France: Pourvu que le déroulement de cette rentrée scolaire ne fasse pas… école!

Ce sont douze millions d’élèves qui, le 1er septembre, auront repris le chemin des écoles, collèges et lycées. (AFP)
Ce sont douze millions d’élèves qui, le 1er septembre, auront repris le chemin des écoles, collèges et lycées. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 07 septembre 2022

France: Pourvu que le déroulement de cette rentrée scolaire ne fasse pas… école!

France: Pourvu que le déroulement de cette rentrée scolaire ne fasse pas… école!
  • Si les deux années précédentes furent marquées par l’épidémie de Covid-19, cette année sont venues s’ajouter l’inflation et la crise économique engendrées par la guerre en Ukraine
  • Les parents sont inquiets: y aura-t-il un enseignant dans la classe de leur enfant?

La rentrée scolaire 2022 en France restera sans doute dans les annales. Pour retrouver une situation aussi critique, il faudrait remonter à la rentrée 1968-1969. À la pénurie d’enseignants est venue s’ajouter celle du personnel (notamment des cantines scolaires)! Et voilà que l’on annonce une troisième pénurie: de chauffeurs de bus (pour les ramassages scolaires)!…  

PHOTO


Ce sont douze millions d’élèves qui, le 1er septembre, auront repris le chemin des écoles, collèges et lycées. Si les deux années précédentes furent marquées par l’épidémie de Covid-19, cette année sont venues s’ajouter l’inflation et la crise économique engendrées par la guerre en Ukraine. Les prix flambent, malgré les maigres ristournes octroyées par le gouvernement (sur le prix de l’essence, notamment), et les familles aux petits revenus doivent se priver de viande rouge et même de fruits et légumes!

Et cependant, les inquiétudes des parents sont d’une autre nature. Première interrogation: y aura-t-il un enseignant dans la classe de leur enfant? Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, l’avait promis, le 30 août sur RTL: «Cette rentrée sera comparable à celle de l’an dernier avec un professeur devant chaque classe», avant d’ajouter: «Ce qui n’exclut pas des difficultés de recrutement dans certaines disciplines.» Le Snes-FSU (premier syndicat du secondaire) ne décolère pas.

Et puis, des «difficultés», c’est peu dire: à la veille de la rentrée, il manquait plus de 4 000 enseignants! Du coup, le ministère s’est mis en tête de recruter 3 000 contractuels. Des candidats diplômés mais sans formation dans l’enseignement. Les enseignants en poste, eux, ont dû, pour la plupart, passer le Concours de recrutement des professeurs des écoles (le CRPE), et obtenir un master MEEF qui, durant quatre semestres, prépare aux Métiers de l’enseignement de l’éducation et de la formation. Or, aux nouvelles recrues, le ministère se propose d’assurer une formation de quatre jours!

Le coût de la rentrée

Outre les prix, incontrôlés, des fournitures scolaires, avec une hausse de 4,5%, constatée par la Fédération nationale des familles de France, la question se pose aussi pour les tarifs des repas dans les cantines scolaires. Ce qui, ajouté à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières (qui ont augmenté de 20% en 2022), pèsera soit sur les budgets des parents soit sur ceux des communes. Celles-ci, d’ailleurs, ont déjà interpellé le gouvernement. Ainsi, aujourd’hui, une semaine après la rentrée scolaire, des communes se trouvent «obligées de faire payer les familles ou de s’endetter».

Alors que la mairie de Dijon a décidé que «le prix des repas restera de 0,50 à 6,90 euros, en fonction des revenus des parent», non loin de là, à Ouche-et-Montagne (arrondissement de Dijon), le chargé des Affaires sociales n’a pas hésité à déclarer: «Ça va d'un statut quo à une augmentation de 5, 10, 15, 20 ou même 25% pour les familles».

L’inflation pèse, en effet, sur les coûts de production des repas des cantines scolaires, ce qui, comme le déplore sur France Info Philippe Laurent, le vice-président de l’Association des maires de France (AMF), amène les fournisseurs à exiger des communes une hausse des prix de vente de l’ordre de 5 à 10%. «Il faut certes éviter des disparitions d'entreprises privées, mais il faut aussi éviter l'effondrement des finances des collectivités », souligne Gilles Pérole, adjoint au maire de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) et chargé des cantines au sein de l'AMF[ii]

À Limoges, prévenait déjà en mai Clothilde Jalladeau, diététicienne chargée des achats pour les cantines de la Ville, «On est obligés de tout chiffrer et, éventuellement, de substituer des produits par d'autres». Ce qu’elle illustre d’un exemple: «On a des références dont le prix au kilo a doublé, comme le cabillaud. C'est un poisson que les enfants aiment bien parce qu'il est doux et sans arête, mais il est passé de 7 à 13 euros. On va donc prendre du colin, du hoki.»

Une inflation de… pénuries!

À Marseille, où nombre d’écoles attendent des travaux de rénovation promis par un plan gouvernemental d’un milliard d’euros, annoncé en octobre dernier pour les 470 écoles de la ville, les directeurs d’établissements doivent en plus faire face à des défections du personnel enseignant. Sur l’état de délabrement de certains lieux, Michael Brigliano, professeur d’école, se confie à Europe 1: «Quand il pleut dehors, il pleut aussi à l'intérieur. C'est une vieille école en fin de course. On retrouve régulièrement des souris ou des cafards dans nos classes. Les salles sont trop exiguës et il arrive régulièrement que des morceaux de mur se détachent et tombent dans la cour.»

À ce jour, nous n’avons pas pu trouver de bilan de la rentrée. On continue à faire appel à des contractuels. Avec une durée de quatre jours consacrés à la «formation», même si le ministère a planifié un suivi pédagogique tout au long de l’année scolaire, les conditions de recrutement font l’objet de nombreuses caricatures sur les réseaux sociaux. Une journaliste de BMF TV, s’étant présentée sous l’identité d’une candidate à un poste de contractuelle, et sans aucune expérience, a ainsi été recrutée au bout d’une trentaine de minutes d’entretien.

Cependant, les «blagues» et autres jeux de mots ne font pas rire les premiers concernés, à savoir les enseignants. Comme le montre ce tweet:

PHOTO


Nous avons demandé à Étienne, un jeune professeur d’histoire ce qu’il pensait de l’arrivée des contractuels. Voici sa réponse: «Un tel flux de nouveaux arrivants risque de diviser les salles des profs et de créer des scissions entre agrégés, capésiens et contractuels. Ces mesures vont certainement permettre au ministère de l’Éducation nationale de parvenir à ses fins, à savoir: continuer de faire des coupes budgétaires en systématisant un mode de recrutement précaire».  

Pénurie d’enseignants, d’animateurs, de surveillants, et de… chauffeurs de bus, pour les ramassages scolaires! Surtout, dans les campagnes. De nombreuses alertes ont été lancées, émanant souvent de maires de petites communes.  

Ainsi, les citoyens de la septième puissance économique mondiale sont-ils passés de la pénurie de la moutarde et de l’huile, que nous avons traitée en mai dernier, à la pénurie d’enseignants!

Mais que l’on se rassure, nous dit un analyste dans Ouest-France: d’autres pays européens sont concernés par ces pénuries. Les causes? «Elles sont multifactorielles. Et la question des salaires n’est pas le seul motif. Exemple avec l’Allemagne: “On a souvent dit, pendant la campagne présidentielle, que les enseignants allemands gagnaient deux fois plus qu’en France.” Mais les Allemands aussi connaissent une grave crise de recrutement. En Espagne, le problème est similaire: les enseignants ont beau être bien rémunérés, on y trouve 34% de contractuels, contre 7% en France, relève l’analyste.»

On se rassure comme on peut. Pour oublier que le pays est la troisième puissance économique d’Europe. Mais tout est bien qui s’annonce bien: le ministre de l’Éducation a promis de revaloriser les salaires des enseignants dès 2023, «afin qu’aucun d’entre eux ne débute sa carrière à moins de 2 000 euros nets par mois». Voilà qui, soit dit en passant, a de quoi laisser cois les enseignants en milieu de carrière. Quant aux parents, on les imagine nombreux à prier pour que le déroulement de cette rentrée ne fasse pas école. Sic.

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.