Kfar...Gaza

En matière de pogroms, Israël aussi s’y connaît, depuis le 9 avril 1948 jusqu'à nos jours! (AFP).
En matière de pogroms, Israël aussi s’y connaît, depuis le 9 avril 1948 jusqu'à nos jours! (AFP).
Short Url
Publié le Mercredi 18 octobre 2023

Kfar...Gaza

Kfar...Gaza
  • 7 octobre 2023: une date qui vient s’ajouter aux pires dates de l’histoire d’Israël depuis sa création…
  • On a surtout parlé de «sidération», et, en retour, de «terrorisme»

 7 octobre 2023: une date qui vient s’ajouter aux pires dates de l’histoire d’Israël depuis sa création… On a parlé d’humiliation. L'armée israélienne, une des plus redoutables armées du monde, humiliée: comment est-ce possible? Mystère!… Un mystère qui nourrit un certain complotisme…

On a surtout parlé de «sidération», et, en retour, de «terrorisme». Et comment nommer autrement ces assauts meurtriers, se jouant d'une frontière réputée infranchissable, au nez et à la barbe des services de renseignements les plus côtés du monde? Des actes barbares visant hommes, femmes, enfants, et de quelle manière! Cela a été dit, par le ministre israélien de la Défense, et avec des références à la Torah: c’étaient des «Animaux humains»!

Y aurait-il un terrorisme légal réservé aux seules forces d’occupation?

Ainsi, il y aurait un terrorisme légitime et un autre, criminel. Légitime fut le terrorisme pratiqué par la Résistance française, comme ceux, côté Israël, du Groupe Stern et de l'Irgoun; légitime aussi, le terrorisme des colons d'aujourd'hui. Criminel, hier, le terrorisme du FLN algérien, et criminel, celui du Hamas. Rappelons au passage que le groupe terroriste Stern eut pour dirigeant, en 1942, Yitzhak Shamir, futur Premier ministre, et c'est ce groupe qui assassina en 1948 Folke Bernadotte, diplomate suédois qui avait pour mission la mise en place du fameux «Plan de partage de la Palestine…

Comme il faut rappeler que le même diplomate était connu pour avoir négocié la libération de 15 000 prisonniers des nazis!… Autant dire que, face à la promesse du Lévitique, ce sauvetage devait passer par pertes et profits: «Vous prendrez possession de leur sol, je vous en donnerai moi-même la possession, une terre qui ruisselle de lait et de miel. C’est moi Yahvé, votre Dieu, qui vous ai mis à part de ces peuples», promettait déjà le Lévitique (Lv. 20. 23-24).

«Mis à part»!… C'est d'un autre ressenti que témoigne le citoyen israélien touché dans sa chair comme dans ses vieilles et sécurisantes certitudes. En plein désarroi, des rescapés n'ont pas hésité à fustiger leur propre gouvernement. Certains ont agi d'eux-mêmes pour protéger leurs proches. Et Charles Enderlin de commenter, sur BFM: «Une opinion publique qui explose… Un père qui prend les armes et se porte au secours de ses enfants menacés par le Hamas. Et qui réussit à les sauver! Et puis, il y a le cas de ce ministre qui s'est présenté dans un hôpital et qui a été prié par le personnel de déguerpir»…

«Il ne s'agit plus de libérer les Territoires occupés, mais de libérer Israël des Territoires occupés!» (Yeshayahou Leibowitz, philosophe, rédacteur en chef de l'Encyclopédie hébraïque)

Témoignage des plus poignants, celui d'une mère, Hadas Kalderon, dont les deux enfants ont été pris en otages, et qui supplie les ravisseurs de les épargner, en ajoutant qu'elle les suppose parents eux-mêmes et qu'ils sauront donc entendre son appel, déchirant: «Mes enfants n'ont pas à subir cette guerre. Ce n'est pas leur guerre!» Alors que des soldats israéliens, qui venaient de neutraliser les assaillants, frappent à la porte de son abri, elle se demande «comment savoir que ce ne sont pas les terroristes?» Répondant aux appels des sauveteurs, elle s'écrie: «Mais où étiez-vous?»

 Le peuple palestinien, ce «Christ des nations»

Oui, les horreurs vécues par les civils israéliens, le 7 octobre, resteront gravées dans les mémoires, comme un nouveau pogrom. Mais en matière de pogroms, Israël aussi s’y connaît, depuis le 9 avril 1948 jusqu'à nos jours! En 1948, avec le massacre de Deir Yassin: «70 % des victimes étaient non combattantes, et les prisonniers furent exécutés» (Benny Morris, The Birth Of The Palestinian Refugee Problem Revisited, Cambridge University Press, UK 2003).

Alors, oui, «Trop, c'est trop!» Comme disait le cri du collectif réuni en 2001 à l’initiative de Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet… Aujourd’hui, ce cri, même rentré, vous dit: Faites donc cesser ces massacres! Arrêtez cette injustice indigne de dirigeants dont les ascendants connurent le pire, et qui, au nom de ce pire, se croient autorisés à reproduire abomination et désolation!

Même dans leur grand malheur, les Juifs d’Europe avaient fini par recouvrer leurs droits, et par être «indemnisés» quatre fois plutôt qu’une: historiquement, moralement, financièrement et territorialement. Cela ne vaut pas effacement de «l’abomination de la désolation» des temps modernes (la Shoah), certes. Sauf que, par l’indemnisation territoriale, la Communauté internationale avait corrigé une abomination par une autre abomination, une injustice par une autre injustice. Pourtant, il suffisait de suivre le conseil de Yeshayahou Leibowitz: «Il ne s'agit plus de libérer les Territoires occupés, mais de libérer Israël des Territoires occupés!» Pour qu’un jour, peut-être, Kfar Aza (en hébreu: «Village Gaza») soit jumelé avec Gaza.

Il fut des jours où Emmanuel Levinas se demandait où était passée cette justice lorsque le peuple de Yahvé dut subir ce qu’il appela «la Passion des Passions» (la Shoah). Il fut d’autres jours où André Spire se demandait comment rendre justice «au plus opprimé, au plus méconnu des peuples, au Christ des nations?» Or, depuis soixante-quinze ans, le peuple d’Israël vit sans restriction sa résurrection, jusqu’à se permettre d’ignorer une soixantaine de Résolutions de l’ONU! Et aujourd’hui, pour avoir octroyé à Israël une impunité sans précédent dans l’Histoire, la Communauté internationale a permis de faire du peuple palestinien le nouveau «Christ des nations».

 

Nota bene: Ce texte, commencé le 8 octobre, est dédié à Mme Hadas Kalderon, dont les deux enfants font partie des otages; et à Ziad Medoukh, professeur de français à l’Université Al-Aqsa-Gaza, qui a laissé les siens quitter Gaza, sans lui, refusant de céder à une nouvelle Nakba.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.