L'explosion de l'inflation: «symptôme de notre dépendance aux hydrocarbures»

Johan Rockstrom, directeur exécutif du Stockholm Resilience Centre, prononce un discours lors de l'ouverture de "Action Day" lors de la conférence des Nations Unies COP21 sur le changement climatique au Bourget le 5 décembre 2015. (AFP)
Johan Rockstrom, directeur exécutif du Stockholm Resilience Centre, prononce un discours lors de l'ouverture de "Action Day" lors de la conférence des Nations Unies COP21 sur le changement climatique au Bourget le 5 décembre 2015. (AFP)
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Publié le Mercredi 31 août 2022

L'explosion de l'inflation: «symptôme de notre dépendance aux hydrocarbures»

  • «Depuis 1990, nous disons qu'il faut abandonner progressivement l'économie fondée sur les énergies fossiles au profit d'une économie basée sur les énergies renouvelables», constate le scientifique
  • Pour M. Rockström, le monde a atteint un «point d'urgence», car les catastrophes liées au climat - avec un réchauffement actuel de 1,1°C depuis l'ère industrielle - se produisent plus fréquemment que prévu

PARIS: "C'est une inflation due aux hydrocarbures, due à l'offre. S'il y a 20 ans, vous avez investi dans le photovoltaïque ou pris des parts dans un parc éolien, alors aujourd'hui vous n'êtes pas touché" par cette crise, constate Johan Rockström, le directeur de l'Institut de Potsdam pour la recherche sur l'impact climatique (PIK).

"Depuis 1990, nous disons qu'il faut abandonner progressivement l'économie fondée sur les énergies fossiles au profit d'une économie basée sur les énergies renouvelables. Et maintenant, nous y voilà - nous nous prenons le mur", après "30 ans de sous-investissement", constate le scientifique, l'un des principaux artisans du concept de "limites planétaires" - seuils d'usage des ressources que l'humanité ne doit pas dépasser pour vivre dans un écosystème sûr.

Le premier scénario, surnommé "Too Little, Too Late" (trop peu, trop tard), verrait perdurer l'orthodoxie économique, aggravant les inégalités alors que le monde dépasse les objectifs de l'accord de Paris et s'oriente pour l'heure vers un réchauffement de 2,5 °C

M. Rockström a travaillé deux ans sur sa contribution au rapport collectif "Earth For All: A Survival Guide for Humanity" (La terre pour tous: guide de survie pour l'humanité), publié mardi par le Club de Rome, ce groupe de réflexion de scientifiques et d'économistes fondé en 1968.

L'ouvrage s'inscrit dans la lignée du célèbre rapport Meadows, publié en 1972 sous l'égide du Club de Rome. Ce document de référence, à l'origine de l'ouvrage "Halte à la croissance ?" ("Limits to Growth"), affirmait que le développement ne pouvait se poursuivre indéfiniment sans atteindre une limite de consommation des ressources.

Le deuxième scénario, celui du "Great Leap" (Grand Bond), prévoit une mobilisation sans précédent des ressources pour mettre en œuvre cinq changements sociétaux.

Cinquante ans plus tard, le nouveau rapport, auquel ont participé des auteurs du premier, prévoit deux scénarios de croissance.

Le premier, surnommé "Too Little, Too Late" (trop peu, trop tard), verrait perdurer l'orthodoxie économique, aggravant les inégalités alors que le monde dépasse les objectifs de l'accord de Paris et s'oriente pour l'heure vers un réchauffement de 2,5 °C d'ici 2100 par rapport à la fin du 19e siècle.

Le deuxième scénario, celui du "Great Leap" (Grand Bond), prévoit une mobilisation sans précédent des ressources pour mettre en œuvre cinq changements sociétaux: l'éradication de la pauvreté et des inégalités, l'autonomie des femmes, une alimentation mondiale plus végétale et la décarbonation rapide de l'énergie.

"Nous y sommes: à 1,1 °C, les phénomènes que nous pensions voir à 2 °C se produisent beaucoup plus tôt et frappent plus durement".

Les auteurs affirment que le Fonds monétaire international devrait accorder 1 000 milliards de dollars par an aux nations les plus pauvres pour créer des emplois verts et que les pays riches devraient annuler la dette de ceux à faibles revenus tout en accordant à leurs citoyens un "dividende de base universel".

Scénario catastrophe 

Pour M. Rockström, le monde a atteint un "point d'urgence", car les catastrophes liées au climat - avec un réchauffement actuel de 1,1°C depuis l'ère industrielle - se produisent plus fréquemment que prévu.

"Nous y sommes: à 1,1 °C, les phénomènes que nous pensions voir à 2 °C se produisent beaucoup plus tôt et frappent plus durement", explique-t-il, après un été marqué par des records de sécheresse et de chaleur en Europe et en Chine, et des inondations cataclysmiques au Pakistan.

"Nous risquons de nous diriger vers un scénario catastrophe, non pas parce que nous injectons davantage de dioxyde de carbone et de gaz à effet de serre d'origine humaine, mais parce que le système terrestre lui-même commence à émettre ces gaz", compte tenu de la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et de l'augmentation des feux de forêts.

Les scientifiques devraient "envisager une palette beaucoup plus large de scénarios", afin de mieux intégrer des phénomènes certes peu probables mais extrêmement dévastateurs et qui pourraient conduire à un emballement du réchauffement.

M. Rockström se dit toutefois "assez pessimiste" sur les capacités de réforme des gouvernements. "Il y a trois ans, j'aurais dit que j'étais optimiste - nous avons vu un élan post-Paris avec davantage de politiques publiques et d'entreprises qui s'engagent", a-t-il déclaré.

"Maintenant, avec l'effondrement post-Covid de la confiance du public et la montée du populisme, je n'ai pas l'impression que nous soyons vraiment prêts à mettre en œuvre tous ces pas de géant", s'inquiète-t-il.

"C'est pourquoi le timing est vraiment important. Nous devons relancer le débat et parler de l'urgence d'agir. Est-ce un défi ? Absolument."


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".


La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, alerte le Secours populaire

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
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  • "La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire
  • "La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg

PARIS: La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, touchant tous les aspects de la vie des plus fragiles, alerte jeudi le Secours Populaire, qui publie un baromètre témoignant de cette situation jugée préoccupante.

"La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire.

L'association publie un baromètre qui indique qu'un tiers des Français (31%) rencontrent des difficultés financières pour se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour. De même 39% ont du mal à payer leurs dépenses d'électricité et 49% à partir en vacances au moins une fois par an, selon ce sondage réalisé par l'Institut Ipsos, auprès d'un échantillon de 1.000 personnes, représentatif de la population nationale âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

"La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg.

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier.

Malgré un "léger mieux" constaté sur certains indicateurs lié au "ralentissement de l'inflation", ce baromètre révèle "une situation sociale toujours très préoccupante", selon le Secours populaire.

En début de semaine, la déléguée interministérielle à la prévention et la lutte contre la pauvreté, Anne Rubinstein, a évoqué des "difficultés" rencontrées par l'Etat pour résorber un taux de pauvreté qui a atteint un niveau record en 2023 en France métropolitaine.

Face à cette situation, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a appelé mardi à une "mobilisation collective" pour "débloquer la lutte contre la précarité".

Au niveau européen, 28% de la population déclare se trouver en situation précaire, également selon ce baromètre du Secours Populaire, qui s'appuie aussi sur des échantillons de 1.000 personnes représentatifs de neuf autres pays (Allemagne, Grèce, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Moldavie, Portugal, Roumanie, Serbie).

La part des personnes se considérant comme précaires demeure à un niveau "très alarmant" en Grèce (46%) et en Moldavie (45%), pointe le baromètre.

En 2024, le Secours populaire a soutenu 3,7 millions de personnes en France. L'association fournit notamment de l'aide alimentaire et organise des activités pour différents publics pour rompre l'isolement.


Face à l'explosion des dépenses militaires, l'ONU appelle à «repenser les priorités»

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
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  • "Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres
  • Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an

NATIONS-UNIES: Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté.

"Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres.

Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an.

C'est "l'équivalent de 334 dollars par habitant de la planète", "près de 13 fois le montant de l'aide publique au développement des pays les plus riches et 750 fois le budget ordinaire de l'ONU", a noté Antonio Guterres.

Et en parallèle, la majorité des Objectifs de développement durables (ODD) visant à améliorer le sort de l'humanité d'ici 2030 (éradication de l'extrême pauvreté, égalité hommes-femmes, éducation...) ne sont pas sur la bonne voie.

Pourtant, mettre un terme à la faim dans le monde d'ici 2030 nécessiterait seulement 93 milliards de dollars par an, soit 4% des dépenses militaires de 2024, et faire en sorte que chaque enfant soit totalement vacciné coûterait entre 100 et 285 milliards par an, note le rapport demandé par les Etats membres.

Au total, l'ONU estime aujourd'hui à 4.000 milliards de dollars les investissements supplémentaires nécessaires chaque année pour atteindre l'ensemble des ODD, un montant qui pourrait grimper à 6.400 milliards dans les prochaines années.

Alors le secrétaire général de l'ONU a lancé un "appel à l'action, un appel à repenser les priorités, un appel à rééquilibrer les investissements mondiaux vers la sécurité dont le monde a vraiment besoin".

"Des dépenses militaires excessives ne garantissent pas la paix, souvent elles la sapent, encourageant la course aux armements, renforçant la méfiance et détournant des ressources de ce qui représentent les bases de la stabilité", a-t-il ajouté. "Un monde plus sûr commence par investir au moins autant pour lutter contre la pauvreté que nous le faisons pour faire la guerre".

"Rediriger même une fraction des dépenses militaires actuelles pourraient combler des écarts vitaux, envoyer des enfants à l'école, renforcer les soins de santé de base, développer les énergies propres et des infrastructures résistantes, et protéger les plus vulnérables", a-t-il plaidé.