Sur les questions arabes, il ne faut pas s’attendre à des changements majeurs

Le vice-président Joe Biden et le conseiller adjoint à la Sécurité nationale Tony Blinken dans le bureau ovale de la Maison Blanche, Washington D.C., le 1er novembre 2013. (Reuters)
Le vice-président Joe Biden et le conseiller adjoint à la Sécurité nationale Tony Blinken dans le bureau ovale de la Maison Blanche, Washington D.C., le 1er novembre 2013. (Reuters)
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Publié le Vendredi 27 novembre 2020

Sur les questions arabes, il ne faut pas s’attendre à des changements majeurs

Sur les questions arabes, il ne faut pas s’attendre à des changements majeurs
  • Les Arabes qui souhaitent savoir dans quelle mesure la position de Washington sur le Moyen-Orient pourrait changer sous Joe Biden ne devront pas attendre trop longtemps
  • La condamnation de l'établissement de colonies israéliennes n’a rien à voir avec le fait de sanctionner un régime qui étend des colonies illégales sur des terres volées à des Palestiniens chrétiens et musulmans

Quand nous évoquerons le secrétaire d'État sortant, Michael Pompeo, nous penserons à un homme qui avait du culot. En effet, de nombreux groupes d'activistes arabes se sont montrés préoccupés par ses objectifs à long terme, en raison de son attitude «tape-à-l’œil» et de l’habitude qu’il avait de ne pas dissimuler ses intentions.

Lorsque M. Pompeo s’exprimait, on ne risquait pas de mal interpréter ses propos. Il n'a guère dissimulé ses sentiments envers les dirigeants iraniens, par exemple, ni son soutien sans réserve au gouvernement israélien.

On attend de son successeur qu'il adopte un style différent, qui pourrait peut-être faciliter la réalisation des objectifs de la politique étrangère américaine. Le président élu, Joe Biden, a annoncé qu'il allait désigner Tony Blinken, un libéral pro-israélien, au poste de secrétaire d'État. Rien d'étonnant à cette décision, sachant que M. Blinken a été le porte-parole de M. Biden en matière de politique étrangère pendant les derniers mois de la campagne électorale et qu'il faisait partie du Conseil national de sécurité sous le président Bill Clinton.

Les Arabes qui souhaitent savoir dans quelle mesure la position de Washington sur le Moyen-Orient pourrait changer sous Biden ne devront pas attendre trop longtemps. Il leur suffit de prendre conscience du fait que les différences entre Pompeo et Blinken ne reposent pas sur des questions de politique, mais de processus.

Blinken cherchera à poursuivre pratiquement les mêmes objectifs que Pompeo, mais il le fera de manière moins farfelue, plus subtile, plus délicate et plus soucieuse des opinions du monde arabe. Cependant, le résultat demeurera le même, indépendamment des six pages du «Programme pour la communauté arabo-américaine» de Biden, publié sur son site web officiel.

En écoutant les discours de campagne de M. Biden et en lisant ce programme, nous comprenons que M. Blinken va proposer au nouveau président une approche plus douce et moins agressive à l'égard de l'Iran. Ce changement ne sera pas apprécié par le monde arabe modéré, qui considère l'Iran, à juste titre, comme une menace extrémiste.

Il suffisait de dire aux Arabes qu'on se souciait d'eux pour obtenir leur soutien, sans devoir faire réellement quoi que ce soit.

Ray Hanania

Nous sommes également conscients du fait que M. Blinken sera un fervent défenseur d'Israël. Même s'il n'a pas ouvertement défendu un grand nombre des politiques adoptées par Trump au cours des deux dernières années du mandat de ce dernier, M. Blinken appuie bon nombre de ses idées. En effet, certains diront que sa désignation laisse présager une politique plus favorable à Israël que celle de Trump, mais qui adoptera une approche plus subtile.

Pour M. Blinken, la place de l'ambassade américaine est à Jérusalem, et non à Tel-Aviv, et il n’a pas l’intention de revenir sur cette position. La reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël était une évidence sous les administrations précédentes. Si l'ambassade n'y a pas été transférée avant l'arrivée de M. Trump, c'est seulement par crainte que ce changement ne bouleverse l'ordre établi et ne génère de sérieuses difficultés au Moyen-Orient. M. Trump a démenti cette hypothèse en 2018, lorsqu'il a imposé le transfert de l'ambassade. Toutefois, cette mesure ne visait pas à apaiser les électeurs israéliens ou juifs aux États-Unis, mais plutôt à accroître sa popularité auprès des chrétiens évangéliques, qui représentent une base d'électeurs significative.

Les Arabes pourraient afficher la même position à l'égard de l'agenda de M. Biden pour les Arabo-Américains que celle qu'ils ont exprimée lors du Discours du Caire prononcé par l'ancien président Barack Obama en 2009. Mais la vérité est que, si l'on examine attentivement les deux discours, ils laissent espérer un environnement plus agréable, sans pour autant offrir d’éléments substantiels pour y parvenir.

En d'autres termes, il suffisait de dire aux Arabes qu'on se souciait d'eux pour obtenir leur soutien, sans devoir faire réellement quoi que ce soit. Le discours d’Obama au Caire, avec toutes ses fanfaronnades, était lourd de rhétorique, mais léger en termes de changement politique majeur.

Aussi bien Biden qu'Obama ont évoqué en termes vigoureux le respect des droits civils des musulmans. M. Obama a proposé de donner un nouveau départ aux relations entre les États-Unis et les musulmans du monde entier, sur la base d'intérêts et de respect mutuels. Il a même promis que son gouvernement tenterait d'établir un engagement plus étendu avec les pays à majorité musulmane.

De ce fait, les Arabes – qui étaient et sont souvent la cible de politiques discriminatoires – étaient enclins à croire que les choses pourraient changer, tant au niveau des droits de l'homme qu’en matière de décisions politiques relatives au Moyen-Orient.

On sait que ces promesses sont restées lettre morte pendant l'administration Obama. Les espoirs et les rêves des Arabes que son discours a alimentés ne se sont pas traduits par des changements susceptibles d'améliorer la vie quotidienne des populations du Moyen-Orient ou d'apporter des solutions aux conflits qui y sévissent.

Aujourd'hui, les Arabes commettent la même erreur en laissant le programme de M. Biden leur faire croire qu'il fera progresser la cause de la création d'un État palestinien. En réalité, ses promesses ne font que préparer les Arabes à une nouvelle déception majeure. Il ne peut ni satisfaire les attentes des Arabes, ni les apaiser parce que c'est son parti, les Démocrates, qui a défini la politique américaine favorable à Israël.

La condamnation de l'établissement de colonies israéliennes, souvent exprimée par Obama, n’a rien à voir avec le fait de sanctionner un régime qui étend des colonies illégales sur des terres volées à des Palestiniens chrétiens et musulmans.

Aucune action concrète n'a été entreprise par M. Obama pour sanctionner Israël, sauf peut-être une fois, lorsqu’il a refusé d'opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui critiquait Israël. Il est facile d'oublier qu'au mois de décembre 2016, il a décidé de ne pas bloquer une résolution qui condamnait Israël pour ses activités illégales de colonisation. Il a fait l'objet de critiques pour n'avoir pas empêché l'approbation de la résolution, mais sa position était sans importance puisqu’elle n'a fait qu'ajouter des mots vides à un livre rempli de belles paroles condamnant les actions d'Israël. Quelques mois avant de permettre l'adoption de la résolution, M. Obama a approuvé le programme d'aide militaire le plus important de l'histoire d'Israël, d’un coût de 38 milliards de dollars.

Certes, les Israéliens n'ont pas apprécié qu'Obama se soit abstenu, au sein de l'ONU, de défendre leurs politiques illégales de colonisation. Pourtant, son attitude n’a en aucun cas limité l'expansion des colonies. Aucune conséquence n’en a résulté, et la résolution n'était donc qu'un acte inutile.

Ce qui nous rend faibles en tant qu'Arabes, c'est que nous sommes souvent trop emportés par nos émotions. Les belles paroles nous influencent facilement – à mon avis, c’est l'une des raisons pour lesquelles nous apprécions la poésie.

Lorsque nous faisons face à des défis importants, comme la cause palestinienne, et que nous laissons un sentiment d'euphorie susciter une fausse lueur d'espoir et de justice, il s’agit là d’un défaut que nous devrions être prêts à affronter une fois de plus.

Au-delà des mots de sympathie qui seront prononcés, ne vous attendez pas à ce que la nouvelle administration de Washington modifie sensiblement sa politique, que ce soit au sujet de la Palestine ou au sujet de sanctions prises contre Israël en raison des injustices militaires qui ont marqué son occupation de la Cisjordanie.

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur à l'hôtel de ville de Chicago. Il est joignable sur son site web à l'adresse www.hanania.com.

Twitter: @RayHanania

 NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com