Sous-représentation de la «diversité» dans les mairies de France

Des supporters français brandissent leur drapeau national alors qu'ils assistent au meeting d'été du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN) ("Estivales") aux Arènes de Beaucaire, à Beaucaire, dans le sud de la France, le 16 septembre 2023. (AFP)
Des supporters français brandissent leur drapeau national alors qu'ils assistent au meeting d'été du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN) ("Estivales") aux Arènes de Beaucaire, à Beaucaire, dans le sud de la France, le 16 septembre 2023. (AFP)
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Publié le Mercredi 20 septembre 2023

Sous-représentation de la «diversité» dans les mairies de France

Sous-représentation de la «diversité» dans les mairies de France
  • Il n’y a pas de quoi pavoiser en France, en matière d’élu-e-s d’origine «immigrée» comme on dit
  • Il semble qu’aucun maire d’origine arabe n’existe dans la plupart des pays de l’Union européenne

En 2020, au second tour de l’élection municipale, à Paris, il y avait 17 têtes de listes dont deux «non blanches» (sic): une troisième tête de liste «non blanche», Rachida Dati, était réélue dès le premier tour, dans le VIIe arrondissement. Une maire d’origine marocaine, et d’un arrondissement huppé, voilà qui n’est pas banal! Du moins, en France. Quand on pense que Londres a un maire d’origine indienne, de surcroît, musulman, Sadiq Khan; quand on sait que Rotterdam, la deuxième grande ville des Pays-Bas, a pour bourgmestre (équivalent au maire) Ahmed Aboutaleb, également d’origine marocaine, il n’y a pas de quoi pavoiser en France, en matière d’élu-e-s d’origine «immigrée» comme on dit. 

De la distinction: sociologique et/ou ethnique

Certes, Anne Hidalgo, née à San Fernando, en Espagne, maire de Paris, elle aussi est une immigrée. Quoique… Il y aurait immigré de Premier Collège et immigré de Deuxième Collège, comme du temps de l’Algérie française où l’Assemblée algérienne était composée de citoyens de «statut français» (Premier Collège) et d’indigènes de «statut musulman» (Deuxième Collège). Notez bien la distinction lexicale des deux statuts: «Français» et «Musulmans», et cela se passait en 1947, alors que la laïcité était instaurée depuis 1905! Mais c’est une autre histoire!... 

L’année des dernières municipales (2020) devait être une année de révoltes, encore une, mais les revendications furent étouffées par l’épidémie de Covid-19. Pendant que le gouvernement s’appliquait à mettre au pas la population, une partie intégrante de celle-ci, intégrante mais menacée de désintégration, forçait les partis à jouer la partition de la diversité aux municipales.  

Le 21 juin, France-Info suivait le mouvement: «Alors que des milliers de personnes manifestent à Paris contre les violences policières et le racisme, la question de la place des minorités devient (enfin) un enjeu de campagne.» Et ce, au grand dam de l’extrême-droite. Cependant, s’il y eut des mandatés heureux, c’était pour un poste d’adjoint ou de président de commission. 

Deux cas exceptionnels: Celui, en Seine-Saint-Denis, d’Azzedine Taïbi (d’origine algérienne), élu maire de Stains depuis 2014, devenu ainsi le premier maire de la diversité d’une ville de plus de 30 000 habitants, et réélu en 2020; la même année, Karim Bouamrane fut élu maire de Saint-Ouen-sur-Seine, une ville de plus de 50 000 habitants! Xavier Cadoret (né Karim Kadouri, au Maroc), déjà premier maire de France d’origine marocaine, était réélu maire de Saint-Gérand-le-Puy (en Auvergne-Rhône-Alpes). Ce titre de premier maire d’origine maghrébine ne touche souvent que de petites communes, comme Saint-Gérand-le-Puy (moins de 1 000 habitants). Le premier maire d’origine algérienne fut Ahmed Abdelkader, ayant occupé la même fonction de 1995 jusqu’à 2005, à Ceilhes-et-Rocozels (près de Béziers), village de 300 habitants environ. 300: que nous sommes loin de la population de la municipalité dirigée par une célébrité d’origine marocaine, Rachida Dati, dans le VIIe arrondissement de Paris, qui compte plus de 48 000 habitants!...

Et si la France reste encore frileuse dans le domaine de l’intégration aux instances communales, accordant une fois sur mille la tête de liste à la «diversité», et ne réservant souvent et au mieux que des postes de second plan lors de la désignation du conseil municipal, ce n’est pas pour ne pas contrarier l’électorat «de souche». 

Salah Guemriche

Comment expliquer cette sous-représentation?

S’agissant du tout premier maire d’origine arabe et non plus maghrébine, on peut remonter loin, très loin. Il s’agit d’un record: durant trente-trois ans, un Arabe aura été maire d’une commune de France, sans discontinuer: Alexandre Abd el-Nour, d’origine syrienne (chrétien) fut en effet maire, de 1912 à 1945, de Bazeilles, bourgade aujourd’hui fusionnée avec deux autres communes, dans la région des Ardennes. Médecin, il se distingua lors de la Première Guerre mondiale et reçut la Légion d’honneur. Le 15 juillet 2010, le maire de Bazeilles avait inauguré une avenue «Alexandre Abd-el-Nour». 

Si, en 2014, un migrant syrien, Nabil-Iosif Morad, fut élu avec 52,23% de voix maire d’Andravida, au sud de la Grèce, il semble qu’aucun maire de confession musulmane n’existe dans la plupart des pays de l’Union européenne. C’est dire que les Pays-Bas (avec Ahmed Aboutaleb, «maire» de Rotterdam) et l’Angleterre (avec Sadiq Khan, maire de Londres), font distinction. 

Et si la France reste encore frileuse dans le domaine de l’intégration aux instances communales, accordant une fois sur mille la tête de liste à la «diversité», et ne réservant souvent et au mieux que des postes de second plan lors de la désignation du conseil municipal, ce n’est pas pour ne pas contrarier l’électorat «de souche». C’est ce que révèlent des enquêtes menées par Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po-Bordeaux et spécialisé dans l’analyse des comportements électoraux et politiques en France. 

À la question, posée par Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes et Migrations: «Est-ce que les recherches que vous avez menées par ailleurs montrent des freins aux carrières politiques des citoyens issus de l’immigration?», Vincent Tiberj répond: «Oui, il y a plusieurs freins. Tout d’abord, l’incapacité du système politique français à s’ouvrir au renouvellement. Cela vaut en termes sociaux, de genre et de génération, mais aussi de diversité. Avec Sylvain Brouard, nous avons fait varier les origines du candidat, son genre, son milieu social, ou encore son parti, et avons constaté que l’appréhension du candidat issu de la diversité est plutôt favorable. Au contraire, on le préfère à n’importe quel autre candidat au profil “classique”, tout simplement parce qu’il représente une ouverture et un renouvellement politique. Autrement dit, pour résumer, les freins à la représentation de la diversité sont à chercher essentiellement du côté des partis, et beaucoup moins du côté des électeurs, à la différence de ce que l’on pourrait croire.»*

Longtemps, la réalité du terrain obligea les partis, de gauche comme de droite, à un pragmatisme de bon aloi qui leur dictait, comme le note le même spécialiste, de faire de la place à des candidats issus de la diversité «dans des circonscriptions qui n’étaient pas gagnables». Ainsi, la bonne conscience était sauve.

*Marie Poinsot, «La participation politique des immigrés algériens et de leurs descendants en France», Hommes & Migrations, 1295 | 2012, 78-89.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.