L’Iran, qui joue l’équilibriste dans le conflit Azerbaïdjan-Arménie, fait évoluer ses positions

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Publié le Mercredi 14 octobre 2020

L’Iran, qui joue l’équilibriste dans le conflit Azerbaïdjan-Arménie, fait évoluer ses positions

L’Iran, qui joue l’équilibriste dans le conflit Azerbaïdjan-Arménie, fait évoluer ses positions
  • Téhéran a mentionné le droit de l’Azerbaïdjan de reprendre tous ses territoires qui étaient occupés en 1994 ; l’Iran n’avait jamais pris de telles positions auparavant
  • En cherchant à séduire l’Azerbaïdjan via ses communiqués officiels, l’Iran voulait que Bakou atténue son opposition à le voir devenir médiateur du conflit

Avec la reprise du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, la Turquie affichant un parti pris net pour l'Azerbaïdjan, certains prévoient que l'avenir du conflit dans le Caucase sera régi par la formule d’alliance 2+2+1, autrement dit avec d’un côté l'Azerbaïdjan et la Turquie et de l’autre l’Arménie et l’Iran, avec la Russie jouant le rôle médiateur, bien qu’ayant un parti pris pour l’Arménie.

Cette formule d’alliances s’explique par la nature de la rivalité turco-iranienne dans le Caucase et par le désir de l’Iran d’empêcher l’Azerbaïdjan d’émerger en tant que nation puissante, de reprendre ses territoires, de s’allier à la Turquie et de contrôler l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, l’un des plus importants au monde, et qui permet de transférer gaz et pétrole du Caucase vers l’Europe. Cependant, de nombreux facteurs ont poussé l’Iran à ne pas choisir cette formule et à annoncer une position neutre officielle, modifiant à peine sa rhétorique sur le conflit.

La position iranienne officielle a toujours appelé à ce que le conflit soit résolu par le biais de négociations, sans montrer beaucoup d’enthousiasme pour la prise de position de l’Azerbaïdjan. L’Iran a également tenté de jouer le rôle de médiateur. Mais la Russie refuse de laisser l’Iran servir de médiateur, insistant sur le fait que le Groupe de Minsk, qui a été créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, devait seul jouer le rôle de médiateur officiel. Moscou copréside le Groupe de Minsk en partenariat avec les États-Unis et la France.

Par ailleurs, l’Azerbaïdjan estime que la neutralité de l’Iran est discutable, étant donné la coopération économique significative qui existe entre l’Iran et l’Arménie, surtout après la construction d’un gazoduc entre les deux pays, inauguré en 2007, et la mise en œuvre par Téhéran de projets de routes dans les territoires azerbaïdjanais occupés par l’Arménie.

Un changement de tactique de l’Iran

Après une nouvelle reprise du conflit le 27 septembre, l’Iran a tardé à publier son premier communiqué au sujet des combats en cours, tandis que les Turcs ont immédiatement exprimé leur position, soutenant fermement l’Azerbaïdjan. Le premier communiqué iranien a utilisé la même rhétorique que dans les communiqués précédents émis lors de précédents affrontements entre les deux pays. Il a appelé à l’arrêt du conflit et à des négociations entre les parties en guerre. Toutefois, la rhétorique iranienne officielle a rapidement changé, Téhéran mentionnant le droit de l’Azerbaïdjan de reprendre tous ses territoires qui étaient occupés en 1994. L’Iran n’avait jamais pris de telles positions auparavant.

Plusieurs facteurs ont contribué au changement de la rhétorique iranienne. En effet, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a annoncé ses deux conditions pour arrêter les combats : que l’Arménie restitue les territoires azerbaïdjanais, et que la Turquie devienne le médiateur dans les négociations qui se tiendront. Il ne fait aucun doute que la seconde condition compromettrait la position de l’Iran dans le Caucase et renforcerait la présence de la Turquie dans la région.

En cherchant à séduire l’Azerbaïdjan via ses communiqués officiels, l’Iran voulait que Bakou atténue son opposition à le voir devenir médiateur du conflit. Cela s’explique par le fait qu’il est prévisible que l’Arménie opposera son veto à la participation de la Turquie comme médiateur, ce qui obligera d’autres acteurs à s’impliquer.

La peur du réveil de la minorité azérie en Iran

L’autre facteur important pour Téhéran est l’éventualité que les manifestations azéries se propagent jusqu’à l’intérieur de ses frontières. La minorité azérie représente en effet 20% de la population iranienne et soutient l’Azerbaïdjan dans sa quête de reprise de ses territoires. Cette inquiétude est venue se confirmer lorsqu’un certain nombre d’Azerbaïdjanais ont manifesté devant l’ambassade iranienne à Bakou, en scandant : « Les Perses, les Russes et les Arméniens sont nos ennemis et ceux des Turcs ».

Des manifestations ont par ailleurs éclaté dans des villes iraniennes à majorité azérie comme Tabriz et Ardabil., dénonçant le soutien de l’Iran à l’Arménie. Ces manifestations constituent une menace pour la sécurité intérieure de l’Iran et pourraient pousser la minorité azérie à prendre des mesures contre le régime de Téhéran

Afin de calmer la situation et d’apaiser le ressentiment des Azéris iraniens, les députés du chef suprême des quatre provinces à majorité azérie de Zanjan, d’Ardabil, de l’Azerbaïdjan-oriental et de l’Azerbaïdjan-occidental ont annoncé que l’Iran soutenait l’Azerbaïdjan. Ils ont déclaré que les territoires iraniens ne seraient pas utilisés pour livrer des armes russes à l'Arménie.

Il semblerait que la possibilité pour l’Iran de livrer des armes russes à l’Arménie soit en partie fondée. La Russie ne partage aucune frontière terrestre avec l’Arménie. Elles sont séparées par la Géorgie, qui possède des intérêts économiques importants en Azerbaïdjan, puisque l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan passe par le territoire géorgien avant d’atteindre la côte turque. La Géorgie et la Russie ont en outre un différend important sur les deux régions d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. En revanche, l’Iran est directement relié à la Russie par la mer Caspienne, et à l’Arménie par voie terrestre via le couloir de Meghri. En raison de l’alliance militaire entre la Russie et l’Iran et l’utilisation par Moscou des aéroports iraniens lors de la guerre en Syrie, les soupçons se sont tournés vers les Russes, qui pourraient utiliser le territoire iranien pour fournir des armes à l'Arménie.

Le danger des milices syriennes

Le troisième facteur qui préoccupe l’Iran est l'utilisation présumée par l'Azerbaïdjan de milices composées de Syriens dans le conflit, ces derniers ayant été transférés par la Turquie de la Syrie et de la Libye vers les territoires azéris. Si ces combattants restaient dans la région après la fin des combats et que la Turquie ne les renvoie pas en Syrie, ils constitueraient un danger imminent pour l’Iran. Beaucoup de ces milices pensent que leur ennemi n° 1 est l'Iran, pas la Russie, l'Arménie ou même Bachar al-Assad. Par conséquent, c’est l’Iran qui souffrira le plus de la présence de ces milices — une arme déjà utilisée dans de nombreux conflits au Moyen-Orient.

L’Iran démontrerait donc un certain degré de sympathie avec l’Azerbaïdjan et son allié, la Turquie, afin de se prémunir des milices stationnées à deux pas de ses frontières. Ces groupes sont suffisamment prêts au combat pour s’engager dans une guérilla en Iran, tout comme les milices Fatemiyoun et Zainebiyoun que l'Iran a fait venir d’Afghanistan et du Pakistan pour combattre l’opposition syrienne.

Dr. Mohammed Al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).Twitter : @mohalsulami

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com