Une approche holistique de la pandémie des guerres par procuration

De g à d : Vladimir Poutine, Hassan Rohani et Recep Tayyip Erdogan (DR)
De g à d : Vladimir Poutine, Hassan Rohani et Recep Tayyip Erdogan (DR)
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Publié le Dimanche 08 novembre 2020

Une approche holistique de la pandémie des guerres par procuration

Une approche holistique de la pandémie des guerres par procuration
  • Pour les régimes de seigneurs de guerre à Moscou, à Téhéran et à Ankara, le recrutement de paramilitaires est relativement bon marché et évite les répercussions politiques de citoyens rapatriés dans des sacs mortuaires
  • Le moment est venu d'adopter une approche commune afin de désamorcer et de désinternationaliser des guerres qui ont causé la misère et la mort de millions de personnes

Près de 80 millions de personnes, soit 1% de la population mondiale, sont actuellement déplacées suite à des conflits. Un dénominateur commun à travers ces incendies et ces insurrections mondiales est la prolifération de paramilitaires et de mercenaires non étatiques soutenus par l'étranger. Le moment est venu d'adopter une approche commune afin de désamorcer et de désinternationaliser des guerres qui ont causé la misère et la mort de millions de personnes.

Laissées à elles-mêmes, les parties de ces conflits civils ont tendance à se combattre jusqu'à l'épuisement. Des puissances étrangères injectent des fonds, des armes et des mercenaires; ce qui rend le conflit extrêmement plus long, plus large et plus brutal.

Trois États sont disproportionnellement coupables de ce phénomène. La Russie parraine des armées privatisées en Ukraine, en Libye, en République centrafricaine et dans d'autres arènes africaines. La Turquie déploie des combattants syriens en Libye, dans le Haut-Karabakh et dans les zones kurdes de la Syrie. Et l'Iran supervise de vastes réseaux de forces paramilitaires  et terroristes à travers l'Irak, la Syrie, le Liban, l'Afghanistan, le Yémen, les pays du CCG et ailleurs.

Pour les régimes de seigneurs de guerre à Moscou, à Téhéran et à Ankara, le recrutement de paramilitaires est relativement bon marché et évite les répercussions politiques de citoyens rapatriés dans des sacs mortuaires. Cela leur permet de faire la guerre en plusieurs endroits en même temps, et nombre de ces conflits semblent durer indéfiniment. L'utilisation de mercenaires crée également un vernis de déni lorsque ces derniers commettent des atrocités.

Déployer des mercenaires pour conquérir des territoires étrangers étouffe la soif de sang des partisans ultranationalistes nostalgiques du mythe des empires ottoman, perse ou soviétique. Néanmoins, il faut se rappeler que les États-Unis, à l’époque de la guerre froide, n’étaient pas opposés au financement des paramilitaires dans des régions comme le Nicaragua et le Guatemala.

Les milices parrainées par les forces étrangères, qui n'ont pas de comptes à rendre, sont responsables de manière totale des massacres et des violations extrêmes des droits de l'homme. Même au milieu de la brutalité inhumaine de la guerre civile libanaise, nous avons été horrifiés par les massacres de 1982 dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila par des milices chrétiennes sous supervision israélienne, avec au moins 3 000 civils palestiniens et libanais massacrés. Plus récemment, des massacres sectaires tout aussi sanglants ont été perpétrés par des milices syriennes et irakiennes affiliées à l'Iran. Les mercenaires syriens de la Turquie sont souvent recrutés dans des factions extrémistes telles que Daech, réputées pour leurs méthodes ultra-violentes; tandis que les mercenaires syriens, soudanais, afghans et irakiens sont souvent déployés comme chair à canon bon marché. La Russie compte habituellement sur un plus petit nombre de mercenaires expérimentés et bien armés. En Irak, le nombre de paramilitaires pourrait dépasser 150 000, la plupart étant alignés sur l'Iran. En 2014, alors que Nouri Al-Maliki était Premier ministre irakien, Téhéran a réussi à ajouter ces paramilitaires non punissables, responsables de crimes de guerre et d'actes systématiques de nettoyage sectaire, à la masse salariale de l'État irakien, avec un budget salarial dépassant actuellement 2 milliards de dollars. Le Qatar, quant à lui, a aidé à financer les aventures outre-mer démesurées de Recep Tayyip Erdogan.

Chaque fois que l'Iran a du mal à envoyer des fonds suffisants à ses forces transnationales, le déficit est souvent compensé par des activités criminelles, c’est-à-dire la contrebande d'armes, de stupéfiants, de pétrole et même de personnes. Les conséquences de ces atrocités au Liban, en Irak, en Afghanistan et ailleurs se manifestent par des secteurs économiques corrompus dominés par des mafieux. Le Hezbollah, par exemple, utilise son contrôle des frontières nationales pour éviter les douaniers en exploitant des réseaux mondiaux de stupéfiants de plusieurs milliards de dollars avec des tentacules à travers l'Amérique latine et l'Europe, tout en vendant des armes à des milices et des terroristes à travers l'Afrique.

Des sociétés entières sont ainsi corrompues lorsque les salaires les plus élevés proviennent de l'adhésion aux forces paramilitaires, tandis que les entreprises versent de l'argent de protection aux gangs criminels et que des économies entières sont maintenues à flot grâce aux recettes du crime.

« Pour les régimes de seigneurs de guerre à Moscou, à Téhéran et à Ankara, le recrutement de paramilitaires est relativement bon marché et évite les répercussions politiques des citoyens qui reviennent dans des sacs mortuaires ».

Baria Alamuddin

Nous assistons à un élargissement de zones d’instabilité et d’États défaillants, qui s’étend dans toute l’Afrique du Nord et subsaharienne, au Moyen-Orient et en Asie centrale. Cette instabilité est aggravée par la propagation de groupes paramilitaires et terroristes soutenus par des sponsors étrangers. Alors que les infrastructures de l'État se désintègrent, les jeunes gens sans instruction, sans emploi et les démunis ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille qu'en vendant leur vie à des chefs de guerre étrangers, et ainsi le cercle vicieux se prolonge encore et encore.

Après quatre ans de paralysie multilatérale, à défaut de voir une nouvelle administration américaine essayer de s’impliquer unilatéralement en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et dans d'autres conflits, le dénominateur commun paramilitaire qui soutient toutes ces guerres pourrait être traité par une action décisive contre le phénomène des mercenaires. Il est tout à fait remarquable que le recrutement de mercenaires ou la mobilisation de groupes paramilitaires ne constitue pas nécessairement une violation du droit international qui contribuera sans aucun doute à un climat d’impunité.

Tout comme le Traité sur le commerce des armes qui incite tous les États à signer un moratoire sur les armes telles que les bombes à fragmentation, l'objectif devrait être un engagement universel exécutoire contre le financement, l'armement et le déploiement de forces paramilitaires. L'adhésion à un tel pacte devrait être une exigence pour tous les États de l'OTAN, y compris la Turquie. L'Iran serait obligé de le signer, avant toute négociation visant à lever les sanctions. La Russie et l'Amérique devraient être persuadées de le signer dans le contexte des négociations sur la réduction des armements. L’avantage, pour des personnalités telles que Poutine, est que les rivaux ne peuvent pas déployer des mercenaires dans des États où Moscou a un intérêt stratégique.

Un tel plan serait une étape majeure vers l’apaisement de la situation en Syrie, permettant une action systématique contre le soutien étranger aux entités armées. La Russie et la Chine ont intérêt à démilitariser la situation là-bas, ouvrant la voie à des contrats de reconstruction très rentables et à la réouverture des routes commerciales.

Des processus similaires se dérouleraient dans d’autres zones de conflit. Au lieu que des puissances régionales rivales se battent jusqu'à l'épuisement via des procurations, toutes bénéficieraient de l'immense profit de la paix. Au lieu que la Russie, le Qatar ou la Turquie se battent pour monopoliser les réserves de pétrole libyennes, l'ONU soutiendrait le rétablissement des institutions nationales afin que les Libyens et les compagnies pétrolières étrangères puissent participer à l'exploitation à l'amiable de ces ressources.

À l'heure actuelle, la guerre par procuration est bon marché, durable et sans conséquence pour les puissances des seigneurs de guerre, tout en condamnant des nations entières à être écrasées sous le fardeau d'une guerre perpétuelle. Si nous voulons empêcher ces conflits incessants de brûler comme des feux de forêt dans le monde entier, il nous incombe de changer radicalement ce calcul; en interdisant le paramilitarisme soutenu par l'étranger et, en tenant ainsi les États seigneurs de guerre pour responsables des crimes contre l'humanité.

 

Baria Alamuddin est une journaliste et personnalité audio-visuelle primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Syndicat des services médiatiques. Elle a également interviewé de nombreux chefs d'État.

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com