BAGDAD- Sans des réformes majeures sous un an, l'économie irakienne va subir "des chocs irréversibles", a prévenu lundi le ministre des Finances Ali Allawi, dans un entretien accordé à l'AFP.
Affirmant que "les réformes étaient inévitables", l’universitaire de 73 ans, en poste depuis un mois et demi, a estimé que la situation était "pire" aujourd'hui, car Bagdad fait face à « une crise économique existentielle ».
Les projections annoncent en effet une contraction de l'économie irakienne de 10% cette année. Les revenus du pays ont été divisés par deux avec la récente chute des cours du pétrole, et un baril qui est passé de 50 dollars à une vingtaine de dollars.
A l'époque, le prix du baril de pétrole était quasiment équivalent à environ 35 dollars, mais le nombre de fonctionnaires payés par l'Etat irakien n'atteignait pas un million. Aujourd'hui, ils sont plus de quatre millions et autant d'autres Irakiens perçoivent des retraites et autres pensions de l'Etat, pour un montant mensuel d'environ quatre milliards d'euros.
Comptes vides et "extraterrestres"
Selon M. Allawi, le gouvernement devrait payer à temps les salaires de juin et juillet en empruntant aux banques d'Etat.
"Cela est faisable jusqu'à un certain degré, au-delà, nous nous exposons à des risques graves", a-t-il toutefois prévenu.
Face à ces dépenses qui n'ont fait que gonfler au fil des ans, le gouvernement a trouvé, selon M. Allawi, des caisses vides, 17 ans après l'invasion américaine qui a renversé Saddam Hussein et mis en place un nouveau système politique, rongé par le clientélisme, et qui a placé l'Irak en queue de peloton mondial en termes de corruption.
"Un gouvernement a habituellement sur ses comptes de quoi assurer un mois et demi à deux mois de dépenses en cas d'urgence", a assuré M. Allawi depuis son domicile à Bagdad. "Je m'attendais à trouver entre 7,5 et 10 milliards d'euros, il n'y en avait qu'un milliard et demi de disponible".
Aujourd'hui, pour les experts -dont M. Allawi, un temps passé par la Banque mondiale-, c'est tout le système de financement du deuxième producteur de l'Opep qui doit être révisé. Pour les 40 millions d'Irakiens, il faudra d'abord passer par une sévère austérité, qui pourra durer "jusqu'à deux ans", a-t-il assuré.
Surtout, les autorités vont faire le tri dans la liste des fonctionnaires et pensionnés, dont certains cumulent les allocations publiques, et en retirer les "extraterrestres", mot d'argot irakien utilisé pour désigner ces fonctionnaires dont les noms figurent sur les listes de salaires à verser mais qui ne se sont jamais présentés à leur emploi, fictif.
Le pétrole et la confiance
Au niveau du gouvernement, M. Allawi a estimé qu’il va falloir mettre en œuvre les promesses faites de longue date de diversifier l'économie, pour ne plus placer le destin du pays entre les seules mains des marchés mondiaux du brut, et entamer des discussions avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
"Si le prix du pétrole reste à ce niveau un an et que nos dépenses restent inchangées, nous allons rencontrer un obstacle: on ne peut pas diriger un pays seulement en espérant que les prix du pétrole montent assez pour couvrir les dépenses", a-t-il affirmé.
Mais une réforme complète de l'économie peut-elle être menée par un gouvernement de transition, nommé après la plus grave crise sociale qu'ait connu le pays?
Ce dilemme, M. Allawi l'a déjà connu en 2005.
Cette fois-ci, reconnaît-il, la crise de confiance entre citoyens et dirigeants est consommée, après six mois d'une révolte populaire inédite et réprimée dans le sang par le gouvernement précédent d'Adel Abdel Mahdi.
Déjà au début du mois, quand les retraites ont été ponctionnées, la levée de boucliers a été unanime contre M. Allawi et le Premier ministre Moustafa al-Kazimi, jusqu'au sein du Parlement, l'instance sur laquelle il compte pourtant pour approuver les réformes et lancer la lutte contre la corruption, qui a déjà englouti 410 milliards d'euros de fonds publics depuis 2003.