L'Iran se trouve un ennemi extérieur pour occulter ses échecs intérieurs

Les manifestations ne cessent de prendre de l'ampleur et de faire rage en Iran depuis plus d'un mois. (AFP)
Les manifestations ne cessent de prendre de l'ampleur et de faire rage en Iran depuis plus d'un mois. (AFP)
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Publié le Mardi 08 novembre 2022

L'Iran se trouve un ennemi extérieur pour occulter ses échecs intérieurs

L'Iran se trouve un ennemi extérieur pour occulter ses échecs intérieurs
  • Ces derniers jours, l'Iran a proféré une série de menaces et d'accusations à l'encontre de plusieurs acteurs extérieurs
  • Comme on pouvait s'y attendre, le régime a accusé les États-Unis et Israël d’avoir préparé les manifestations qui secouent l'Iran

Ces derniers jours, l'Iran a proféré une série de menaces et d'accusations à l'encontre de plusieurs acteurs extérieurs. Il les a accusés d'être à l'origine des manifestations qui secouent le pays depuis que la police des mœurs a tué la jeune femme kurde Mahsa Amini.

Dans un premier temps, le régime iranien a cherché à colporter des mensonges et à détourner l'attention de ses actes. Il s'en est pris aux partis d'opposition irano-kurdes dans le nord de l'Irak en bombardant leurs positions. Mais les manifestations ont continué à faire rage, envahissant le pays pendant plus d'un mois. Cette situation a amené le régime à accuser Daech d'avoir attaqué un sanctuaire à Chiraz. Or, la population iranienne, consciente du caractère sournois du régime, a mis en question cette allégation. Pour la plupart des Iraniens, si ce dernier ne cesse de faire allusion à des cellules terroristes qui visent à la fois les institutions de l'État et la société, c'est en réalité pour détourner l'attention et semer la terreur. Cela lui permet de réprimer sans pitié les manifestations hostiles au régime qui déferlent sur le pays.

Comme on pouvait s'y attendre, le régime a également accusé les États-Unis et Israël d’avoir préparé les manifestations qui secouent l'Iran. L'Arabie saoudite n'a pas été épargnée par les accusations et les menaces proférées par certains responsables du régime iranien, notamment le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique. Ce dernier a en effet menacé le Royaume, l'appelant à asservir ses médias. Ces menaces interviennent après la couverture médiatique assurée par des médias en langue persane. Téhéran prétend que ces derniers sont financés par Riyad. Par ailleurs, Téhéran accuse l'Arabie saoudite d'encourager les jeunes Iraniens à prendre part aux manifestations.

Il ne faut pas s'étonner des allégations du régime iranien; il ne fait que répéter les théories du complot et les slogans qu'il scande depuis quarante ans. Il s'agit en effet de la riposte à laquelle ce régime se livre systématiquement lorsqu'il est confronté à un échec ou à une critique provenant du pays ou de l'étranger. Il en attribue la responsabilité aux pays étrangers et aux infâmes complots qu’ils manigancent. Il refuse de reconnaître qu'il a échoué, qu’il a commis des erreurs.

Le régime le sait parfaitement: la situation dramatique que connaît le pays est essentiellement imputable à ses échecs. Il est également conscient que le mécontentement de la population à l'égard de la vie qu'elle mène s'explique par la répression, la dictature, les exécutions sommaires, l'exclusion, la corruption généralisée et la marginalisation, ainsi que les conditions de vie inimaginables qui étouffent le peuple iranien. Mais le régime iranien ne se soucie guère de cette situation.

Ce dernier a apporté le désespoir et la frustration chez les jeunes Iraniens. Il consacre toutefois des milliards de dollars à des projets fictifs qui desservent ses projets ambitieux à l'étranger et son désir d'étendre son influence dans la région. Hélas, c'est le peuple iranien qui paie le prix de cette stratégie. Ainsi, le régime affrontera davantage de protestations massives, voire violentes, qui sont la conséquence logique des échecs qu'il accumule sur son territoire. L'Arabie saoudite et les autres acteurs extérieurs n'y sont pour rien.

Le commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, le général de division Hossein Salami, a lancé une accusation absurde: il prétend que des médias financés par l'Arabie saoudite incitent les jeunes Iraniens à protester contre le régime. Il s'est par ailleurs engagé à prendre des mesures contre le Royaume et à saper sa sécurité par l'intermédiaire de jeunes Iraniens. Salami oublie que ces jeunes Iraniens se tiennent à l'avant-garde des manifestations généralisées dirigées contre le système politique, dont Salami constitue un pilier incontournable. On les entend scander jour après jour: «À bas le régime, à bas le Guide suprême».

Le régime ne fait que répéter les théories du complot et les slogans qu'il scande depuis quarante ans.

Dr Mohammed al-Sulami

Une inquiétude profonde pèse sur le régime iranien. Il craint en effet de vivre le scénario qui s’est produit dans plusieurs pays de la région au cours des dernières années: les jeunes sont devenus des figures emblématiques des mouvements de protestation contre les régimes tyranniques. Cette crainte grandit à mesure que les services de sécurité iraniens et le Corps des gardiens de la révolution islamique échouent à réprimer les vagues de protestation qui déferlent sur l'Iran depuis quelques années, à l'instar des manifestations qui ont lieu actuellement.

Si Salami profère des menaces à l'encontre de l'Arabie saoudite, c'est parce que le régime iranien reconnaît tacitement que la couverture médiatique exerce une influence sur la jeunesse iranienne et que, de fait, elle a mis en lumière la situation en Iran ainsi que l'ampleur de la violence et de la répression infligées à son peuple. Cette menace laisse entendre que le régime redoute que les jeunes Iraniens ne déclenchent un mouvement de contestation plus ample encore qui s'attaquerait à la raison d'être du régime et le déracinerait. On se souvient du sort qui avait été réservé au chah Mohammed Reza Pahlavi en 1979.

Pour ne pas revivre ce scénario, les dirigeants iraniens devraient résoudre d’urgence les problèmes de leur pays, rétablir les relations qui se sont détériorées avec leur peuple et remanier leurs politiques intérieure et extérieure en vue de restaurer la stabilité en Iran. Mais le régime s'obstine à mentir en évoquant des conspirations extérieures qui le viseraient. Bien pire encore, il espère que les Iraniens croiront ces mensonges.

Salami et bien d'autres responsables iraniens menacent l'Arabie saoudite alors que la région s'apprêtait à accueillir le 6e cycle de négociations entre Téhéran et Riyad à Bagdad. Le contexte était favorable à un règlement des différends, au rétablissement de la stabilité régionale et à la normalisation des relations politiques entre ces deux puissances du Moyen-Orient. Cependant, par son discours hostile à l'Arabie saoudite, Téhéran semble déterminé à pérenniser le caractère hostile et conflictuel de ses relations avec le Royaume.

Il est fort probable que Téhéran cherche à diriger vers l'extérieur ses crises internes en se servant d'acteurs mandataires pour attiser les tensions avec les États voisins, sans pour autant s'engager dans une confrontation directe avec l'Arabie saoudite. Sur le long terme, une telle confrontation infligerait au régime iranien de graves risques et aurait de lourdes conséquences.

Le Dr Mohamed al-Sulami est le président de l’Institut international des études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami

NDLR : L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com