Ville occupée, Bethléem n’a pas grand-chose à célébrer

On allume des cierges dans une église de Bethléem, le 25 décembre 2022 (Photo, AFP).
On allume des cierges dans une église de Bethléem, le 25 décembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 28 décembre 2022

Ville occupée, Bethléem n’a pas grand-chose à célébrer

Ville occupée, Bethléem n’a pas grand-chose à célébrer
  • Les scènes idylliques de la ville biblique de Bethléem ne ressemblent en rien à la vie dans cette ville palestinienne sous occupation
  • Les injustices de l’occupation se font constamment ressentir et sapent le désir sincère des gens de rester dans leur patrie

Une fois de plus, le monde chante pour Bethléem et lit à propos de cette petite ville discrète située en Terre sainte. Oui, à Noël, des millions de personnes célèbrent des événements dans cette ville, sans pour autant savoir ce qui se passe véritablement là-bas en 2022.

Les scènes idylliques de la ville biblique de Bethléem ne ressemblent en rien à la vie dans cette ville palestinienne sous occupation, enfermée entre les murs de béton d’Israël qui étouffent la zone urbaine, la séparant de ses terres et de ses habitants.

Les étrangers croient que Bethléem se trouve à l’intérieur d’Israël. Cela s’applique aux organisateurs de voyages qui continuent de présenter Bethléem comme une ville israélienne et non palestinienne. Même la BBC considérait Bethléem comme faisant partie d’Israël lors de la couverture médiatique de la visite du président américain, Joe Biden, plus tôt cette année. Des millions d’étrangers se rendent à Bethléem et à Nazareth dans le cadre de visites bibliques sans aucun contact avec les Palestiniens chrétiens autochtones et n’étant même pas au courant de leur existence.

La réalité est que, sur le terrain, la notion de «Terre sainte» ressemble à une mauvaise plaisanterie. Plus que jamais, Israël prétend protéger toutes les confessions et garantir la liberté de religion alors que les Palestiniens – chrétiens et musulmans – font face à d’interminables restrictions d’accès israéliennes.

Les Palestiniens chrétiens sont souvent représentés comme victimes de «l’extrémisme islamiste», ce qui minimise l’effet catastrophique de l’occupation israélienne sur la vie de tous les Palestiniens, y compris les chrétiens. Leurs souffrances remontent au début du conflit et Noël est toujours, pour certains, porteur de souvenirs douloureux.

Parlons du village chrétien palestinien d’Ikrit dans le nord de la Galilée, près d’Acre, à l’intérieur d’Israël. Les chars israéliens ont bombardé le village, démolissant tout sauf l’église vieille de deux cents ans. C’était leur cadeau de Noël à la population en 1951. Les quatre cent quatre-vingt-dix habitants ont reçu l’ordre de quitter le village en novembre 1948, croyant qu’ils pourraient y revenir deux semaines plus tard. La Cour suprême israélienne a même déclaré en juillet 1951 que l’expulsion forcée était illégale, mais le village a quand même été démoli. En 2003, la Cour suprême israélienne s’est prononcée contre leur retour en déclarant – aussi incroyable que cela puisse être de la part d’un prétendu organe judiciaire – que cela ne pouvait être autorisé «en raison des lourdes conséquences qu’une telle mesure aurait sur le plan politique».

L’Histoire d’Ikrit est une démonstration du mépris d’Israël à la fois à l’égard des Palestiniens chrétiens et musulmans. Cela ne se limite pas aux fêtes religieuses.

Prenons l’exemple des Palestiniens chrétiens à Gaza – oui, il y a des chrétiens à Gaza, mais seulement près de mille cent sur une population de deux millions. Dans les années 1960, leur nombre était de six mille. Chaque année, dans cette prison à ciel ouvert, de nombreux Palestiniens chrétiens demandent à Israël des «permis de Noël».

Israël, la puissance occupante, autorise la délivrance de cinq cents permis sur sept cent quatre-vingts à la fois à Gaza et à Bethléem comme un «geste de bonne volonté», sachant que les Palestiniens tentent simplement de se rendre d’une région de leur pays à une autre. Le nombre est par ailleurs défini. Cela signifie que celui qui obtient le permis lors de ce tirage au sort saisonnier est défini par le nombre et non uniquement pour des raisons de sécurité. Le processus est largement arbitraire. En vertu de l’accord d’Oslo, Gaza et la Cisjordanie devaient faire partie d’une seule unité territoriale, et non traitées comme deux prisons distinctes, aux antipodes l’une de l’autre. La liberté de religion est quasi inexistante.

La demande d’obtention de ce permis est systématiquement refusée pour de nombreuses personnes chaque année. Certains membres d’une même famille reçoivent le permis, mais d’autres pas. Un père en Jordanie a refusé de se rendre à Bethléem parce que sa fille n’avait pas reçu de permis. Sans surprise, ils voulaient voyager ensemble. Certains choisissent de contester une telle décision devant la Cour suprême israélienne, mais cela semble vain. Le tribunal est un instrument d’occupation.

Pour de nombreux chrétiens de Gaza, les soixante-dix kilomètres qui les séparent de Bethléem pourraient tout aussi bien être à l’autre bout du monde. Ce n’est qu’un simple trajet de quatre-vingt-dix minutes en voiture. Israël s’oppose à ce que les Gazaouis passent la nuit en Cisjordanie.

«L’Histoire des Palestiniens chrétiens à Gaza s’inscrit dans l’Histoire palestinienne plus large de l’exil forcé, de l’occupation et de l’oppression.» - Chris Doyle

Certes, l’Histoire des Palestiniens chrétiens à Gaza s’inscrit dans l’Histoire palestinienne plus large de l’exil forcé, de l’occupation, de l’oppression et, par-dessus tout, de la fragmentation. Comment se fait-il, comme me l’a fait remarquer un Palestinien chrétien, que quatre membres d’une même famille soient contraints de vivre dans des endroits différents – à Nazareth, Bethléem et Gaza – et que le seul endroit où ils puissent se rencontrer soit Amman? Même en essayant de se rendre à Bethléem depuis d’autres villes de Cisjordanie, les Palestiniens doivent s’arrêter à des points de contrôle militaires israéliens et pourraient même être forcés de rebrousser chemin.

Il y a énormément de Palestiniens chrétiens en Jordanie. Eux aussi luttent pour obtenir l’autorisation israélienne de traverser le Jourdain pour se rendre à Jérusalem et en Cisjordanie. Ils sont coupés de leur propre pays, de leur peuple et de leurs traditions.

Les racistes antiarabes défendront Israël, accusant le Hamas à Gaza d’opprimer les chrétiens et, par conséquent, les activités menées par Israël dans la région deviennent insignifiantes. Cela n’est pas complètement faux, mais indépendamment de ce que le Hamas peut faire ou non, cela ne justifie pas les actions d’Israël, refusant l’accès aux Lieux saints à ceux qui vivent sous son occupation, en particulier pendant les fêtes religieuses.

La politique israélienne a toujours été d’essayer d’attiser les tensions sectaires entre musulmans et juifs. Cela fait partie de sa politique classique de «diviser pour mieux régner», une stratégie développée pour la première fois par Philippe II de Macédoine, et déployée par des personnalités comme Jules César et Napoléon Bonaparte. Israël a transformé cela en un art raffiné – en le pratiquant sur le plan géographique, démographique et sectaire.

Le Hamas a favorisé une lourde politique d’islamisation dans la bande. Il autorise cependant le culte chrétien et il n’entrave pas la visite de Jérusalem et de Bethléem. Son programme inquiète les Palestiniens chrétiens qui craignent un futur État islamiste et ont vu ailleurs des extrémistes s’en prendre aux chrétiens. Mais tout en reconnaissant cette peur, le message quasi universel est que le grand combat pour la survie porte sur l’occupation.

Nombreux sont ceux qui mentionnent le nombre de Palestiniens chrétiens qui partent, mais c’est moins une question de désir de partir qu’une lutte pour rester. Les emplois et les possibilités économiques sont rares. Les injustices de l’occupation se font constamment ressentir et sapent le désir sincère des gens de rester dans leur patrie.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.

Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com