Marine Le Pen veut empêcher les binationaux d’exercer certains emplois

La candidate du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen (AFP)
La candidate du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen (AFP)
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Publié le Jeudi 21 avril 2022

Marine Le Pen veut empêcher les binationaux d’exercer certains emplois

  • Si le programme de la candidate d’extrême droite était appliqué, de nombreux emplois pourraient être interdits aux étrangers et aux binationaux
  • Pour mettre en œuvre son projet, Marine Le Pen compte s’appuyer sur un référendum populaire jugé anticonstitutionnel par de nombreux juristes

PARIS: Marine Le Pen, une fois au pouvoir, rendrait-elle impossible l’accès à certains emplois aux binationaux? Rien n’est certain, mais en tout cas, la candidate du Rassemblement national (RN) en a l’ambition. Malgré l’image adoucie qu’elle s’est construite au fil des années, son programme est bien plus radical qu’elle ne veut le faire paraître. ll est accessible sur internet, il suffit alors de bien le lire, dans les détails, pour s’en rendre compte.

L’article 1 de son projet de loi intitulé «Citoyenneté identité et immigration» contient une précision passée presque inaperçue, mais qui pourrait pourtant avoir des conséquences majeures. Il est en effet écrit noir sur blanc que «la loi pourra interdire l’accès à des emplois dans l’administration, des entreprises publiques et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre État». En clair, des binationaux.

Des millions de personnes concernées

Il ne s’agit plus «seulement» de priver l’accès à certains emplois aux étrangers, mais aussi à ceux qui détiennent une autre nationalité en plus de la française. Cela toucherait près de 3,5 millions de personnes, selon l'hebdomadaire français Le Nouvel Obs. La candidate du RN ne précise toutefois pas dans son projet de loi si sont uniquement concernées les personnes ayant la double nationalité extra-européenne. «Une telle loi différencierait les Français en fonction de leurs origines ou de leurs attaches, et stigmatiserait les personnes d’origine immigrée. L’extrême-droite n’a pas changé, elle est toujours aussi raciste », dénonce à Arab News en français, M’jid El Guerrab, député des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, membre de la majorité présidentielle.

L’information est passée en catimini, peu reprise par les médias. Et pourtant la question du retrait de la double nationalité a toujours fait polémique dans l’Hexagone. Le sujet n’est en effet pas nouveau au sein du parti d’extrême droite. C’est une vieille rengaine, qui était déjà chère à Jean-Marie Le Pen, président et cofondateur du Front national, l’ancêtre du RN. En 2017, en digne héritière de son père, Marie Le Pen avait repris cette mesure, indiquant que cette «double allégeance» constituait un frein au sentiment d’appartenance et mettait à mal l’identité nationale. Un fantasme xénophobe pour ses nombreux détracteurs.

Marine le Pen a fini par abandonner la mesure en 2022, considérant qu’elle n’était pas déterminante et qu’elle risquait de blesser inutilement certains Français, allant même jusqu’à dire qu’elle préférait «mettre ça de côté, car c’est comme mettre du sel sur des plaies ouvertes». S’il n’est plus donc question de retirer la double nationalité aux extra-européens, Marine Le Pen n’abandonne pas pour autant son projet de «préférence nationale».

«Un coup d'Etat anticonstitutionnel»

Cette mesure qui prône l’inégalité est contraire à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1789, viole les conventions européennes et la Constitution française. Pour mettre en œuvre son projet, Marine Le Pen veut s’appuyer sur un référendum législatif, qu’elle ambitionne de mettre en place dans les six mois suivant son élection. Un passage en force anticonstitutionnel, selon Me Laouini, avocat au Barreau du Val-de-Marne. «La candidate compte utiliser l’article 11 de la Constitution pour contourner l’accord nécessaire du Parlement pour la modifier, prévu dans l’article 89 du texte. En l'absence d'une majorité au Parlement, une telle manoeuvre lui permettrait de soumettre directement son projet au peuple et contournerait donc l'approbation préalable du législateur», soutient-il à Arab News en français.  «Le général de Gaulle avait déjà eu recours à l'article 11 en lieu et place de l'article 89 pour instituer le suffrage universel direct. À l’époque, ce coup de force n'a pas été censuré par le Conseil constitutionnel qui avait considéré qu'il n'était pas compétent pour s'opposer à la volonté du peuple souverain. Aujourd’hui, les constitutionnalistes s'accordent à dire que ce serait un coup d'État constitutionnel.»

Si le discours de la candidate du RN est policé sur la forme, il n’en est donc rien sur le fond. Comme l’indique la conclusion d’un récent rapport de la Fondation Jean-Jaurès sur l’idéologie, l’image et l’électorat de Marine Le Pen, «le discours reste finalement tout aussi radical que ces dernières années» avec en plus l'illusion d'être une candidate présidentiable...

 


Voile à l'école: plainte et vague d'indignation après le départ d'un proviseur menacé de mort

Les élèves arrivent au lycée Maurice Ravel à Paris, le 1er septembre 2015, pour la rentrée. PHOTO AFP / KENZO TRIBOUILLARD (Photo par KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Les élèves arrivent au lycée Maurice Ravel à Paris, le 1er septembre 2015, pour la rentrée. PHOTO AFP / KENZO TRIBOUILLARD (Photo par KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
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  • Le proviseur «a tout simplement fait son travail» en demandant «à une jeune femme d'appliquer la loi, c'est-à-dire de retirer son voile dans l'établissement scolaire», a souligné Attal
  • Un jeune homme de 26 ans, originaire des Hauts-de-Seine, a été arrêté et doit être jugé le 23 avril à Paris pour avoir menacé de mort le chef d'établissement sur internet

PARIS: L'annonce du départ du proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, menacé de mort après une altercation avec une élève pour qu'elle enlève son voile, a suscité une vague d'indignation, jusqu'au Premier ministre qui a annoncé mercredi une plainte pour "dénonciation calomnieuse" contre la jeune femme.

"L'Etat, l'institution, sera toujours aux côtés de ses agents, de ceux qui sont en première ligne face à ces atteintes à la laïcité, face à ces tentatives d'entrisme islamiste dans nos établissements scolaires", a affirmé Gabriel Attal sur TF1, après avoir reçu dans l'après-midi le proviseur avec sa ministre de l'Education Nicole Belloubet.

"J'ai décidé que l'Etat allait porter plainte contre cette jeune femme pour dénonciation calomnieuse", a-t-il déclaré. "Il ne faut rien laisser passer", selon le Premier ministre qui a rappelé les morts de Dominique Bernard et Samuel Paty, deux enseignants tués dans des attentats islamistes.

Le proviseur "a tout simplement fait son travail" en demandant "à une jeune femme d'appliquer la loi, c'est-à-dire de retirer son voile dans l'établissement scolaire", a encore souligné Gabriel Attal, en vertu de la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école de 2004.


Retour de mission en mer Rouge: des missiles en moins, «  la fierté » en plus

Pendant la mission de la frégate, l'alerte pouvait survenir à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit: un long klaxon pour appeler au poste de combat. (AFP).
Pendant la mission de la frégate, l'alerte pouvait survenir à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit: un long klaxon pour appeler au poste de combat. (AFP).
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  • Dans le central opérations, cerveau du navire d'où les opérations sont dirigées depuis des dizaines d'écrans de contrôle, le quartier-maître Robin dit qu'il se souviendra de sa quatrième mission
  • "C'était la première fois où on pouvait mettre du concret sur ce pour quoi on s'entraîne, on se dit qu'on ne fait pas ça pour rien, on se sent utile", relate l'opérateur radar de surface de 22 ans

TOULON: Les couvercles des silos de missiles ont été noircis par les tirs contre les drones lancés par les rebelles Houthis: à bord de la frégate française Languedoc, de retour à Toulon après une mission en mer Rouge, l'équipage se dit fier d'avoir fait face à l'épreuve du feu.

Dans le central opérations, cerveau du navire d'où les opérations sont dirigées depuis des dizaines d'écrans de contrôle, le quartier-maître Robin dit qu'il se souviendra de sa quatrième mission.

"C'était la première fois où on pouvait mettre du concret sur ce pour quoi on s'entraîne, on se dit qu'on ne fait pas ça pour rien, on se sent utile", relate l'opérateur radar de surface de 22 ans.

Du 5 décembre au 25 février, la frégate multi-missions (Fremm) a été déployée en mer Rouge et dans le golfe d'Aden, voie maritime stratégique où des navires commerciaux font régulièrement l'objet d'attaques depuis le Yémen de la part des rebelles Houthis.

A quatre reprises, la frégate a dû ouvrir le feu avec ses missiles Aster 15 contre des drones lancés par les Houthis contre elle ou les navires qu'elle escortait.

"Il y en a qui passent 20 ans dans la Marine sans avoir vécu ça", estime le quartier-maître, qui, avec les 136 membres d'équipage, confie, à l'occasion d'une visite du ministre des Armées Sébastien Lecornu, s'être senti "très fier".

Si l'amiral Pierre Vandier, alors chef d'état-major de la Marine, avait prévenu en 2020 les futurs officiers de l'Ecole navale qu'ils entraient "dans une marine qui va probablement connaître le feu" et qu'ils devaient "s'y préparer", les ouvertures du feu en situation de combat restent rares.

La dernière remontait au 14 avril 2018 avec le tirs de trois missiles de croisière naval (MdCN), déjà depuis la Languedoc, lors de l'opération Hamilton contre des sites liés au programme d'armement chimique syrien.

Au poste de combat

- "Quand est-ce que le bateau avait tiré un missile Aster pour la dernière fois ?", s'enquiert le ministre auprès du commandant, le capitaine de vaisseau Laurent Saunois.

- "Il n'y en avait jamais eu".

- "Oui... On a changé d'époque", constate le ministre qui note une "accumulation des menaces".

Depuis le déploiement de la Fremm Languedoc, renforcée puis remplacée sur zone par l'Alsace et maintenant par la Lorraine, 22 missiles Aster ont été tirés par la Marine française contre des drones et missiles balistiques houthis.

Les rebelles yéménites, soutenus par l'Iran, sont à l'origine d'au moins 50 attaques de navires depuis l'automne, selon le Pentagone.

Pendant la mission de la frégate, l'alerte pouvait survenir à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit: un long klaxon pour appeler au poste de combat.

Le 20 février, il est minuit passé et le quartier-maître Robin passe en quelques minutes de sa couchette à son poste quand il n'est pas de service sur le radar: pompier en combinaison ignifugée paré à intervenir si le navire était touché.

"Avant le tir, on entend +Engagement Aster+ puis on le sent partir, ça fait trembler le navire", relate-t-il, confiant que l'entraînement paie: "C'est répété et répété et quand ça arrive vraiment on passe en mode automatique et on le fait".

Les automatismes développés à l'entraînement sont primordiaux pour faire vite et bien, abonde le pacha: une fois le drone détecté, le navire a dix minutes avant qu'il n'arrive au navire mais "pour un missile balistique, comme l'Alsace a eu en traiter, c'est dix secondes", explique-t-il au ministre.

Pour l'amiral Christophe Cluzel, patron de la Force d'action navale regroupant tous les navires de surface français, "c'est rassurant pour un commandant de force, ça montre que l'entraînement est adapté au réel".

Cela montre aussi les besoins: pendant que la Languedoc était déployée, des systèmes optroniques d'identification et de conduite de tir Paseo - sortes d'énormes jumelles permettant de vérifier visuellement ce qui n'est au départ qu'un écho radar - ont été montés en urgence sur les frégates Alsace et Lorraine avant leur mission en mer Rouge.


Après la France, l'infox virale sur Brigitte Macron exportée à l'international

Emmanuel et Brigitte Macron. (AFP).
Emmanuel et Brigitte Macron. (AFP).
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  • Face caméra, la blogueuse américaine Candace Owens assure dans sa chronique du 11 mars "mettre sa réputation en jeu" pour se faire l'écho d'un "scoop" qu'auraient révélé des "journalistes français"
  • L'Américaine s'en prend violemment à Brigitte Macron - née Trogneux - assurant, documents et photos à l'appui, qu'elle serait en réalité une femme transgenre née sous le prénom Jean-Michel

PARIS: Après la France, l'infox selon laquelle Brigitte Macron serait "née homme" atteint les Etats-Unis, l'extrême droite américaine s'appropriant à son tour cette rumeur rocambolesque aux relents sexistes et transphobes, en pleine campagne présidentielle.

"DINGUE : c'est le plus gros scandale de l'histoire de l'humanité". Face caméra, la blogueuse américaine Candace Owens assure dans sa chronique du 11 mars "mettre sa réputation en jeu" pour se faire l'écho d'un "scoop" qu'auraient révélé des "journalistes français".

Dans une vidéo vue plus d'un million et demi de fois sur YouTube avant sa suppression, l'Américaine s'en prend violemment à Brigitte Macron - née Trogneux - assurant, documents et photos à l'appui, qu'elle serait en réalité une femme transgenre née sous le prénom Jean-Michel.

Deux hashtags accompagnent la vidéo -#JeanMichelTrogneux et #BrigitteGate- mentionnés ensuite dans des dizaines de milliers de messages sur X, selon l'outil d'analyse des réseaux sociaux Visibrain.

Cette rumeur circulait déjà en France, explosant fin 2021 à quelques semaines de la présidentielle, des internautes assurant qu'un vaste complot cacherait ce "secret". Et d'en profiter pour relayer des accusations de pédocriminalité à l'encontre de la Première dame.

Itinéraire d'une rumeur

Des allégations, très relayées en France par des mouvances mêlant complotistes, covido-sceptiques ou extrême droite, qui avaient poussé Brigitte Macron à saisir la justice.

Au point qu'Emmanuel Macron les avait même évoquées le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes : "Les pires des choses, ce sont les fausses informations et les scénarios montés avec des gens qui finissent par y croire et qui vous bousculent dans votre intimité", avait-il déploré.

En guise de "source", Candace Owens cite "Faits et Documents", une "lettre d'informations confidentielles". Fondée en 1996 par une figure de l'extrême droite, Emmanuel Ratier, et aujourd'hui écrite par Xavier Poussard, la publication avait en 2021 relayé les "recherches" menées par Natacha Rey, se présentant comme "journaliste indépendante".

"'Faits et documents' a depuis continué de sortir des dossiers sur Brigitte Macron. Mais ce qui est nouveau, c'est que Xavier Poussard a commencé à traduire son argumentaire fin 2023 sous les conseils de (l'ancien publicitaire, NDLR) Aurélien Poirson, connu sur X sous le nom de Zoé Sagan, et dit l'avoir envoyé en anglais à l'entourage de Donald Trump", explique à l'AFP Emmanuelle Anizon, grand reporter à l'Obs qui a rencontré les deux hommes et publié le 22 mars "L'Affaire Madame" , sur la genèse de cette infox.

"Le duo Poussard, qui a des connections politiques, et Poirson, qui a un sens de la communication très aiguisé, m'a expliqué qu'il rêvait d'exporter cette rumeur outre-Atlantique", poursuit l'autrice.

Sexisme

Une tactique efficace : d'abord diffusée sur des réseaux confidentiels comme le forum 4Chan, l'infox explose "lorsque des influenceurs (...) comme l'ex-présentateur de Fox News Tucker Carlson ou Candace Owens, qui possèdent une très grosse audience, lui donnent de la visibilité", retrace Sophie Chauvet, doctorante en sciences de l'information.

Des personnalités ultra-conservatrices connues pour relayer des thèses complotistes et racistes, et proches de Donald Trump, candidat à la présidentielle de novembre.

La rumeur "avait déjà circulé en France et était disponible clé en main au moment voulu (...), dans une démarche opportuniste", analyse Sebastian Dieguez, spécialiste du complotisme à l'Université de Fribourg (Suisse).

L'ex-Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern et l'ex-Première dame américaine Michelle Obama avaient elles aussi été ciblées par les mêmes rumeurs, en 2017 et 2018.

"Le récit d'une personne 'secrètement trans' est une caractéristique de longue date des violences sexistes en ligne",  cela repose sur le "principe que les identités transgenres, surtout 'cachées', sont si odieuses qu'une fois la vérité révélée, ces femmes perdront toute crédibilité et tout pouvoir", analysait en 2021 l'institut de recherche américain Wilson Center dans un rapport.

« Des élites perverties »

"Le fond de l'affaire, c'est de dire que les élites sont perverties, malades, et ont une sexualité bizarre, dans le but de diaboliser un adversaire politique (via) des thématiques prisées par l''alt-right' (extrême droite américaine, NDLR) sur la transidentité, l'homophobie et la pédophilie", relève Sebastian Dieguez.

Face à cela, "des hommes forts doivent restaurer l'ordre et la moralité, à l'image de Donald Trump ou Vladimir Poutine", selon cette grille de lecture.

D'autant qu'aux Etats-Unis, "l'imaginaire pédosataniste est particulièrement développé, depuis les évangélistes dans les années 1970 puis avec le mouvement (complotiste d'extrême droite, NDLR) QAnon, et accepté, relayé par des personnalités de premier plan comme Trump", soulève Julien Giry, chercheur en sciences de l’information et de la communication.