Kherson: Le patrimoine culturel de l'Ukraine a été victime de la guerre

Un portrait de Vladimir Lénine au musée d'art régional de Kherson (Photo, AN/Mykhaylo Palinchak).
Un portrait de Vladimir Lénine au musée d'art régional de Kherson (Photo, AN/Mykhaylo Palinchak).
Le père Ilya et des civils hissant un lustre tombé à cause des bombardements russes sur la cathédrale Sainte-Catherine de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).
Le père Ilya et des civils hissant un lustre tombé à cause des bombardements russes sur la cathédrale Sainte-Catherine de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).
Des cadres vidés de peintures des envahisseurs russes sont vus au musée de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).
Des cadres vidés de peintures des envahisseurs russes sont vus au musée de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).
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Publié le Samedi 08 avril 2023

Kherson: Le patrimoine culturel de l'Ukraine a été victime de la guerre

  • Les Ukrainiens affirment que des œuvres d'art, des sites patrimoniaux et même les ossements d'un chef militaire du XVIIIe siècle ont été pillés
  • Un responsable du musée d'art régional de Kherson accuse les Russes d'avoir volé 80% de la collection pendant l'occupation

KHERSON: Construit au début du XXe siècle, le musée d'art régional de Kherson se dresse fièrement au cœur de cette ville du sud de l'Ukraine. Avec son architecture grandiose et imposante, le bâtiment historique a servi tour à tour de salle du conseil municipal, de tribunal principal et même de banque publique.

En 1977, le bâtiment est devenu une galerie d'art, abritant environ 15 000 œuvres — l'une des plus grandes collections d'art du pays. Aujourd'hui, cependant, ses murs sont parsemés de notes de papier épinglées identifiant les nombreuses œuvres d'art pillées pendant l'occupation russe de la ville.

L'année dernière, les forces russes ont pris le contrôle de Kherson pendant huit mois. En novembre, à la suite d'une contre-offensive ukrainienne massive, elles ont été contraintes d'abandonner le territoire, mais pas sans avoir au préalable emporté des milliers d'objets de la collection du musée.

Selon un rapport de Human Rights Watch de décembre 2022, «pendant cette période d'occupation, et en particulier au cours des trois dernières semaines, les soldats russes et d'autres agents de l'État travaillant avec eux ont pillé le musée d'art régional de Kherson, le musée régional de Kherson, la cathédrale Sainte-Catherine et les archives nationales de la région de Kherson.»

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Igor Rusol, chef adjoint du musée d'art régional de Kherson, montre des parties du musée qui ont été vidées par des pillards d'art russes (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Igor Rusol, directeur adjoint du musée d'art régional de Kherson, estime qu'environ 80% du contenu précieux de la collection a été volé par les occupants russes et expédié par camions entiers de l'autre côté de la frontière, en Russie.

«Les soldats russes ont obtenu l'aide de certains civils pour transporter les œuvres d'art», a-t-il révélé à Arab News. «Mais les civils n'avaient pas l'air bien. Ils semblaient drogués et étaient sans abri. Je ne pense pas qu'ils étaient conscients de la gravité de ce qu'ils faisaient.»

Rusol travaille au musée d'art depuis huit ans. «Cet endroit est mon âme», a-t-il indiqué. «Je suis resté pendant l'occupation, mais j'ai vu venir les pillages. Je m'y suis préparé mentalement, mais je reste écœuré par la situation.»

Le coût matériel des objets volés est estimé à des centaines de millions de dollars, mais Rusol a déclaré que c'est la signification culturelle de la perte qui lui importe le plus.

«Non seulement ils ont pillé des objets d’art, mais ils ont aussi volé les disques durs et les livres qui nous servaient d'archives», a-t-il signalé. «Heureusement, nous avions des sauvegardes et nous travaillons actuellement à la finalisation de la liste avec un bureau de la commission spéciale.»

Selon le ministère ukrainien de la Culture, au moins 580 sites culturels ont été endommagés ou détruits dans tout le pays depuis que la Russie a lancé ce qu'elle a appelé une «opération militaire spéciale» le 24 février 2022, destinée à «dénazifier» le gouvernement ukrainien.

Parmi ces sites, figurent 22 trésors archéologiques, 28 cimetières militaires, 42 quartiers historiques, 268 sites architecturaux et 19 œuvres d'art monumentales. Environ 1 322 objets de valeur culturelle ont été endommagés ou détruits.

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Les responsables du musée pensent que certains objets ont été pillés uniquement à des fins financières, tandis que d'autres étaient probablement destinés aux musées russes (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Au 22 mars de cette année, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) avait confirmé que 248 sites ukrainiens avaient été endommagés depuis le début de la guerre, dont 107 sites religieux, 21 musées, 89 bâtiments d'intérêt historique ou artistique, 19 monuments et 12 bibliothèques.

Les collections du musée d'art régional de Kherson sont devenues vulnérables pendant l'occupation russe, lorsque le nombre d'employés en poste dans l'institution a été réduit, a mentionné Rusol. On pense que deux employés ayant des sympathies pro-russes ont collaboré avec les occupants et les ont conseillés sur ce qu'il fallait prendre. L'un des collaborateurs présumés a ensuite déménagé dans la Fédération de Russie et n'est jamais revenu. 

Rusol croit que certains objets ont été pillés dans un but purement financier, tandis que d'autres étaient probablement destinés à des musées russes.

EN BREF

  • La destruction délibérée du patrimoine culturel ainsi que le pillage et la contrebande d'objets sont considérés comme des crimes de guerre en vertu de la Convention de La Haye de 1954, dont la Russie et l'Ukraine sont toutes deux signataires.
  • Depuis le 24 février 2022, l'UNESCO a constaté des dommages sur 248 sites du patrimoine culturel ukrainien, dont 107 sites religieux, 21 musées, 89 bâtiments d'intérêt historique, 19 monuments et 12 bibliothèques.

Les autorités russes pourraient faire valoir que la décision de retirer les œuvres d'art et les objets anciens avait pour but de les protéger. En effet, lorsque les forces russes ont déclaré la loi martiale dans les territoires annexés de Kherson, Zaporizhzhia, Donetsk et Luhansk en septembre, les autorités ont été autorisées à «évacuer» les objets ayant une importance économique, sociale et culturelle. En octobre, l'agence de presse publique russe Ria Novosti a rapporté que deux statues de commandants historiques de la marine russe avaient été retirées de Kherson «parce qu'elles risquaient d'être endommagées par les bombardements ou les attaques terroristes des Ukronazis».

Alors qu'il faisait visiter le musée d'art à Arab News, Rusol a montré deux portraits de Vladimir Lénine, le leader révolutionnaire russe et fondateur de l'Union soviétique.

«N'est-il pas ironique qu'ils aient laissé ses portraits ici?», s’est- il demandé.

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Les pillards russes n'étaient pas intéressés par les portraits de Vladimir Lénine, fondateur de l'Union soviétique (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Le musée d'art faisait l'objet de travaux de restauration avant l'invasion mais, comme on pouvait s'y attendre, le processus a été suspendu. Rusol pense qu'il faudra beaucoup de temps avant qu'ils ne reprennent.

«Tout d'abord, l'Ukraine doit gagner la guerre», a-t-il souligné. «Je ne crois pas que la restauration aura lieu de mon vivant. Des gens ont perdu leur maison, des villes entières ont été rasées.»

Il est persuadé que la guerre n'est pas près de se terminer.

«Les Russes sont imprévisibles et têtus», a estimé Rusol. «Ils continuent d'affirmer qu'il n'y a pas de guerre. Comment raisonner avec de telles personnes?»

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Un buste de Vladimir Lénine, fondateur de l'Union soviétique, figurait parmi ceux ignorés par les pillards (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Il n'y a pas que les œuvres d'art précieuses qui ont été pillées à Kherson. À la cathédrale Sainte-Catherine, la tombe du célèbre homme d'État et commandant militaire russe du XVIIIe siècle, Grigori Potemkine, a été pillée et sa dépouille a été déplacée de l'autre côté de la rivière Dnipro, en territoire russe, avec une statue à son effigie.

Pour atteindre son lieu de repos et retirer sa dépouille, les occupants ont dû ouvrir une trappe au milieu du sol de l'église et descendre un petit escalier. Il semble que l'on n'ait guère essayé de dissimuler le vol.

«Cette église n'a pas été bien entretenue pendant l'ère soviétique», a déclaré le père Ilya, prêtre de la cathédrale, à Arab News.  «Nous l'avons restaurée après notre indépendance. Nous avons gardé la dépouille de Potemkine et maintenant ils l'ont profanée.»

Debout à côté de la tombe pillée de Potemkine, le père Ilya a ajouté: «Que l'on soit un prince ou un homme ordinaire, il ne faut pas déranger un cadavre. Nous avons pris soin de sa dépouille, nous avons mieux pris soin de l'histoire que les Russes.»

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Père Ilya debout près de la tombe de Potemkine dans la cathédrale Sainte-Catherine de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Conseiller de l'impératrice Catherine la Grande, Potemkine a joué un rôle essentiel dans l'annexion de la Crimée aux Ottomans en 1783. C'est pourquoi il est glorifié par les nationalistes russes. Le président Vladimir Poutine a même cité l'héritage de Potemkine pour justifier l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Lors d'un discours prononcé en septembre dernier à l'occasion de l'annexion de plusieurs autres territoires de l'est de l'Ukraine, Poutine a de nouveau mentionné Potemkine comme l'un des fondateurs de nombreuses villes de la région et il s’est référé à la région de Novorossiya, ou «Nouvelle Russie».

En 2021, avant l'invasion, Poutine a écrit un essai intitulé «Sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens» dans lequel il exprime sa conviction que les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple artificiellement divisé par les frontières et les étrangers.

La Russie est accusée de chercher, sur la base de cette notion contestée, à démanteler l'identité nationale ukrainienne, à réquisitionner ses objets culturels, à réécrire son histoire, à effacer les traditions locales et à incorporer son territoire dans la Fédération de Russie.

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Artefacts emballés dans la salle de stockage du musée d'art régional de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).

Anastasia Bondar, vice-ministre ukrainienne de la culture et de l'information, a qualifié la destruction et le pillage du patrimoine culturel de son pays, de crime de guerre.

«Nous allons porter l'affaire devant les tribunaux», a-t-elle affirmé à Arab News.

Il sera difficile d'identifier et de retrouver toutes les œuvres d'art et les objets disparus depuis l'invasion, a-t-elle admis, ajoutant: «Nous ne renoncerons pas à notre histoire et nous reprendrons ce qui nous appartient de droit.»

«Mais il y a plus que les objets d’art pillées. Les envahisseurs détruisent délibérément nos infrastructures et nos sites culturels; ils brûlent même nos livres», a-t-elle ajouté.

Interrogée sur la possibilité de protéger davantage les sites patrimoniaux et les collections avant l'arrivée des troupes russes, Bondar a indiqué qu'il n'y avait tout simplement pas assez de temps pour retirer tous les objets en toute sécurité.

«Nous n'avons pas été en mesure d'évacuer nos musées correctement car ce genre de processus prend du temps», a-t-elle déclaré. «Il existe des méthodes spéciales pour retirer adéquatement un objet ancien sans l'endommager.»

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Des cadres vidés de peintures Des pillards russes sont vus au musée de Kherson (Photo, Mykhaylo Palinchak).

L'Ukraine fait maintenant pression pour qu'un tribunal spécial soit créé afin de tenir la Russie responsable de son agression et de ses conséquences, notamment la destruction présumée du patrimoine culturel.

La destruction délibérée du patrimoine culturel ainsi que le pillage et la contrebande d'objets culturels sont considérés comme des crimes de guerre en vertu de la convention de La Haye de 1954, dont la Russie et l'Ukraine sont toutes deux signataires.

De retour au musée d'art régional de Kherson, où des cadres vides sont suspendus de manière poignante sur des murs en grande partie nus, Rusol reste déterminé, persuadé que la Russie ne parviendra pas à étouffer le sentiment d'identité nationale de l'Ukraine.

«Ils sont venus ici pour nous détruire, nous et notre culture», a-t-il soutenu. «Mais ils n'y parviendront jamais.»

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


CIJ: l'impartialité de l'UNRWA suscite de «sérieux doutes» selon les Etats-Unis

En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence". (AFP)
En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence". (AFP)
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  • La CIJ, située à La Haye (Pays-Bas), a ouvert lundi sa semaine d'audiences plus de 50 jours après l'instauration d'un blocus total sur l'aide entrant dans la bande de Gaza ravagée par la guerre
  • Israël, qui ne participe pas à ces audiences, a dénoncé lundi une "persécution systématique" de la CIJ

LA HAYE: Un représentant des Etats-Unis a fait part mercredi à la Cour internationale de Justice de "sérieux doutes" concernant l'impartialité de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) lors d'audiences consacrées aux obligations humanitaires d'Israël envers les Palestiniens.

"L'impartialité de l'UNRWA suscite de sérieux doutes, du fait d'informations selon lesquelles le Hamas a utilisé les installations de l'UNRWA et que le personnel de l'UNRWA a participé à l'attentat terroriste du 7 octobre contre Israël", a déclaré Josh Simmons, de l'équipe juridique du département d'État américain.

La CIJ, située à La Haye (Pays-Bas), a ouvert lundi sa semaine d'audiences plus de 50 jours après l'instauration d'un blocus total sur l'aide entrant dans la bande de Gaza ravagée par la guerre.

Israël, qui ne participe pas à ces audiences, a dénoncé lundi une "persécution systématique" de la CIJ.

M. Simmons a déclaré aux juges qu'Israël avait "de nombreuses raisons" de mettre en doute l'impartialité de l'UNRWA.

"Il est clair qu'Israël n'a aucune obligation d'autoriser l'UNRWA à fournir une assistance humanitaire", a-t-il déclaré.

Israël a promulgué une loi interdisant à l'UNRWA, d'opérer sur le sol israélien, après avoir accusé certains membres du personnel d'avoir participé aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023, qui a déclenché le conflit.

Une série d'enquêtes, dont l'une menée par l'ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, a révélé des "problèmes de neutralité" à l'UNRWA, mais a souligné qu'Israël n'avait pas fourni de preuves de son allégation principale.

Philippe Lazzarini, directeur de l'UNRWA, a déclaré mardi que plus de 50 membres de son personnel à Gaza avaient été maltraités et utilisés comme boucliers humains alors qu'ils étaient détenus par l'armée israélienne.

Lors de sa déposition face à la Cour, Diégo Colas, représentant la France, a appelé Israël à lever "sans délai" son blocage de l'aide vers la bande de Gaza".

"L'ensemble des points de passage doivent être ouverts, le travail des acteurs humanitaires doit être facilité, et le personnel doit être protégé conformément aux droits internationaux", a-t-il déclaré .

"Conséquences mortelles" 

Israël contrôle tous les flux d'aide internationale, vitale pour les 2,4 millions de Palestiniens de la bande de Gaza frappés par une crise humanitaire sans précédent, et les a interrompus le 2 mars dernier, quelques jours avant l'effondrement d'un fragile cessez-le-feu après 15 mois de combats incessants.

"L'interdiction totale de l'aide et des fournitures humanitaires décrétée par les autorités israéliennes depuis le 2 mars a des conséquences mortelles pour les civils de Gaza", a déclaré dans un communiqué Claire Nicolet, responsable de la réponse d'urgence de l'ONG Médecins sans Frontières dans la bande de Gaza.

"Les autorités israéliennes utilisent l'aide non seulement comme une monnaie d'échange, mais aussi comme une arme de guerre et un moyen de punition collective pour plus de 2 millions de personnes vivant dans la bande de Gaza," a-t-elle ajouté.

En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence".

La résolution demande à la CIJ de clarifier les obligations d'Israël concernant la présence de l'ONU, de ses agences, d'organisations internationales ou d'États tiers pour "assurer et faciliter l'acheminement sans entrave des fournitures urgentes essentielles à la survie de la population civile palestinienne".

Les avis consultatifs de la CIJ ne sont pas juridiquement contraignants, mais celui-ci devrait accroître la pression diplomatique sur Israël.

En juillet dernier, la CIJ avait aussi rendu un avis consultatif jugeant "illégale" l'occupation israélienne des Territoires palestiniens, exigeant qu'elle cesse dès que possible.


Après la panne géante, les énergies renouvelables sur le banc des accusés en Espagne

Des passagers attendent avant de monter dans leur train à la gare de Sants à Barcelone, le 29 avril 2025, au lendemain d'une panne d'électricité massive qui a touché toute la péninsule ibérique et le sud de la France. (Photo par Josep LAGO / AFP)
Des passagers attendent avant de monter dans leur train à la gare de Sants à Barcelone, le 29 avril 2025, au lendemain d'une panne d'électricité massive qui a touché toute la péninsule ibérique et le sud de la France. (Photo par Josep LAGO / AFP)
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  • Deux jours après la panne géante qui a touché la péninsule, la nature du mix énergétique ibérique est au cœur de vifs débats mercredi en Espagne.
  • Dans le viseur de ces deux quotidiens, mais aussi des partis d'opposition, se trouve la politique énergétique mise en place depuis plusieurs années par le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez.

MADRID : L'essor des énergies renouvelables a-t-il fragilisé le réseau électrique espagnol ? Deux jours après la panne géante qui a touché la péninsule, la nature du mix énergétique ibérique est au cœur de vifs débats mercredi en Espagne, malgré les messages rassurants des autorités.

« Le manque de centrales nucléaires et la multiplication par dix des énergies renouvelables ont mis à terre le réseau électrique », assure en une le quotidien conservateur ABC mercredi matin. « Les alertes sur les renouvelables depuis cinq ans » ont été « ignorées », regrette de son côté El Mundo, également classé à droite.

Dans le viseur de ces deux quotidiens, mais aussi des partis d'opposition, se trouve la politique énergétique mise en place depuis plusieurs années par le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, qui a fait de l'Espagne l'un des champions européens de la transition verte.

Selon le gestionnaire du réseau électrique espagnol REE, le solaire et l'éolien ont représenté en 2024 près de 40 % du mix électrique espagnol. C'est près de deux fois plus qu'en 2014, et près du double également de la part du nucléaire, tombée l'an dernier à 20 %. 

Cette évolution est défendue par l'exécutif, qui s'est engagé à fermer toutes les centrales nucléaires d'ici dix ans, mais elle est source de tensions dans le pays, plusieurs rapports ayant pointé ces derniers mois de possibles risques en l'absence de mesures fortes pour adapter le réseau.

- Une énergie « sûre » ?

Dans son document financier annuel publié fin février, Redeia, la maison-mère de REE, avait ainsi mis en garde contre « la forte pénétration de la production renouvelable sans les capacités techniques nécessaires à un comportement adéquat face aux perturbations ».

Cela pourrait « provoquer des coupures de production », qui « pourraient devenir sévères, allant jusqu'à entraîner un déséquilibre entre la production et la demande, ce qui affecterait significativement l'approvisionnement en électricité » de l'Espagne, avait-elle écrit. 

Un message relayé par l'organisme espagnol de la concurrence (CNMC) dans un rapport de janvier. « À certains moments, les tensions du réseau de transport d'électricité ont atteint des valeurs maximales proches des seuils autorisés, dépassant même ces seuils à certains moments », avait écrit l'organisme.

Après la coupure de lundi, certains experts du secteur se sont interrogés sur un éventuel déséquilibre entre production et demande (difficile à corriger dans un réseau où l'éolien et le solaire ont une place prépondérante) qui aurait pu contribuer à l'effondrement du système électrique espagnol.

Dans un entretien accordé mercredi matin à la radio Cadena Ser, Beatriz Corredor, la présidente de Redeia et REE (l'ex-députée socialiste) a cependant assuré que la production d'énergies renouvelables était « sûre ».

« Relier l'incident si grave de lundi à une pénétration des énergies renouvelables n'est pas vrai, ce n'est pas correct », a-t-elle insisté, en assurant que le rapport de février ne faisait que dresser la liste de risques potentiels, comme l'y oblige la législation. 

- « Ignorance » -

Mardi déjà, Pedro Sánchez avait lui aussi défendu le modèle énergétique mis en œuvre par son gouvernement, rappelant que la cause précise de la panne qui a provoqué le chaos au Portugal et en Espagne durant de longues heures lundi n'était toujours pas connue à ce stade.

« Ceux qui lient cet incident au manque de nucléaire mentent franchement ou démontrent leur ignorance », a assuré le dirigeant socialiste.

« Les centrales nucléaires, loin d'être une solution, ont été un problème » durant la panne, car « il a été nécessaire de rediriger vers elles de grandes quantités d'énergie pour maintenir leurs réacteurs stables », a insisté le chef du gouvernement. 

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la panne depuis deux jours, dont celle d'une cyberattaque. Mardi, la justice espagnole a ouvert une enquête pour déterminer si la panne avait été provoquée par un « sabotage informatique » susceptible d'être qualifié de « délit terroriste ».

REE estime cependant que cette hypothèse est peu crédible. « Au vu des analyses que nous avons pu réaliser avec l'aide notamment du Centre national du renseignement espagnol (CNI), nous pouvons écarter un incident de cybersécurité », a ainsi assuré le gestionnaire.

D'après REE, l'équivalent de 60 % de la consommation électrique de l'Espagne, soit 15 gigawatts, a disparu en l'espace de cinq secondes seulement lors de la panne survenue lundi à 12 h 33 (11 h 33 GMT), un phénomène qualifié d'« inédit » et « totalement extraordinaire ».


Des rapports internes concluent à un climat antisémite et anti-musulman à Harvard

Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël". (AFP)
Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël". (AFP)
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  • Harvard, comme d'autres universités américaines de renom, Columbia en particulier, est accusée par le président républicain d'avoir laissé prospérer l'antisémitisme sur son campus pendant les mouvements étudiants contre la guerre à Gaza menée par Israël
  • Un premier groupe de travail sur l'antisémitisme et les positions anti-Israël, composé principalement de membres du corps enseignant mais aussi d'étudiants

NEW YORK: Deux rapports distincts sur Harvard publiés mardi par l'université ont établi qu'un climat antisémite et anti-musulman s'était installé sur le campus de la prestigieuse université américaine, dans le viseur de Donald Trump, et la pressent d'agir pour y remédier.

Ces deux rapports de plusieurs centaines de pages, construits notamment à partir de questionnaires et de centaines de témoignages d'étudiants et d'encadrants menés depuis janvier 2024, sont rendus au moment où l'université implantée près de Boston (nord-est) s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui l'a dernièrement dépeinte en "institution antisémite d'extrême gauche", "foutoir progressiste" et "menace pour la démocratie".

Harvard, comme d'autres universités américaines de renom, Columbia en particulier, est accusée par le président républicain d'avoir laissé prospérer l'antisémitisme sur son campus pendant les mouvements étudiants contre la guerre à Gaza menée par Israël après l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.

Un premier groupe de travail sur l'antisémitisme et les positions anti-Israël, composé principalement de membres du corps enseignant mais aussi d'étudiants, a établi que les deux phénomènes "ont été alimentés, pratiqués et tolérés, non seulement à Harvard, mais aussi plus largement dans le monde universitaire".

Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël".

Un autre groupe de travail distinct, lui consacré aux positions anti-musulmans, anti-arabes et anti-Palestiniens, a conclu à "un sentiment profondément ancré de peur parmi les étudiants, les enseignants et le personnel". Les personnes interrogées décrivent "un sentiment de précarité, d'abandon, de menace et d'isolement, ainsi qu'un climat d'intolérance omniprésent", écrivent ses auteurs.

"Harvard ne peut pas - et ne va pas - tolérer l'intolérance. Nous continuerons à protéger tous les membres de notre communauté et à les préserver du harcèlement", s'engage dans une lettre accompagnant les deux rapports le président de Harvard, Alan Garber, à l'initiative des deux rapports, en promettant de "superviser la mise en oeuvre des recommandations" préconisées.

Harvard, l'université la plus ancienne des Etats-Unis et une des mieux classées au monde, s'est distinguée en étant la première à attaquer en justice l'administration Trump contre un gel de plus de deux milliards de dollars de subventions fédérales, décidé après que la célèbre institution a refusé de se plier à une série d'exigences du président.

Donald Trump, qui reproche aux universités d'être des foyers de contestation progressiste, veut avoir un droit de regard sur les procédures d'admission des étudiants, les embauches d'enseignants ou encore les programmes.

L'accusation d'antisémitisme est fréquemment employée par son administration pour justifier ses mesures contre les établissements d'enseignement supérieur, ainsi que contre certains étudiants étrangers liés aux manifestations contre la guerre à Gaza.