Allemagne : quand le modèle économique vacille

Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, lors d'une conférence de presse à Berlin, le 27 juillet 2022. (Photo de Christian Spicker / AFP)
Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, lors d'une conférence de presse à Berlin, le 27 juillet 2022. (Photo de Christian Spicker / AFP)
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Publié le Vendredi 29 juillet 2022

Allemagne : quand le modèle économique vacille

  • La pandémie et la guerre en Ukraine ont révélé les vulnérabilités des économies lorsque les chaînes d'approvisionnement se grippent et que des composants cruciaux ne peuvent plus être importés
  • Moins cher à produire et à transporter, le gaz acheté à la Russie a contribué durant des décennies à la prospérité de l'industrie allemande, qui consomme 30% du gaz brûlé en Allemagne

BERLIN: L'Allemagne devrait livrer vendredi des chiffres de croissance en berne pour le second trimestre, assombri par les répercussions de la guerre en Ukraine. Une récession semble inévitable dans les prochains mois.

Mais au-delà du trou d'air conjoncturel, c'est le modèle économique de la première puissance européenne qui vacille, estiment les experts.

 

Fini l'énergie bon marché

"La guerre en Ukraine met fin au modèle économique allemand tel que nous le connaissions", observent les analystes de la banque ING, citant "importations d'énergie bon marché et exportations industrielles dans un monde de plus en plus globalisé".

Moins cher à produire et à transporter, le gaz acheté à la Russie a contribué durant des décennies à la prospérité de l'industrie allemande, qui consomme 30% du gaz brûlé en Allemagne.

Plus de la moitié du gaz importé provenait, avant la guerre en Ukraine, de Russie. Cette part est passée depuis à 35%.

Pour s'affranchir totalement du gaz russe --objectif que s'est fixé Berlin pour mi-2024--, l'Allemagne va recourir à des sources d'énergie plus onéreuses -- gaz de Norvège, des Pays-bas, gaz naturel liquéfié des Etats-Unis ou du Qatar -- ou plus irrégulières avec l'énergie solaire ou éolienne.

 

- Mondialisation grippée

"Nation exportatrice, l'Allemagne bénéficie plus que les autres du libre-échange. Mais c'est précisément ce qui est en danger", s'inquiétait en juillet le quotidien Süddeutsche Zeitung.

La pandémie et la guerre en Ukraine ont révélé les vulnérabilités des économies lorsque les chaînes d'approvisionnement se grippent et que des composants cruciaux, tels que les semi-conducteurs, ne peuvent plus être importés.

L'industrie allemande a été particulièrement touchée, en premier lieu le secteur automobile.

Après la cuisante déconvenue russe, la dépendance à la Chine inquiète Berlin : elle n'est "pas saine non plus", a reconnu le ministre des Finances, le très libéral Christian Lindner.

La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'Allemagne. Les échanges entre les deux pays ont encore augmenté de 15,1% sur un an en 2021.

"C'est potentiellement un nouveau risque", explique l'économiste Claudia Kemfert. Pas aussi important que pour la Russie, selon elle, "mais nous devons nous appuyer davantage sur une économie nationale et renforcer la résilience".

Cherche salariés désespérément

Occulté par les répercussions de la guerre en Ukraine, le manque de personnel est le problème numéro un de nombreuses entreprises dans un pays à la population vieillissante.

En plus du million de postes vacants actuellement, "l'Allemagne aura besoin de 500 000 travailleurs supplémentaires chaque année au cours des dix prochaines années", affirme Marcel Fratzscher, président de l'Institut de recherche économique (DIW). Le spécialiste y voit "une menace pour la compétitivité et la prospérité du pays".

L'équipementier Continental a lancé un cri d'alarme en juillet : l'Allemagne "a un besoin urgent d'une immigration contrôlée".

 

Choc d'inflation

La peur de l'inflation, revenue par surprise après des années de prix atones, n'épargne aucun pays de l'UE.

Mais en Allemagne, le traumatisme de l'hyperinflation des années 1920 continue de façonner le débat public.

L'obsession pour la stabilité des prix est aussi liée "au maintien d'une industrie compétitive et d'une nation d'épargnants", rappelaient récemment deux économistes de l'OFCE.

Au pays de la modération salariale, les revendications se multiplient : le mois de juillet a connu le plus long mouvement social dans les ports allemands depuis 40 ans.

Le syndicat IG Metall réclame des hausses de salaires de 8% pour 3,8 millions de salariés du secteur industriel, les plus fortes depuis 2008.

Et le magazine Spiegel de s'interroger : "Existe-t-il une menace de mouvement des gilets jaunes en Allemagne ?". "Si la classe moyenne s'effondre, tout peut s'effondrer", s'inquiète le magazine.

 

Mirage de la rigueur

Revenir l'an prochain à l'orthodoxie budgétaire, pilier du modèle allemand ? L'objectif martelé par le ministre des Finances est "aussi surprenant qu'irréaliste", préviennent les économistes d'ING.

Après avoir fait sauter le tabou de la rigueur durant la pandémie de coronavirus, l'Allemagne dépense de nouveau des milliards pour soutenir ménages et entreprises face à la crise énergétique, tandis que sa transition énergétique accélérée implique des investissements colossaux.

"L'Allemagne aura besoin de temps et d'argent", prévient ING, pour mettre en œuvre des "investissements et des changements structurels aussi déterminés qu'elle l'a exigé des autres pays de la zone euro dans le passé".


Taxe Zucman : «truc absurde», «jalousie à la française», selon le patron de Bpifrance

Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française". (AFP)
Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française". (AFP)
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  • M. Dufourcq, qui était interrogé sur RMC, a estimé que la taxe, dont le principe est d'imposer chaque année les contribuables dont la fortune dépasse 100 millions d'euros à hauteur de 2% de celle-ci, était "un truc complètement absurde"
  • Notant qu'avec la taxe Zucman, ils "paieraient tous en papier (en actions, NDLR) leurs 2%", M. Dufourcq a observé : "C'est moi, c'est la Bpifrance qui va gérer ce papier"

PARIS: Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française".

M. Dufourcq, qui était interrogé sur RMC, a estimé que la taxe, dont le principe est d'imposer chaque année les contribuables dont la fortune dépasse 100 millions d'euros à hauteur de 2% de celle-ci, était "un truc complètement absurde", mais qui selon lui "n'arrivera pas".

Mais "ça panique les entrepreneurs : ils ont construit leur boîte et on vient leur expliquer qu'on va leur en prendre 2% tous les ans. Pourquoi pas 3? Pourquoi pas 4? C'est invraisemblable!", a-t-il déclaré.

Notant qu'avec la taxe Zucman, ils "paieraient tous en papier (en actions, NDLR) leurs 2%", M. Dufourcq a observé : "C'est moi, c'est la Bpifrance qui va gérer ce papier" : "Donc demain j'aurai 2% du capital de LVMH, dans 20 ans 20%, 20% du capital de Pinault-Printemps-Redoute (Kering, NDLR), 20% du capital de Free. C'est délirant, c'est communiste en réalité, comment est-ce qu'on peut encore sortir des énormités comme ça en France!?"

"Ces gens-là tirent la France. Il faut les aider (...) au lieu de leur dire qu'on va leur piquer 2% de leur fortune".

Il a observé que "si on pique la totalité de celle de Bernard Arnault, ça finance 10 mois d'assurance-maladie", mais qu'après "il n'y a plus d'Arnault".

"Il n'y a pas de trésor caché", a estimé M. Dufourcq, qui pense que cette taxe "n'arrivera jamais", et n'est évoquée que "pour hystériser le débat" politique.

Pour lui, il s'agit "d'une pure histoire de jalousie à la française, une haine du riche, qui est soi-disant le nouveau noble", rappelant les origines modestes de François Pinault ou Xavier Niel: "c'est la société française qui a réussi, on devrait leur dresser des statues".

"Il y a effectivement des fortunes qui passent dans leur holding des dépenses personnelles", a-t-il remarqué, "c'est ça qu'il faut traquer, et c'est ce sur quoi le ministère des Finances, je pense, travaille aujourd'hui".

Mais il y a aussi "beaucoup de Français qui passent en note de frais leurs dépenses personnelles", a-t-il observé. "Regardez le nombre qui demandent les tickets dans les restaus", pour se les faire rembourser.


IA: Google investit 5 milliards de livres au Royaume-Uni avant la visite de Trump

Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays. (AFP)
Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays. (AFP)
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  • Le Royaume-Uni s'apprête à accueillir Donald Trump pour une deuxième visite d'Etat mercredi et jeudi, après une première visite en 2019 lors de son premier mandat
  • Le président américain sera accompagné par plusieurs grands patrons, notamment de la tech. Des annonces d'investissements sont attendues ainsi que la signature d'un accord technologique avec Londres

LONDRES: Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays.

Cette somme financera "les dépenses d'investissement, de recherche et développement" de l'entreprise dans le pays, ce qui englobe Google DeepMind (le laboratoire d'IA du géant californien), a indiqué le groupe dans un communiqué.

Google ouvre mardi un centre de données à Waltham Cross, au nord de Londres, dans lequel il avait déjà annoncé l'an dernier injecter un milliard de dollars (850 millions d'euros). La somme annoncée mardi viendra aussi compléter ce financement, a précisé un porte-parole de l'entreprise à l'AFP.

Le Royaume-Uni s'apprête à accueillir Donald Trump pour une deuxième visite d'Etat mercredi et jeudi, après une première visite en 2019 lors de son premier mandat.

Le président américain sera accompagné par plusieurs grands patrons, notamment de la tech. Des annonces d'investissements sont attendues ainsi que la signature d'un accord technologique avec Londres.

Selon un responsable américain, qui s'exprimait auprès de journalistes, dont l'AFP, en amont de la visite, les annonces se porteront à "plus de dix milliards, peut-être des dizaines de milliards" de dollars.

Le gouvernement britannique avait déjà dévoilé dimanche plus d'un milliard de livres d'investissements de banques américaines dans le pays, là aussi en amont de la visite d'Etat du président Trump.

Et l'exécutif britannique a annoncé lundi que Londres et Washington allaient signer un accord pour accélérer les délais d'autorisation et de validation des projets nucléaires entre les deux pays.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Londres redouble d'efforts pour se dégager des hydrocarbures et a fait du nucléaire l'une de ses priorités.

Le partenariat avec Washington, baptisé "Atlantic Partnership for Advanced Nuclear Energy", doit lui aussi être formellement signé lors de la visite d'État de Donald Trump.

 


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".