Biden et l'ordre mondial libéral

Le président-élu des Etats-Unis, Joe Biden (Photo, Joe RAEDLE/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP).
Le président-élu des Etats-Unis, Joe Biden (Photo, Joe RAEDLE/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP).
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Publié le Lundi 16 novembre 2020

Biden et l'ordre mondial libéral

Biden et l'ordre mondial libéral
  • Pour Joe Biden, les intérêts vitaux des États-Unis dépendent profondément de la «réparation et la relance» des institutions démocratiques nationales
  • Le facteur déterminant de la pérennité de l'alliance du monde libéral n'est pas idéologique (comme il l'était durant la Guerre froide) mais pourrait être conçu comme purement pragmatique et pratique

Dans un article publié dans la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs, le nouveau président élu, Joe Biden, a placé son projet et sa conception des relations internationales sous le signe du retour à l'ordre mondial libéral, expressément piétiné par son prédécesseur.

Pour Joe Biden, les intérêts vitaux des États-Unis dépendent profondément de la «réparation et la relance» des institutions démocratiques nationales qui permettent de renforcer et d’accroître les réseaux d'alliances stratégiques de la première puissance mondiale, instigatrice et pivot de l'ordre libéral international.

Cette image messianique de la démocratie américaine est l'une des caractéristiques constantes du discours politique américain classique, au-delà des divergences reconnues entre les tendances isolationniste et multilatéraliste qui traversent les deux courants principaux de la vie politique américaine.

Autant les révolutionnaires «néoconservateurs» qui menaient le jeu à l'époque du président républicain George Bush Junior entretenaient l'espoir béat de voir s'imposer le modèle démocratique par la force et par la pression diplomatique pour défendre et consolider les intérêts américains, autant l'administration démocrate du président Obama œuvrait pour le même objectif tout en l'inscrivant dans la conception libérale classique de la finalité historique du progrès démocratique des nations, à portée universelle.

Le trumpisme ne peut-être cependant considéré comme une aberration abjecte ou une parenthèse passagère dans la conjoncture politique américaine. Elle traduit plutôt à la fois une tentation récurrente dans l'histoire politique américaine et une transformation perceptible du champ politique américain.

Le populisme antiélite, isolationniste et identitaire, n'est pas nouveau dans la société américaine, il est cependant, dans sa version trumpiste récente, accentué et propulsé par une forte dynamique nationaliste et un regain notoire des mouvements religieux ultraconservateurs. Ce nouveau mode de populisme, lié aux aléas d'une mondialisation «malheureuse» qui a secoué lourdement les identités culturelles et attisé les consciences ethniques, opère une déconnexion nette entre le principe de souveraineté populaire et l'idée libérale qui lui est associée dans la pensée démocratique moderne.

Cette profession de foi commune aux populismes non libéraux, a eu des répercussions claires au niveau des choix et des attitudes diplomatiques de l'administration Trump. Laquelle a mis en cause le principe même de l'Alliance atlantique qui a institué, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'unité de devenir entre les deux grands flancs du monde libre (les États-Unis et l'Europe).

Il va sans dire que ce principe sacro-saint qui n'a jamais été récusé avant le président Trump n'implique pas nécessairement le multilatéralisme volontariste. Le facteur déterminant de la pérennité de l'alliance du monde libéral n'est pas idéologique (comme il l'était durant la guerre froide) mais pourrait être conçu comme purement pragmatique et pratique – d'où l'idée défendue par Trump et d'autres présidents qui l'ont précédé de partager équitablement le fardeau de la défense atlantique avec les européens, premiers bénéficiaires du système d'alliance.

Le retour annoncé à l'ordre mondial libéral n'aura donc que peu d'impact réel sur les grandes orientations diplomatiques américaines. La stratégie de désengagement militaire, entamée par le président Obama et poursuivie par son successeur, va continuer, ainsi que la politique de compétition rude avec la Chine. Les rapports déjà délicats avec la Russie ne s'amélioreront pas. Seul le discours politique et stratégique va changer et renouer avec la grille de conception libérale.

Des décisions et initiatives promises par le président élu Joe Biden dès son investiture auront un effet symbolique immédiat, comme la réintégration de l'accord de Paris sur le climat et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'annulation des restrictions des visas qui discriminent certains pays, la mise en œuvre d'une nouvelle politique sanitaire pour endiguer l'épidémie de covid-19.

Ces mesures symboliques permettront d'apaiser à coup sûr les relations entre les États-Unis et leurs alliés et partenaires internationaux qui retrouveront l'image habituelle d'une Amérique attentionnée et protectrice. Cependant, ce changement de style et de discours n'aura qu'un effet minime sur les décisions et choix cruciaux: les fractures internes et profondes de la société américaine vont accaparer l'essentiel du temps et du programme du président Biden qui sera incessamment soumis à arbitrer des choix et alternatives difficiles.

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

Twitter: @seyidbah

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.