Mali: succès antidjihadiste ou massacre de civils, que s'est-il passé à Moura?

L'ONG Human Rights Watch (HRW) fait état dans un rapport de l'exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes (Photo, AFP).
L'ONG Human Rights Watch (HRW) fait état dans un rapport de l'exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 06 avril 2022

Mali: succès antidjihadiste ou massacre de civils, que s'est-il passé à Moura?

  • Deux versions diamétralement opposées s'affrontent sur les évènements survenus fin mars à Moura
  • L'une et l'autre ont pour toile de fond la reconfiguration en cours depuis que la junte au pouvoir s'est détournée de la France et de ses alliés européens

DAKAR: Haut fait de l'armée malienne en reconquête ou massacre de civils sans précédent au nom du combat antidjihadiste ? Deux versions diamétralement opposées s'affrontent sur les évènements survenus fin mars à Moura, dans le centre.

L'une et l'autre ont pour toile de fond la reconfiguration en cours depuis que la junte au pouvoir s'est détournée de la France et de ses alliés européens, et tournée vers la Russie pour reprendre le terrain perdu aux djihadistes depuis 2012.

Que s'est-il passé?

Une chose est sûre, il s'agit soit d'une des victoires les plus retentissantes de l'armée, qui a revendiqué l'élimination de 203 djihadistes en se contentant de rapporter des morts dans ses rangs sans plus de précision; soit du "pire épisode d'atrocités" commises contre des civils en dix ans, selon les mots de l'ONG Human Rights Watch (HRW) qui fait état dans un rapport de l'exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes.

Que disent les militaires?

L'armée a mené du 23 au 31 mars une opération de "grande envergure" dans cette localité de plusieurs milliers d'habitants dans le centre du Mali, a indiqué l'état-major dans un communiqué diffusé le 1er avril alors que les remontées de Moura commençaient à proliférer. Le centre est l'un des principaux foyers des violences sahéliennes et un terrain privilégié de groupes affiliés à Al-Qaïda.

En dehors de 203 "terroristes" tués, 51 autres ont été capturés, disait-il. Les forces maliennes ont procédé "aux nettoyages systématiques de toute la zone". Après avoir pris le contrôle de Moura, elles ont procédé à un "tri" et identifié des "terroristes" dissimulés dans la population, a-t-il précisé mardi soir dans un nouveau communiqué.

Que disent les témoignages?

Les soldats maliens et des étrangers blancs seraient arrivés le 27 mars, jour de marché aux bestiaux. HRW, citant des témoins, rapporte que des djihadistes se trouvaient dans la foule pour leurs propres affaires, dans une localité quasiment passée comme d'autres sous leur coupe, quand les soldats ont fait leur apparition.

Un témoin direct a dit avoir vu surgir quatre hélicoptères avec "plus d’une centaine de militaires noirs et blancs". "Il y a eu rapidement des exécutions", a-t-il dit. Un combattant blanc passait en revue des hommes arrêtés et faisait sonner un appareil devant certains: "Dès que l’appareil faisait bip devant quelqu’un, on le tuait. Je n’ai jamais vu autant de morts. Il y en a eu plus de 350", a-t-il déclaré.

Les hommes exécutés étaient "presque tous des civils. Il n’y avait presque pas de djihadistes", a-t-il assuré.

"Sur plusieurs jours, il y a eu des attaques, des tueries, des morts", a déclaré un aide-soignant d'un centre de santé local, "les civils sont les plus nombreux" à avoir été tués.

Selon HRW, après les affrontements initiaux du 27 mars, les soldats ont capturé des centaines d'hommes et les jours suivants, ils auraient exécuté par balles et par petits groupes des dizaines de captifs.

"La grande majorité" des hommes exécutés étaient Peuls, un groupe dans lequel les djihadistes ont largement recruté, dit HRW.

Qui a opéré à Moura?

HRW parle de soldats maliens associés à des étrangers, présumés être russes parce qu'ils ne parlaient pas français et qu'il a beaucoup été question de l'arrivée de soldats russes ces derniers mois pour aider à combattre les djihadistes. Un témoin parlant à l'AFP a accusé les soldats maliens et des membres du groupe de sécurité privé russe Wagner, aux agissements décriés, y compris dernièrement en Ukraine.

La France et les Etats-Unis se sont dits préoccupés devant les informations faisant état d'exactions commises par des soldats maliens et des membres de Wagner.

L'état-major malien, dans ses communiqués de vendredi et mardi, ne mentionne aucune présence de soldat étranger. Mais il dit que l'opération a engagé cinq hélicoptères de transport et de combat de conception et fabrication soviétique et russe, sans préciser qui les pilotait. 

Les autorités ont toujours démenti le recours à Wagner et mettent en exergue le partenariat ancien avec l'armée russe, ravivé ces derniers mois à mesure que les ponts brûlaient entre la junte, la France et ses alliés.

La vérité peut-elle éclater?

La mission de l'ONU au Mali (Minusma) a dit être "en concertation avec les autorités maliennes pour établir les faits". HRW a réclamé que, pour la crédibilité des choses, la Minusma, avec l'Union africaine, soit associée à l'enquête que réclament l'ONG, la France, les Etats-Unis, mais aussi - fait notable - la Commission malienne des droits de l'Homme.

Face aux nouvelles mises en cause, l'état-major a parlé mardi soir "d'allégations infondées" visant à "ternir l'image" de l'armée. Il a répété que le respect des droits était "une priorité dans la conduite (des) opérations".

Les vérifications indépendantes sont très compliquées faute d'accès à une zone reculée et dangereuse. Les témoins ont peur de parler à découvert.

Les forces sahéliennes sont accusées depuis des années d'exactions.

La junte renouvelle les incitations aux journalistes à faire preuve de "patriotisme". Elle vient de suspendre la diffusion de RFI et France 24, deux médias français très suivis au Mali, à la suite d'informations touchant à des exactions présumées de soldats ou à la présence de Wagner.

Les voix discordantes sont devenues rarissimes.


Tanzanie : la présidente investie malgré les violences électorales

Lors de son investiture, elle a regretté "les actes de violence qui ont entraîné des pertes de vies humaines", reconnaissant pour la première fois des décès, sans donner de bilan. (AFP)
Lors de son investiture, elle a regretté "les actes de violence qui ont entraîné des pertes de vies humaines", reconnaissant pour la première fois des décès, sans donner de bilan. (AFP)
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  • Mme Hassan, 65 ans, avait été promue à la tête de la Tanzanie à la mort de John Magufuli en 2021
  • Saluée au début pour avoir assoupli les restrictions instaurées par son prédécesseur, elle a été accusée ensuite de réprimer ses détracteurs, notamment en amont du scrutin

NAIROBIE: Samia Suluhu Hassan a été investie lundi présidente de la Tanzanie, où l'internet reste coupé depuis les manifestations réprimées dans le sang contre son élection, l'opposition évoquant au moins 800 morts.

Mme Hassan, 65 ans, avait été promue à la tête de la Tanzanie à la mort de John Magufuli en 2021. Saluée au début pour avoir assoupli les restrictions instaurées par son prédécesseur, elle a été accusée ensuite de réprimer ses détracteurs, notamment en amont du scrutin.

"Moi, Samia Suluhu Hassan, jure que je remplirai mes fonctions de présidente de la République (...) avec diligence et un cœur sincère", a-t-elle affirmé. La cheffe de l'Etat, qui portait un voile rouge et un long vêtement noir, a également prôné dans un discours "l'unité et la solidarité".

Lors de son investiture, elle a regretté "les actes de violence qui ont entraîné des pertes de vies humaines", reconnaissant pour la première fois des décès, sans donner de bilan.

La cérémonie, qui n'était pas ouverte au public, contrairement aux précédentes, s'est tenue dans un espace ressemblant à un terrain de parade militaire de la capitale Dodoma, où quelques podiums dressés ne réussissaient pas à masquer un grand vide.

Des chanteurs et chanteuses se sont succédé, avant l'arrivée de la présidente, pour chanter les louanges de "Mama Samia", son surnom parmi ses soutiens, devant un parterre de dignitaires et de militaires. Parmi les invités étaient notamment présents les présidents de la Zambie, de la Somalie et du Burundi.

Mme Hassan a, selon la commission électorale, obtenu 97,66% des suffrages. L'élection a été qualifiée de "parodie de démocratie" par l'opposition, les deux principaux opposants ayant été soit emprisonné, soit disqualifié.

L'opposition a également dénoncé d'importantes tricheries le jour de l'élection, mais aussi sur le taux de participation de 87% selon la commission électorale.

Le scrutin a surtout été marqué par un fort niveau de violence, des manifestations anti-régime ayant été réprimées dans le sang et la Tanzanie mise sous cloche: l'internet reste coupé depuis mercredi, ce qui ralentit considérablement la sortie d'informations.

Cadavres 

De premières photos et vidéos de cadavres, parfois empilés les uns sur les autres, mais aussi d'hommes en uniforme usant de leur arme à feu, commencent à apparaître sur les réseaux sociaux.

Le service de fact-checking de l'AFP a pu vérifier que certaines d'entre elles n'avaient jamais été postées auparavant. Plusieurs éléments montrent qu'elles ont été prises en Tanzanie.

Un porte-parole du principal parti d'opposition, Chadema, a estimé vendredi qu'au moins 700 manifestants hostiles au régime ont été tués en Tanzanie en trois jours. Un chiffre estimé crédible par une source sécurité, qui a alors mentionné "des centaines de morts".

Le samedi, ce porte-parole, John Kitoka, a ensuite fait état d'au moins 800 tués.

Des informations crédibles corroborent l'idée que des centaines, et peut-être même des milliers de personnes ont été tuées lors des violences électorales, a de son côté estimé une source diplomatique interrogée par l'AFP.

D'après des "rapports préoccupants", la police utilise également le blocage d'internet pour "traquer les membres de l'opposition et les manifestants qui pourraient avoir des vidéos" de ses atrocités, a poursuivi cette source.

La Mission d'observation électorale de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), dont la Tanzanie fait partie, a pointé lundi dans un rapport préliminaire "un faible nombre d'électeurs dans tous les bureaux de vote" où ses observateurs se trouvaient, avec parfois "plus de policiers que de votants", des irrégularités et des incidents violents "au cours desquels des membres de la police ont fait usage d'armes à feu".

Les écoles restent fermées lundi et les transports publics à l'arrêt. La capitale économique Dar es Salaam et les principales villes du pays ont retrouvé un peu de calme depuis le week-end.

Dimanche, le pape Léon XIV a indiqué prier "pour la Tanzanie" et évoqué les "nombreuses victimes" des affrontements ayant éclaté après les élections.

L'élection présidentielle était couplée avec les législatives.

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a réclamé vendredi une "enquête minutieuse et impartiale sur les accusations d'utilisation excessive de la force".


Islamabad assure que le cessez-le-feu avec l'Afghanistan «tient»

Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères. (AFP)
Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères. (AFP)
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  • "Le cessez-le-feu tient mais toute provocation entraînera une riposte adaptée à la nature de la violation du cessez-le-feu"
  • Un nouveau cycle de discussions est prévu à Istanbul le 6 novembre pour tenter d'instaurer une trêve durable à la frontière entre les deux pays après des affrontements d'une ampleur inédite

ISLAMABAD: Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères.

"Le cessez-le-feu tient mais toute provocation entraînera une riposte adaptée à la nature de la violation du cessez-le-feu", a assuré Tahir Andrabi, porte-parole de ce ministère. Un nouveau cycle de discussions est prévu à Istanbul le 6 novembre pour tenter d'instaurer une trêve durable à la frontière entre les deux pays après des affrontements d'une ampleur inédite.

 


Soudan: le Conseil de sécurité de l'ONU condamne «l'assaut» des paramilitaires sur El-Facher

Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils". (AFP)
Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils". (AFP)
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  • Dans cette déclaration, le Conseil exprime sa "profonde inquiétude concernant l'escalade de la violence dans et autour d'El-Facher"
  • El-Facher, dernière grande ville du Darfour qui échappait au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), "déjà le théâtre de niveaux catastrophiques de souffrance humaine, a plongé dans un enfer encore plus noir"

NATIONS-UNIES: Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils".

Dans cette déclaration, le Conseil exprime sa "profonde inquiétude concernant l'escalade de la violence dans et autour d'El-Facher", dont les paramilitaires des Forces de soutien rapide viennent de prendre le contrôle, et condamne les "atrocités qu'auraient commises les FSR contre la population civile, y compris exécutions sommaires et détentions arbitraires".

El-Facher, dernière grande ville du Darfour qui échappait au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), "déjà le théâtre de niveaux catastrophiques de souffrance humaine, a plongé dans un enfer encore plus noir, avec des informations crédibles d'exécutions de masse" après l'entrée des paramilitaires, a dénoncé devant le Conseil de sécurité le chef des opérations humanitaires de l'ONU, Tom Fletcher.

"Nous ne pouvons pas entendre les cris, mais pendant que nous sommes assis ici, l'horreur se poursuit. Des femmes et des filles sont violées, des gens mutilés et tués, en toute impunité", a-t-il ajouté.

Mais "la tuerie n'est pas limitée au Darfour", a-t-il alerté, s'inquiétant notamment de la situation dans le Kordofan voisin.

"Des combats féroces au Kordofan-Nord provoquent de nouvelles vagues de déplacement et menacent la réponse humanitaire, y compris autour de la capitale El-Obeid".

Des informations font état "d'atrocités à large échelle commises par les Forces de soutien rapide à Bara, dans le Kordofan-Nord, après la récente prise de la ville", a également dénoncé Martha Ama Akyaa Pobee, sous-secrétaire générale de l'ONU chargée de l'Afrique.

"Cela inclut des représailles contre des soi-disant collaborateurs, souvent ethniquement motivées", a-t-elle déploré.

"Au moins 50 civils ont été tués ces derniers jours à Bara, à cause des combats et par des exécutions sommaires. Cela inclut l'exécution sommaire de cinq bénévoles du Croissant rouge", a-t-elle indiqué.

Le Kordofan "est probablement le prochain théâtre d'opérations militaires pour les belligérants", a-t-elle mis en garde.

"Des attaques de drones de la part des deux parties touchent de nouveaux territoires et de nouvelles cibles. Cela inclut le Nil Bleu, Khartoum, Sennar, le Kordofan-Sud et le Darfour-Ouest, ce qui laisse penser que la portée territoriale du conflit s'élargit", a ajouté la responsable onusienne.

Décrivant la situation "chaotique" à El-Facher où "personne n'est à l'abri", elle a d'autre part noté qu'il était difficile d'y estimer le nombre de victimes.

La guerre au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et provoqué la pire crise humanitaire actuelle, selon l'ONU.

Elle a été déclenchée en avril 2023 par une lutte de pouvoir entre deux anciens alliés: le général Abdel Fattah al-Burhane, commandant de l'armée et dirigeant de facto du Soudan depuis le coup d'Etat de 2021, et le général Mohamed Daglo, à la tête des FSR.