite pas de la rente pétrolière. Il a pris très tôt des initiatives pour renforcer son indépendance énergétique, en cherchant à limiter ses importations d'hydrocarbures et d'électricité. Le royaume chérifien a rehaussé ses ambitions pour porter à 52% la part du renouvelable dans son mix électrique en 2030. Il a prospecté des sites pour y investir à la fois dans l'énergie solaire (2 000 mégawatts-crête bientôt engagés), éolienne (2 200 mégawatts engagés) et hydraulique (2 120 mégawatts engagés). Bien que disposant d'un réacteur nucléaire de recherche, le Maroc semble repousser la construction d'un réacteur civil pour investir dans les énergies renouvelables. Il a eu la fierté d'accueillir la conférence sur le climat COP22 en novembre 2016 à Marrakech et a profité de cette vitrine pour montrer son exemplarité. Grâce à l'Agence marocaine pour l'énergie solaire (Masen) créée en 2010, le Maroc est en train d’achever un complexe solaire sur un premier site, à Ouarzazate (582 mégawatts-crête sur 30 km², soit un tiers de la surface de Paris). Masen lance actuellement un projet solaire encore plus ambitieux sur un second site, à Midelt.

L'Arabie saoudite a une superficie plus importante celle du Maroc, possède les deuxièmes réserves les plus importantes du monde de pétrole brut et bénéficie d'un coût d'extraction favorable. Elle est l'un des premiers pays producteurs et exportateurs de pétrole en 2020, avec la Russie et les États-Unis. Avec presque une dizaine d'années de retard sur le Maroc, le pays affiche maintenant des ambitions dans les énergies renouvelables et veut s’équiper de 16 réacteurs nucléaires en vingt ans. En 2016, le ministère de l’Energie a créé le Renewable Energy Project Development Office (Repdo) pour mettre en œuvre le Plan national pour les énergies renouvelables. Son objectif est de construire 27 300 mégawatts de capacités électriques d'origine renouvelable, et 58 700 mégawatts en 2030, pour un coût total de 14 milliards d'euros. Ces montants sont plus importants que ceux investis par le Maroc. A l’heure actuelle, 35 sites ont déjà été identifiés dans le Royaume. Le premier appel d'offres a été lancé dès 2017 pour construire une centrale solaire au sol de 300 mégawatts crête à Sakaka, dans la région d’Al-Jaouf, au nord du pays. 

Une coopération réussie pour le complexe solaire de Ouarzazate

Le Maroc a décidé de recourir à trois technologies différentes dans le complexe de Ouarzazate. Il s'agit de produire de l'électricité solaire avec des miroirs cylindro-paraboliques (Noor 1 et 2), avec des héliostats qui concentrent les rayons du soleil sur une tour solaire (Noor 3) et grâce à des panneaux photovoltaïques (Noor 4). Masen a lancé en 2010 le premier appel d'offres pour équiper le premier lot. L'entreprise saoudienne ACWA a gagné ce lot et les 3 suivants, Noor I, Noor 2, Noor 3, Noor 4, avec un sous-traitant espagnol, battant les entreprises européennes pour cette tête de file. Une coopération industrielle entre le Maroc et l'Arabie saoudite s'est ainsi concrétisée sur ce complexe solaire, et Noor 1 est entré en phase d’exploitation en février 2016.  ACWA maîtrise maintenant les différentes technologies de l'énergie solaire et peut effectuer un retour d'expérience sur un chantier en pointe de l'innovation. La France et l'UE, par l'intermédiaire de leurs financeurs et agences de coopération publics, ont pu participer à cette réalisation.  

La même entreprise ACWA a gagné en 2017 le premier appel d'offres pour la centrale solaire de Sakaka et se positionne sur tous les projets solaires de la péninsule Arabique. Forte de son expérience à Ouarzazate, ACWA mène à bien ce chantier et devient le maître d’œuvre majeur pour la transition énergétique dans la zone Moyen-Orient Afrique (MENA).

Tous ces projets progressaient très favorablement jusqu’à ce que la crise sanitaire du Covid-19 ne frappe le Moyen-Orient et l'Afrique, en mars 2020. 

Covid-19 ralentit les investissements, tarit les financements et déséquilibre les budgets

L'Agence internationale de l'énergie a rapidement indiqué que les investissements dans le secteur de l'énergie baisseraient de 20% dès 2020. Le charbon, le pétrole et le gaz sont principalement touchés ; les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique ne sont pas épargnées. 

Parallèlement, la pandémie de covid-19 a provoqué un effondrement soudain de la demande énergétique et a fait baisser les prix du pétrole, jusqu’à les rendre négatifs le 20 avril 2020 (WTI). Le Brent est remonté depuis, mais il reste à un cours inférieur de 40% à celui du début 2020. Cela favorise les pays importateurs (Maroc) mais pénalise les pays exportateurs. L'Arabie saoudite a ainsi été touchée durement par une crise économique imprévue, liée à la baisse de sa rente pétrolière et dont la durée demeure encore incertaine. 

Transition énergétique dans les métropoles, la ruralité et le désert, par Louis Boisgibault et Fahad Kabbani

Dans ce contexte, on peut se poser la question de savoir si les projets énergétiques du Maroc et de l'Arabie saoudite sont touchés. Du côté marocain, Noor 4, le dernier lot de la centrale de Ouarzazate devrait être achevé dans les prochains mois. La construction de la première tranche du projet solaire de Midelt (800 mégawatts-crête) a été attribuée en 2019 à un consortium mené par EDF Renouvelables qui, après plusieurs tentatives infructueuses, a pu battre le saoudien ACWA. Si l’on analyse l'onde de choc Covid-19 pour toutes les parties prenantes - organismes publics, adjudicataires, opérateurs, constructeurs, fournisseurs, banques et assurances - les retards seront inévitables et l’on espère limiter les défaillances. 

Pour l'Arabie saoudite, qui semble plus touchée du fait de son statut d'exportateur de pétrole, les projets d'énergies renouvelables et nucléaires sont beaucoup plus importants, avec des délais de construction très serrés. Le programme Vision 2030 va devoir être rapidement actualisé. Le projet Neom, au nord-est du Royaume, qui est une métropole touristique futuriste sur les bords de la mer Rouge, et qui comprend un volet de production d'électricité verte, semble soudain surdimensionné. Les appels à projets lancés par Repdo pour les centrales solaires (Sakaka puis 10 autres projets solaires en 2019 d'une capacité combinée de 2 550 mégawatts-crête) et d'éoliennes (Dumat Al-Jandal, 400 mégawatts, Yanbu, 850 mégawatts) devraient ralentir, sans être pour autant remis en cause. Le financement des 16 réacteurs nucléaires à construire dans les vingt prochaines années pourrait être touché par la crise. À ce stade, l'équilibre entre les dépenses d'investissements programmées et les recettes escomptées est altéré. La TVA saoudienne vient d'être triplée pour passer à 15%, des allocations sociales ont été supprimées. Ces mesures sont impopulaires, mais jugées pourtant nécessaires pour équilibrer le budget du Royaume.  

En conclusion, que faire face au déclin de l’influence européenne au Maroc et en Arabie saoudite ?

L’UE est confrontée à sa désindustrialisation, au Brexit et à cette crise sanitaire qui se transforme en crise économique majeure. Elle a toujours été très présente historiquement au Maroc, à travers la France et l'Espagne, et dans la péninsule Arabique, à travers les Britanniques. Les accords conclus en 1916 entre les diplomates Sir Mark Sykes et le français Georges Picot attribuaient à la Grande-Bretagne la large bande du sud du Proche-Orient, allant de Jérusalem au golfe Arabique. L'UE, dont le PIB annoncé est de 8,7% en 2020, confrontée à une montée des nationalismes et amputée du Royaume Uni, perd son leadership industriel, au profit de la Chine. Sa capacité à financer des projets en Afrique et au Moyen-Orient est altérée par son rétrécissement et la crise. Sur les grands projets d'infrastructure solaires, éoliens, hydrauliques, elle arrive en ordre dispersé et ne remporte pas les appels d'offres. Des grands énergéticiens européens, à l'image d'EDF Renouvelables, peuvent gagner des marchés. L'enjeu est ici de développer une coopération européenne systématique d'innovation, à la fois technique et financière, en matière de transition énergétique, pour exporter les meilleurs produits et solutions vers la zone Moyen-Orient Afrique. Si l’UE à 27 pays échoue, le Maroc et l'Arabie saoudite, fiers de leur réussite commune à Ouarzazate, n'auront plus besoin d'elle. 

Louis Boisgibault (Paris) et Fahad al Kabbani (Riyad) sont Docteurs en géographie à Sorbonne UniversitéAssociés, VALMERE, cabinet de conseil dans la transition énergétique. Co-auteurs de « Transition énergétique dans les métropoles, la ruralité et le désert » (ISTE Editions). 

Twitter:  @LBoisgibault

NDLR Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.