La crise politique en Irak et ses enjeux régionaux

Les partisans de l'ecclésiastique irakien Moqtada Sadr agitent des drapeaux alors qu'ils occupent le parlement irakien pour une sixième journée consécutive, pour protester contre une nomination au poste de Premier ministre par une faction chiite rivale, dans la zone verte de haute sécurité de la capitale Bagdad, le 4 août 2022. AHMAD AL-RUBAYE / AFP
Les partisans de l'ecclésiastique irakien Moqtada Sadr agitent des drapeaux alors qu'ils occupent le parlement irakien pour une sixième journée consécutive, pour protester contre une nomination au poste de Premier ministre par une faction chiite rivale, dans la zone verte de haute sécurité de la capitale Bagdad, le 4 août 2022. AHMAD AL-RUBAYE / AFP
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Publié le Mercredi 10 août 2022

La crise politique en Irak et ses enjeux régionaux

La crise politique en Irak et ses enjeux régionaux
  • Les partis de la coalition dite du «Cadre de coordination», dirigée par l'ancien premier ministre Nouri al-Malki, n'ont en effet obtenu que 17 sièges lors des dernières élections
  • L'occupation américaine de l'Irak en 2003 a inauguré le jeu de compétition communautaire au profit des partis et des mouvements, sous la houlette du clergé politique iranien

La crise interne que connaît Irak s'enlise de plus en plus au gré des fluctuations d’une classe politique en état d'ébullition depuis les élections parlementaires d'octobre 2021, qui ont abouti à une incroyable division du champ politique.

L'enjeu principal actuel réside dans la composition du gouvernement et dans le choix d’un président de la république consensuel après l'échec des différentes tentatives entreprises par les coalitions antagonistes pour combler le vide politique ambiant.

La révolte d'octobre 2011 a engendré une nouvelle équation politique en Irak qui s'est traduite par la régression patente des alliés de l'Iran. Ces derniers avaient occupé le devant de la scène depuis la chute de Saddam Hussein, en avril 2003.

Les partis de la coalition dite du «Cadre de coordination», dirigée par l'ancien premier ministre Nouri al-Malki, n'ont en effet obtenu que 17 sièges lors des dernières élections, largement devancés par le mouvement du jeune dignitaire chiite Moqtada al-Sadr (74 sièges).

Les députés affiliés au mouvement sadriste ont déjà présenté leur démission en juin 2022, revendiquant l'organisation de nouvelles élections législatives susceptibles de donner un nouvel élan à une scène politique morose et paralysée.

Les tractations successives menées par Al-Malki pour évincer ses adversaires victorieux ont été vaines. Sa dernière tentative, destinée à imposer son candidat issu du parti pro-iranien Dawa, Mohammed Shia al-Soudani, à la tête du gouvernement, a été déjouée par le chef religieux Al-Sadr. Ce dernier a exhorté ses partisans à occuper le siège du Parlement afin de bloquer cette démarche.
Les députés affiliés au mouvement sadriste ont déjà présenté leur démission en juin 2022, revendiquant l'organisation de nouvelles élections législatives susceptibles de donner un nouvel élan à une scène politique morose et paralysée.
Ces événements secouent l'échiquier politique irakien. Ils ont un rapport direct avec le contexte régional moyen-oriental actuel, qui est en train de subir des transformations profondes.
Il apparaît clair que le projet iranien de satellisation de l'Irak entamé depuis 2003, qui consiste à instrumentaliser le communautarisme chiite, a achoppé sur des problèmes de fond, bien qu’il ait conduit à la militarisation à outrance des milices affiliées aux mouvements religieux radicaux.
L'un de ces problèmes cruciaux a été la préservation de l'indépendance et de la souveraineté de l'Irak et de son ancrage arabe face à l'hégémonie iranienne, devenue un véritable fardeau pour l'État et la société.

L'occupation américaine de l'Irak en 2003 a inauguré le jeu de compétition communautaire au profit des partis et des mouvements, sous la houlette du clergé politique iranien.


Sans que nous évoquions toutes les données d’un terrain historique particulièrement complexe, nous pouvons remarquer que l'État national irakien né en 1921 a été le fruit d'une identité arabe qui s’est construite à la fois par l'esprit ottoman et en opposition avec ce dernier. L'Irak a constitué durant les quatre siècles de domination ottomane la frontière naturelle avec le monde perse et son indépendance a été envisagée comme l'autonomisation de la principale entité politique moyen-orientale arabe jumelle de la Syrie moderne.
L'historienne palestinienne Hanna Batatu a publié en 1978 une œuvre magistrale sur la trajectoire politique de l'Irak, intitulée «The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq» («Les anciennes classes sociales et les mouvements révolutionnaires d’Irak»). Elle y démontre que l'État moderne produit par l'ingénierie coloniale anglaise (le major-général Sir Percy Cox) s'est heurté dès l'origine à la difficile question d'équilibre entre les composantes ethnico-confessionnelles qui occupent les lignes de fracture complexes entre les centres urbains et les espaces tribaux nomades. Cette dichotomie à fort caractère social et économique a été supplantée par les schismes idéologiques dès l'incursion de l'armée dans les cercles du pouvoir, depuis 1958.
L'occupation américaine de l'Irak en 2003 a inauguré le jeu de compétition communautaire au profit des partis et des mouvements, sous la houlette du clergé politique iranien. La démocratie irakienne introduite par la Constitution de 2005 a accouché d'un système de représentativité communautaire rigide qui a consacré la mainmise des partis issus de la mouvance intégriste chiite sur le pouvoir de décision à Bagdad, en connivence avec les autorités du Kurdistan, devenu presque indépendant.
Le soulèvement d'octobre 2018 a sonné le glas de ce système qui a miné les fondements de l'État national souverain et a assujetti la société aux oligarchies et milices communautaires. Le choix du Premier ministre sortant, Moustafa al-Kazimi, à la tête du gouvernement, en mai 2020, répondait à la logique de réforme politique et institutionnelle destinée à délivrer le pays du spectre du communautarisme étroit et à le réintégrer dans son environnement arabe.
Cette tâche majeure reste aujourd'hui l'enjeu principal dans la conjoncture politique irakienne.

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français