La guerre pour l'est de la Syrie ne fait que commencer

La récente publication par le Washington Post de documents du renseignement américain classifiés ayant fuité a révélé comment l'Iran prépare les militants en Syrie à une nouvelle phase d'attaques meurtrières contre les troupes américaines qui s’y trouvent. (AFP).
La récente publication par le Washington Post de documents du renseignement américain classifiés ayant fuité a révélé comment l'Iran prépare les militants en Syrie à une nouvelle phase d'attaques meurtrières contre les troupes américaines qui s’y trouvent. (AFP).
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Publié le Mardi 06 juin 2023

La guerre pour l'est de la Syrie ne fait que commencer

La guerre pour l'est de la Syrie ne fait que commencer
  • Une réunion de haut niveau de responsables militaires et des services de renseignement russes, iraniens et syriens a abouti à la création d’un «centre de coordination» pour mener une campagne contre des cibles américaines
  • La seule façon de sortir de ce bourbier est que les Syriens puissent un jour être gouvernés par des dirigeants qui respectent leurs droits, leurs libertés et leur souveraineté; l'attente risque d'être longue

Au cours des deux dernières années, il a semblé de plus en plus inévitable qu'un nouveau conflit régional finisse pas éclater, l'Iran et ses alliés étant en lutte contre Israël et les États-Unis. Après une période où le sud du Liban et probablement l'Irak étaient considérés comme des points chauds potentiels, l'attention se tourne désormais vers la bataille pour le contrôle de l'est de la Syrie en tant que voie vers une influence régionale plus large.

La récente publication par le Washington Post de documents du renseignement américain classifiés ayant fuité a révélé comment l'Iran prépare les militants en Syrie à une nouvelle phase d'attaques meurtrières contre les troupes américaines qui s’y trouvent, tout en travaillant également avec la Russie sur une stratégie plus large pour chasser complètement les Américains de la région.

Selon ces documents, dans le cadre des aspirations de Bachar al-Assad à reprendre le contrôle de l'est du pays, en novembre 2022, une réunion de haut niveau de responsables militaires et des services de renseignement russes, iraniens et syriens a abouti à la création d’un «centre de coordination» pour mener une campagne contre des cibles américaines.

Cette réunion tripartite incluait apparemment une stratégie de mobilisation visant à effectuer une campagne populaire d'attaques contre les forces américaines. L'Iran a cherché à établir des centres permanents de soutien populaire dans l'est de la Syrie en recrutant parmi les forces locales, en payant certaines tribus ainsi que des responsables, et en créant des écoles et des institutions religieuses dans le but d’exercer une influence idéologique. Cette nouvelle stratégie cherche à mobiliser ces mandataires en vue d’un soulèvement actif contre la présence américaine.

Près de 1 000 soldats américains sont restés dans l'est de la Syrie, manifestement pour combattre Daech, mais plus spécifiquement pour entraver les ambitions des militants soutenus par l'Iran. La principale base contrôlée par les États-Unis à Al-Tanf, dans la zone frontalière entre l'Irak, la Jordanie et la Syrie, a été un élément décisif pour contrecarrer les ambitions de Damas, Moscou et Téhéran, à resserrer leur contrôle dans l'est du pays.

Damas et Moscou ont accusé à plusieurs reprises les États-Unis de voler du pétrole syrien – même si, dans la pratique, les revenus de ces gisements situés à l'est servent en grande partie à financer les forces kurdes soutenues par les États-Unis. La Syrie n'est pas l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde; avant 2011, elle produisait près de 400 000 barils par jour, soit près de 25% du budget du régime. Néanmoins, M. Al-Assad et les différents autres acteurs sont, sans surprise, impatients de mettre la main dessus.

«Tout semble indiquer que le conflit syrien entre dans une nouvelle phase, alors que Bachar al-Assad et ses alliés – enhardis à l'ouest – cherchent à réaffirmer leur présence et à défier les militaires américains basés à l'est.»

Baria Alamuddin

Ces documents indiquent en outre que la Force Al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) forme des paramilitaires à l'utilisation de bombes perforantes plus puissantes, placées en bord de route, conçues spécifiquement pour cibler des véhicules militaires américains, et qui se sont avérées hautement meurtrières en Irak après 2003. Lors d’essais de ces armes par le Hezbollah et la Force Al-Qods, menés près de Damas au début de l’année 2023, ces armes ont transpercé un blindage de char d'une épaisseur de 7,5 cm à un peu moins de 25 mètres de distance. L'expert spécialisé dans les affaires militaires et de sécurité Michael Knights met en garde contre un «changement radical dans l'acceptation du risque par les militants de tuer des Américains en Syrie».

Une frappe de drone de la part des militants en mars, qui a fait des victimes américaines et déclenché une succession de frappes de représailles, n'était que l'une des dizaines d'attaques de drones et de roquettes contre des cibles et des alliés américains dans l'est de la Syrie. Les militants cherchent à riposter contre les frappes aériennes israéliennes à l'ouest en attaquant les militaires américains à l'est.

Dans un contexte de montée des tensions géopolitiques autour du conflit ukrainien, la Russie a activement cherché à mettre en déroute les forces américaines en Syrie en violant les accords de désescalade, en survolant les bases américaines, et en prenant à partie les avions américains, alors même que Moscou a puisé dans ses capacités syriennes pour les utiliser sur la scène ukrainienne. Bien que Téhéran – en tant que principal fournisseur d'armes de la Russie – se soit rapproché de l'orbite de Moscou, les documents du renseignement américain divulgués montrent que les ayatollahs expriment leur frustration face à un Kremlin autoritaire les excluant des négociations menées par la Russie avec la Turquie, tout en permettant à Israël de continuer à frapper des cibles alignées sur l'Iran.

Les militants de Hachd al-Chaabi en Irak ont passé ces dernières années à consolider leur contrôle sur la région frontalière syro-irakienne, notamment au moyen de fortifications perfectionnées axées sur Abu Kamal, comprenant des kilomètres de tunnels souterrains profonds destinés à stocker des missiles. Ils aspirent à contrôler le transit est-ouest des munitions, de la drogue et de la contrebande, à travers la Syrie vers la Méditerranée. Bien que ces forces soient en principe du côté de Bachar al-Assad, elles sont naturellement réticentes à voir Damas revenir en force et entraver leur progression.

Par ailleurs, alors que Daech poursuit ses attaques régulières contre les forces kurdes et d'autres cibles, il semble que le groupe terroriste s'emploie activement à masquer l'étendue réelle de ses capacités syriennes, de nombreux militants se cachant dans la vaste région désertique de Badia.

Le meurtre de quelque 250 cueilleurs de truffes au cours d’une série d'incidents dans le désert syrien durant le printemps dernier a été largement imputé à Daech. Mais les experts estiment qu’une grande partie de ces meurtres était probablement due à des milices soutenues par l'Iran cherchant à étendre leur monopole sur cette vaste région. De violents affrontements ont même éclaté en 2022 entre des milices soutenues par la Russie et des milices soutenues par l'Iran, chacune cherchant à établir un contrôle exclusif sur les routes essentielles et les emplacements stratégiques.

La ville de Deir Ezzor se situe le long de la ligne de démarcation entre Damas et les forces kurdes de l’est. M. Al-Assad a cherché à s'attirer les faveurs des tribus locales par le biais d'un processus de réconciliation complexe, tandis que les forces pro-Téhéran exploitaient cette situation précaire afin d’acquérir de grandes quantités de terrains et de biens dans cette vaste zone.

Tout semble indiquer que le conflit syrien entre dans une nouvelle phase, alors que Bachar al-Assad et ses alliés – enhardis à l'ouest – cherchent à réaffirmer leur présence et à défier les militaires américains basés à l'est.

Ce que toutes ces parties – Téhéran, Washington, la Russie, Daech, Israël et la Turquie – ont en commun, c'est qu'elles poursuivent leurs propres objectifs sur le sol syrien. Aucun des acteurs de ce grand jeu à l’échelle mondiale n’aspire sincèrement à ramener la paix et la stabilité en Syrie. La seule façon de sortir de ce bourbier est que les Syriens puissent un jour être gouvernés par des dirigeants qui respectent leurs droits, leurs libertés et leur souveraineté. L'attente risque d'être longue.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com