Nouakchott, capitale du monde musulman

Une famille pose devant sa maison lors de la célébration de l'Aïd al-Adha, également connue sous le nom de Tabaski en Afrique de l'Ouest, à Nouakchott, en Mauritanie, le 31 juillet 2020. (AFP).
Une famille pose devant sa maison lors de la célébration de l'Aïd al-Adha, également connue sous le nom de Tabaski en Afrique de l'Ouest, à Nouakchott, en Mauritanie, le 31 juillet 2020. (AFP).
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Publié le Lundi 16 janvier 2023

Nouakchott, capitale du monde musulman

Nouakchott, capitale du monde musulman
  • Il se peut que le choix de Nouakchott comme capitale culturelle du monde musulman pour la nouvelle année suscite un important débat
  • Les Nouakchottois des premières décennies de l'indépendance se rappellent avec regret et amertume l'éclat relatif des premiers foyers culturels modernes de la capitale

Il se peut que le choix de Nouakchott comme capitale culturelle du monde musulman pour la nouvelle année suscite un important débat. Certes, la jeune capitale de la Mauritanie, construite ex nihilo en 1960, n'a rien d'une vieille cité au savoir et à l'héritage culturel ancestral.
Cependant, ce choix opéré par l’Organisation du monde islamique pour l'éducation, les sciences et la culture (Isesco) consacre un rôle historique primordial mené par des érudits et des savants mauritaniens durant une longue période sur l'ensemble espace saharo-sahélien.

Les cités mauritaniennes antiques de Chinguetti, Ouadane, Tichitt et Oualata, qui remontent au Moyen Âge, ont en effet été des noyaux centraux des vieilles routes caravanières qui relaient l'Occident musulman (Afrique du Nord et Andalousie) au Soudan (Afrique occidentale et centrale).

Les Nouakchottois des premières décennies de l'indépendance se rappellent avec regret et amertume l'éclat relatif des premiers foyers culturels modernes de la capitale.

Du VIIe siècle à l'époque moderne, les ports sahariens mauritaniens ont été des relais incontournables de ce dispositif commercial et culturel transsaharien qui s'étend de Sijilmassa et Tahert, au Nord, à la magique cité soudanaise de Tombouctou, au Sud.

Les grands empires qui se sont constitués le long de ce vaste espace (de l'empire de Ghana et des Almoravides à l'empire songhaï, conquis par les Saadiens marocains) ont globalement ménagé l'autonomie des cités désertiques mauritaniennes et reconnu leur statut privilégié de grands foyers de savoir et de culture.

Le modèle «chinguettien» (au sens large de «Chinguett», qui désignait l’ensemble du monde hassanophone et ses différents contours régionaux) était fondé sur trois piliers:
- Une tradition de savoir solide dans un environnement nomade, ce qui constitue une exception notoire à loi khaldounienne, qui stipule que «le savoir est par nature citadin». Les fameuses Mahdara (universités du désert) furent une création réussie des tribus nomades de l'Ouest saharien.
- Un système de gouvernance politique institué sur le modèle de l’émirat comme un pouvoir «gérant la violence» (Abdel Wedoud ould Cheikh) dans un contexte de conflictualité tribale permanente, où les antagonismes réels ou imaginaires entre les groupes guerriers essentiellement d'obédience mghafra (composante du grand ensemble Beni Hassan Maquil, lié à la célèbre expansion des tribus hilaliennes) et les groupes savants (Zouaya), essentiellement d'ascendance sanhaja, alimentent sans cesse ces «luttes de classement» (Bourdieu) qui ont marqué la trajectoire de l'Ouest saharien.
- Un mode de religiosité local largement marqué par l'esprit confrérique soufi, qui a forgé une forte tradition spirituelle réfractaire à l'extrémisme et à l'instrumentalisation idéologique et politique de la religion. Cette pratique spirituelle a eu une consonance formelle plus élaborée dans les sociétés voisines d’Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal.

Loin de nous l'ambition de retracer le parcours de l'histoire culturelle mauritanienne, qui a fait l'objet de travaux de recherche très instructifs. Notre souci actuel se limite à mettre en évidence les raisons légitimes du choix de Nouakchott comme capitale culturelle du monde musulman, puisque cette ville est aujourd'hui le symbole vivant et la continuité de ce modèle chinguettien souvent vanté et apprécié dans tout le monde musulman.

C'est l'ancien Bilad Chinguetti, baptisé dans l'Orient arabe le «pays de millions de poètes», réputé pour ses érudits et pour ses maîtres spirituels de grande envergure et de large influence, qui est aujourd'hui couronné et récompensé.

On ne peut nier que les industries culturelles modernes sont encore rudimentaires et primitives à Nouakchott. L'apport des hommes de lettres et des chercheurs spécialisés dans la vie intellectuelle est en deçà des attentes et la régression du modèle de savoir classique est patente.

Les Nouakchottois des premières décennies de l'indépendance se rappellent avec regret et amertume l'éclat relatif des premiers foyers culturels modernes de la capitale. Une vie théâtrale active, des concerts de musique fréquents, des médiathèques entretenues par les ambassades étrangères investies par le grand public, une presse culturelle engagée, quoique balbutiante et sommaire, qui permet des débats particulièrement riches.

L'initiative de l'Isesco va donc au-delà de la réalité actuelle de la capitale de la Mauritanie. Elle vise en réalité à couronner et à reconnaître l'héritage culturel riche de la société mauritanienne, symbolisée et représentée par Nouakchott.

C'est l'ancien Bilad Chinguetti, baptisé dans l'Orient arabe le «pays de millions de poètes», réputé pour ses érudits et pour ses maîtres spirituels de grande envergure et de large influence, qui est aujourd'hui couronné et récompensé.

Puisse cette heureuse initiative dynamiser, revitaliser et relancer l'activité intellectuelle et culturelle de la Mauritanie à travers sa capitale, qui abrite désormais le quart des Mauritaniens.

 

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français