Séisme apocalyptique exploité à des fins de propagande de mauvais aloi

La responsabilité incombe lourdement à la communauté internationale. C’est à elle de réparer ses erreurs envers le peuple syrien. (AFP)
La responsabilité incombe lourdement à la communauté internationale. C’est à elle de réparer ses erreurs envers le peuple syrien. (AFP)
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Publié le Vendredi 17 février 2023

Séisme apocalyptique exploité à des fins de propagande de mauvais aloi

Séisme apocalyptique exploité à des fins de propagande de mauvais aloi
  • Al-Assad conteste les propos de Netanyahou selon lesquels Damas aurait demandé de l’aide à Israël – les deux parties exploitant le tremblement de terre à des fins de propagande
  • Le tremblement de terre remet temporairement la Syrie en tête de l’agenda mondial, tout en rappelant l’inhumanité fondamentale d’Al-Assad

Seule une personne responsable du meurtre et du déplacement de millions de ses propres citoyens verrait un tremblement de terre qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes comme une occasion pour établir des relations publiques.

Après des années à se cacher dans ses palais, Bachar al-Assad a visité Lattaquié et Alep. Pendant ce temps, les diplomates syriens insistent pour que toute l’aide soit détournée via Damas. Pourtant, nous avons été témoins de cette arnaque à plusieurs reprises: une aide acheminée vers les régions prorégime tandis que les opposants sont affamés et bombardés afin qu’ils se plient à la dictature. La première action du régime après le tremblement de terre a été de bombarder la région sinistrée de Mari comme pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de survivants. Les fonctionnaires d’Al-Assad disent qu’ils bloqueront toute aide destinée aux «groupes terroristes» – propos que le régime utilise habituellement pour qualifier ceux qui se trouvent dans les zones contrôlées par les rebelles. Il existe déjà des rapports anecdotiques d’aide volée et revendue par ce régime criminel.

Entre-temps, les clients libanais de la Syrie et de l’Iran ont organisé des pèlerinages à Damas pour soutenir les efforts de normalisation d’Al-Assad. Comment le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, a-t-il été autorisé à effectuer cette visite honteuse à Damas alors qu’il devrait exprimer sa solidarité envers les victimes?

Les déclarations du Hezbollah – qui contrôle de vastes zones du territoire – ont également exploité le tremblement de terre pour condamner «l’hypocrisie» qui provient du refus du monde de s’engager auprès du régime sanguinaire d’Al-Assad. «Il serait assez ironique, voire contre-productif, que nous tendions la main à un gouvernement qui brutalise son peuple, l’asperge de gaz et le massacre tout en étant responsable d’une grande partie des souffrances qu’il endure», déclare un porte-parole du département d’État américain. Pour une fois, je suis d’accord avec les diplomates américains.

Alors que l’aide arrive tardivement dans le nord de la Syrie au moyen de l’unique point de passage, gravement endommagé, de Bab al-Hawa, la Russie et la Chine ont mis à plusieurs reprises leur veto à l’ouverture d’autres points de passage. Avec autant de réfugiés syriens qui ont fui vers les régions épicentres du séisme du sud de la Turquie, nous voyons maintenant des camions remplis de sacs mortuaires retourner vers la Syrie et rapatrier ces pauvres âmes.

 

Le tremblement de terre remet la Syrie en tête de l’agenda mondial, tout en rappelant l’inhumanité fondamentale d’Al-Assad.

Baria Alamuddin

Al-Assad conteste les propos de Netanyahou selon lesquels Damas aurait demandé de l’aide à Israël – les deux parties exploitant le tremblement de terre à des fins de propagande. Entre-temps, on redoute que l’Iran ne profite de l’allégement temporaire des sanctions par les États-Unis pour utiliser des convois d’aide en vue de transporter des armes et d’autres marchandises de contrebande.

Dans le même esprit, j’ai eu une conversation la semaine dernière avec plusieurs hauts diplomates européens du Moyen-Orient qui ont esquissé divers scénarios pour élire un président libanais et contenir l’Iran.

Ils notent que le Hezbollah subit une pression croissante à mesure que son soutien populaire faiblit, que la population au sens large est plus consciente des menaces qu’il représente et que l’alliance du groupe avec Michel Aoun et Gebran Bassil, du Courant patriotique libre, devient de plus en plus fragile. Ils espèrent que le Hezbollah n’aura d’autre choix que d’accorder son soutien à un candidat consensuel (que le groupe chercherait de toute façon à soumettre à sa volonté), ce qui permettrait au Liban de progresser vers un accord avec le Fonds monétaire international (FMI).

Cependant, ils ont également imaginé un scénario sans consensus sur un président ou un gouvernement dans lequel le pays sombrerait dans l’anarchie. Ils expliquent que, avec la fin des négociations sur le nucléaire, ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que Netanyahou n’entreprenne une action militaire pour neutraliser le programme nucléaire iranien. Le Hezbollah n’est peut-être pas en mesure de refuser de se lancer, à la demande de Téhéran, dans une guerre contre Israël qui deviendrait rapidement régionalisée et hautement destructrice.

Alors que de nombreux chiites libanais considèrent toujours le Hezbollah comme leur représentant, ils n’adhèrent pas aux éléments antinationaux de son programme. Ils souffrent suffisamment de la pauvreté, de la dégradation de la situation du pays et du conflit de 2006 pour accepter que le Hezbollah s’attaque de nouveau à «l’ennemi sioniste».

Les personnes qui dialoguent régulièrement avec des dirigeants libanais remarquent leur indifférence totale à l’égard de la souffrance des Libanais ordinaires et leur réticence à être entraînés dans des conversations sur de tels thèmes tout en étant obsédés par les rivalités régionales et en rapatriant de force les réfugiés syriens. Le tremblement de terre, l’explosion du port de 2020, les négociations du FMI et l’impasse présidentielle deviennent dès lors des cartes de négociation à exploiter dans une plus large quête de pouvoir. Les décisions actuellement prises, ou reportées indéfiniment, ont des répercussions sur la vie de millions de personnes et elles  finiront par déterminer si la région bascule ou non dans un nouveau conflit.

Mes interlocuteurs occidentaux observent que l’animosité accrue envers Téhéran était ironiquement davantage due à son armement de Moscou qu’à ses crimes continus dans la région. Ils notent également qu’une vigilance accrue le long des frontières nationales a freiné les ambitions du Hezbollah et d’Al-Assad à renflouer les caisses en dominant le commerce des stupéfiants. Et il y a bien peu de chances que leurs bienfaiteurs iraniens récoltent les bénéfices de l’allégement des sanctions à la suite d’un accord nucléaire. Après des mois de manifestations, c’est une période de faiblesse exceptionnelle pour l’Iran et, par conséquent, pour ses mandataires aussi.

L’effondrement de l’économie du Hezbollah signifie que, au Liban même, il n’y a «plus rien à voler», d’où la flexibilité inhabituelle de Hassan Nasrallah sur les questions lucratives des frontières et de l’exploitation du gaz, puisqu’il y perçoit la possibilité de faire une marge de profit.

Al-Assad ne sera jamais totalement réinséré: son emprise fragile sur une partie de la Syrie n’est due qu’à une alliance fatidique avec l’Iran, la Russie et le Hezbollah. Les familles de millions de personnes dont il a détruit la vie n’oublieront jamais. Dans le contexte d’une animosité mondiale croissante envers Moscou et Téhéran, alors que des drones fabriqués par l’Iran sont utilisés dans de nouvelles attaques contre l’Ukraine, Al-Assad pourrait être définitivement exclu de la communauté internationale.

Le tremblement de terre remet temporairement la Syrie en tête de l’agenda mondial, tout en rappelant l’inhumanité fondamentale d’Al-Assad. Ses alliés libanais et iraniens, ainsi que lui-même, peuvent maquiller la réalité autant qu’ils veulent; il n’en demeure pas moins un criminel de guerre.

Les Syriens touchés par le tremblement de terre ne méritent pas moins le soutien mondial que les victimes en Turquie. Ce n’est pas leur faute si le monde a abandonné ce conflit et transformé la Syrie en plusieurs cantons dysfonctionnels.

La responsabilité incombe donc lourdement à la communauté internationale. C’est à elle de réparer ses erreurs envers le peuple syrien et de remuer ciel et terre pour répondre à ses appels de détresse.

Baria Alamuddin est une journaliste plusieurs fois récompensée et une présentatrice qui travaille au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com