En Russie, la lumière d'une bibliothèque George-Orwell brille encore

Dmitry Shestopalov, 18 ans, visite la bibliothèque portant le nom du romancier anglais George Orwell avec une édition sud-coréenne de Nineteen Eighty-Four d'Orwell avec un portrait de Joseph Stalin sur la couverture, exposée sur une étagère à Ivanovo, une ville située à environ 250 km au nord-est de Moscou, le 20 octobre 2023. (AFP)
Dmitry Shestopalov, 18 ans, visite la bibliothèque portant le nom du romancier anglais George Orwell avec une édition sud-coréenne de Nineteen Eighty-Four d'Orwell avec un portrait de Joseph Stalin sur la couverture, exposée sur une étagère à Ivanovo, une ville située à environ 250 km au nord-est de Moscou, le 20 octobre 2023. (AFP)
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Publié le Dimanche 29 octobre 2023

En Russie, la lumière d'une bibliothèque George-Orwell brille encore

  • Un entrepreneur local et opposant au conflit en Ukraine, Dmitri Siline, a ouvert les lieux en juillet 2022 avec l'idée de fournir gratuitement des outils de réflexion pour lutter contre la propagande, la censure et le climat de manipulation ambiant
  • Aucun de ces livres n'est interdit. Ils peuvent donc être proposés aux lecteurs, même si, en librairie, ceux rédigés par des personnes cataloguées «agents de l'étranger» doivent être vendus dans des emballages cachant leur couverture

IVANOVO: Sur les étagères de la bibliothèque, la vieille dame saisit des livres dont elle connaît naturellement la place. Orwell, Sorokine, Dostoïevski. Des auteurs qui, pour elle, aident à percer les ténèbres de la Russie contemporaine.

Dans la pièce, un ordinateur, quelques centaines de livres et une odeur d'huile parfumée, celle que porte Alexandra Karasseva, la responsable de la bibliothèque George-Orwell d'Ivanovo, une ville industrielle à cinq heures de route de Moscou.

En manipulant les ouvrages, Mme Karasseva, 67 ans, disserte sur leur pouvoir : "Les livres servent à voir l'Homme, même dans l'ennemi, et à rejeter toute forme de déshumanisation."

Un entrepreneur local et opposant au conflit en Ukraine, Dmitri Siline, a ouvert les lieux en juillet 2022 avec l'idée de fournir gratuitement des outils de réflexion pour lutter contre la propagande, la censure et le climat de manipulation ambiant.

Comme tant d'autres, il a fui la Russie peu après, par crainte de finir en prison pour ses prises de position. Mais sa petite bibliothèque, située au rez-de-chaussée d'un bâtiment aux murs et à la toiture défoncés, continue d'exister.

Mme Karasseva présente la collection : des dystopies, des ouvrages sur le goulag, des écrivains contemporains critiques du Kremlin, des manuels soviétiques d'éducation politique et des romans plus légers pour "s'aérer l'esprit".

Aucun de ces livres n'est interdit. Ils peuvent donc être proposés aux lecteurs, même si, en librairie, ceux rédigés par des personnes cataloguées "agents de l'étranger" doivent être vendus dans des emballages cachant leur couverture.

Légalement, Mme Karasseva a aussi toujours le droit d'apporter ses éclairages. "Plus vous lisez de dystopies", dit-elle, "Plus vous avez de liberté : elles vous montrent les dangers, les moyens de les éviter, d'y résister."

«Oublier la peur»

La bibliothécaire, col roulé et épaisses lunettes sur le nez, est un puits de science à la prononciation rendue moelleuse par une dentition abîmée. Sa frange blonde lui tombe sans cesse sur les yeux.

Elle parle du chef-d'oeuvre d'Orwell, 1984, qui décrit la tentative de résistance d'un employé du "ministère de la Vérité" dans une dictature extrêmement intelligente dans sa capacité à soumettre et lobotomiser les individus.

Elle évoque l’autodestruction révolutionnaire dans les Démons de Dostoïevski, les dystopies explosives du Russe Vladimir Sorokine, l'antiracisme de l'Américaine Harper Lee, le cri d'humanité de l'Allemand Erich Maria Remarque...

Mme Karasseva indique être une historienne à la retraite, spécialiste de la Rome antique, en particulier "du passage de la République à la dictature".

Puis, sans crier gare, elle partage son analyse du film Barbie ("plus profond qu'il n'y paraît"). Le long-métrage américain a récemment été projeté dans l'unique salle de réunion de la bibliothèque.

Le souriant Dmitri Chestopalov, 18 ans, y était. Ce militant du parti d'opposition Iabloko -- formation opprimée, affaiblie, mais encore légale -- se rend à la bibliothèque pour regarder des films et retrouver d'autres jeunes.

"Ici, on peut grandir, malgré tout ce qui se passe dans notre pays. On peut oublier cette peur, se sentir plus libre, ressentir du confort, sentir qu'on n'est pas seul dans ce système énorme qui nous dévore."

L'avocate Anastassia Roudenko, 41 ans, qui a cofondé la bibliothèque, observe en Russie des "signes" du totalitarisme décrit dans 1984. D'abord, elle ressent cette "peur qui enchaîne".

Ensuite, elle est frappée par la pertinence d'un slogan du livre, "L'IGNORANCE, C'EST LA FORCE", car, d'après elle, les Russes qui "n'essayent pas de comprendre ce qui se passe vivent très bien".

Amour et dissonance

Sur la place centrale d'Ivanovo, près d'une plaque à la mémoire de personnes tuées par le pouvoir tsariste lors d'une manifestation antiguerre en 1915, Anastassia Roudenko se livre sur sa "tragédie personnelle", le visage balayé par un vent glacial.

Son frère et son mari, officiers de carrière dans l'armée russe, participent à "l'opération militaire spéciale", l'euphémisme imposé par le Kremlin pour qualifier son attaque contre l'Ukraine.

Elle ne peut s'étendre sur le sujet. La moindre déclaration sensible pourrait valoir une sanction, voire une peine d'emprisonnement. Être avocate ou femme de militaire ne la protège pas.

En juin 2023, la justice l'a condamnée à une amende pour "discrédit" de l'armée en se basant, comme souvent, sur une expertise fumeuse invoquant des messages sur Telegram où elle disait avoir vu un documentaire sur l'opposant Alexeï Navalny.

Son époux a pu venir à l'audience pour la soutenir.

D'origine ukrainienne par son père, Anastassia Roudenko, une femme rieuse et pleine d'énergie, se met soudainement à pleurer quand elle évoque "l'énorme douleur" d'être impuissante face à la guerre déclenchée par Vladimir Poutine.

Mais, elle aime son mari "sans doute encore plus" depuis qu'il est parti combattre. Et à ceux qui la jugeraient pour cette dissonance et se demanderaient pourquoi ils sont toujours ensemble, elle répond : "Et vous, vous auriez fait quoi ?"


Paul Kupelian, artiste informel et chroniqueur du côté coloré de la vie

L’art de Paul Kupelian échappe aux catégories et n’obéit qu’à la nécessité de peindre. (fournie)
L’art de Paul Kupelian échappe aux catégories et n’obéit qu’à la nécessité de peindre. (fournie)
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  • A force de peindre son quotidien, ses lieux familiers et le chaos de Beyrouth, il devient le chroniqueur visuel d'événements importants, tout comme de sa propre évolution
  • Sa signature artistique se caractérise par un style vibrant et coloré, joyeux et dynamique, ce qui ne l’empêche pas de trouver, dans les infinies nuances de sa palette lumineuse, une harmonie chromatique qui se révèle au premier coup d’œil

BEYROUTH : Figuratif ? Naïf ? L’art de Paul Kupelian échappe aux catégories et n’obéit qu’à la nécessité de peindre. Né en 1975, cet artiste autodidacte de nationalité libanaise et française dont les racines remontent à l'Arménie, a grandi dans une famille d'artistes. Il n’a que 7 ans quand sa grand-tante l’initie à la technique reine, et donc complexe, de la peinture à l’huile. Dès lors, le reste de son enfance est ébloui par d’innombrables heures passées à dessiner et à peindre tout ce qui l’entoure. Il met toute sa passion à se perfectionner, aborde de nouveaux médiums tels que l'encre de Chine, l'acrylique, le pastel gras, le fusain ou la sanguine. Savait-elle, cette bienveillante aïeule, qu’elle lui offrait à travers l'art l'exutoire thérapeutique suprême, un moyen d'exprimer ses émotions et d'affronter les complexités de la vie ?  A force de peindre son quotidien, ses lieux familiers et le chaos de Beyrouth, il devient le chroniqueur visuel d'événements importants tout comme de sa propre évolution, projetant ses troubles sur la toile et y gagnant en retour paix intérieure et stabilité.

Paul Kupelian, chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)
Paul Kupelian, chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)

Sa signature artistique se caractérise par un style vibrant et coloré, joyeux et dynamique, ce qui ne l’empêche pas de trouver, dans les infinies nuances de sa palette lumineuse, une harmonie chromatique qui se révèle au premier coup d’oeil. Il y a dans ses oeuvres une joie contagieuse que confirme le sourire spontané de tout spectateur qui y est confronté. Ce pouvoir n’échappe pas au regard avisé de la galeriste Nadine Begdache, commissaire de l’espace Janine Rubeiz, à Beyrouth. En 2016, elle lui offre son exposition inaugurale : "Looking at the Bright Side" (Regard sur le côté lumineux de la vie). Une présentation saluée par les critiques d'art et les collectionneurs.

Paul Kupelian, chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)
Paul Kupelian, chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)

Qu’on ne se trompe pas sur la « naïveté » de cet artiste autodidacte. Sa profonde compréhension des proportions, de la perspective et des détails complexes n’échappe pas à un regard averti.  Ses peintures, bien que légères, servent de canal à ses émotions. Dans ses œuvres récentes, Paul Kupelian utilise principalement la peinture acrylique à grande échelle, un médium dont il apprécie la polyvalence et le potentiel expressif.

Chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)
Chroniqueur des événements et de sa propre vie (fournie)

Bien qu’il n’ait pas donné d’exposition depuis un certain temps, il confie à Arab News en français qu’il vit à présent à Dubai où il occupe un poste de direction dans le retail.  « Je peins dès que j’en ai le temps, le soir et surtout les weekends » poursuit-il. « La peinture est mon exutoire, je peux y passer des heures sans voir le temps passer. Cela me permet de tout oublier et m’apporte énormément de joie » ajoute Paul Kupelian qui affirme que, comme pour beaucoup d’artistes, son art est sa thérapie. Ajoutez à cette passion celle de l’histoire, la géopolitique, la philosophie, la musique, les voyages, le sport, vous obtenez, dans chaque toile, une nouvelle fenêtre ou un nouveau miroir où chacun peut trouver une réponse à ses propres questionnements.

 


Deuxième jour de la RSFW: défilé historique de maillots de bain et dentelle élégante

La collection d’EAU comprenait des maillots de bain simples – une pièce en V profond, motifs à épaules dénudées, tops bandeau et divers paréos. (Photo fournie)
La collection d’EAU comprenait des maillots de bain simples – une pièce en V profond, motifs à épaules dénudées, tops bandeau et divers paréos. (Photo fournie)
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  • Certains looks élégants étaient associés à des couvre-chefs soyeux et à des sacs à main sophistiqués
  • La collection de Sara Altwaim, comprenait un certain nombre de robes blanches fluides en dentelle et en mousseline

MER ROUGE: La marque marocaine EAU a marqué l’histoire en lançant, vendredi, la deuxième série de défilés de la Red Sea Fashion Week. En effet, c’est la première fois que des maillots de bain font leur entrée sur un podium saoudien.

Avec la piscine scintillante de St. Regis et les palmiers ondulants en arrière-plan, la deuxième RSFW a mis en valeur l’une des pièces incontournables de l’été.

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EAU. (Photo fournie)

La collection comprenait des maillots de bain simples – une pièce en V profond, motifs à épaules dénudées, tops bandeau et divers paréos. Bleu roi, jaune moutarde, vert chasseur et rouge marron dominaient la collection, créant une palette d’automne plutôt singulière, mais bienvenue, pour la saison estivale à venir.

Certains looks élégants étaient associés à des couvre-chefs soyeux et à des sacs à main sophistiqués, notamment des paniers tressés parsemés de strass, des sacs de plage en paille et des pochettes à franges.

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Sarah Altwaim. (Photo fournie)

La mode affluait à mesure que la mer Rouge brillait. La collection de Sara Altwaim comprenait un certain nombre de robes blanches fluides en dentelle et en mousseline. Chacune des pièces est attrayante, grâce à une touche individuelle, de subtiles perles, des coupes superposées ou un mélange de tissus.

Altwaim a présenté un tissu en mousseline d’inspiration sous-marine présentant des croquis de créatures des fonds marins, comme les poissons, les crevettes et les crabes, qui ont fait leur apparition dans une variété d’ensembles.

Les cols de perles très superposés, les jupes en forme de paréo, les résilles ornées de bijoux, les tissus métalliques et les vêtements fluides étaient également inspirés de la vie marine.

La créatrice saoudienne Yasmina Q a introduit les vêtements d’intérieur, clôturant les défilés avec une collection de robes en tricot effet côtelé dans des tons vert menthe, bleu écume de mer, jaune vif, corail et bien plus encore.

Il y avait aussi des manches évasées et une taille ajustée qui se transformait en une forme trapèze. Certaines pièces étaient également sans manches pour un look estival plus décontracté. La collection, composée de lunettes de soleil et de chapeauxestivaux, présentait également une gamme de vêtements d’intérieur, allant des bas côtelés aux hauts ajustés simples, en passant par les chemises côtelées, les hauts kimonos et les pulls amples.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Les 80 ans de Dave: «pour un beatnik, faire carrière est un gros mot!»

Le chanteur néerlandais francophone Wouter Otto Levenbach alias Dave, pose lors d'une séance photo à Paris le 29 avril 2024 (Photo, AFP).
Le chanteur néerlandais francophone Wouter Otto Levenbach alias Dave, pose lors d'une séance photo à Paris le 29 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • Mardi, Dave fête ses 80 ans et ses 60 ans de scène au Grand Rex, à Paris
  • Débarqué des Pays-Bas, le jeune Wouter Otto Levenbach débute à Paris en 1965

PARIS: "A 20 ans, je rêvais de vivre en chantant, surtout pas faire carrière! Pour le beatnik que j'étais, c'était un gros mot!": à 80 ans, Dave, l'interprète des indémodables "Vanina" et "Du côté de chez Swann", n'en revient pas d'être devenu un chanteur populaire mais refuse de songer à des adieux.

"J'aimerais bien chanter jusqu’à la fin. La scène, c'est le nirvana et on nous paie pour ça, en plus!", confie à l'AFP le plus Français des Néerlandais, connu aussi pour son franc-parler.

Mardi, Dave fête ses 80 ans et ses 60 ans de scène au Grand Rex, à Paris, avant une nouvelle tournée qui passera par Amsterdam et Bruxelles.

"Quand je suis devenu chanteur populaire, je n'ai rien compris. En plus, je n'étais pas du tout branché +variétoche+...", ajoute celui qui est toujours fan de jazz.

Débarqué des Pays-Bas, le jeune Wouter Otto Levenbach débute à Paris en 1965: "je faisais la manche dans le Quartier latin. En m'accompagnant à la guitare, je reprenais les succès du moment", raconte Dave, qui vient de publier une autobiographie, "Comment ne pas être amoureux de vous" (Talent Editions).

"On m'a conseillé d'aller plutôt à Saint-Tropez. (...) Maintenant, j'y retourne, mais comme client!", ajoute le chanteur vite remarqué par le producteur Eddie Barclay.

En 1972, il est enrôlé dans l'opéra-rock "Godspell". Deux ans après, il perce enfin avec la reprise de "Sugar Baby Love" des Rubbets, adapté en français par son compagnon Patrick Loiseau, qui deviendra son parolier attitré. La même année, "Vanina" dépasse le million d'exemplaires.

Après "Dansez maintenant" et "Mon cœur est malade", deux autres tubes, Dave se maintient au sommet du hit-parade avec "Du côté de chez Swann", une ballade romantique signée encore Patrick Loiseau et devenue l'une des chansons emblématiques des seventies.

«Comme Henri Salvador»

"Quand Patrick m'a proposé ce texte, je lui ai demandé s’il n'était pas fou. Cela me semblait trop littéraire et je pensais que ça ne marcherait jamais... Finalement, le succès a été énorme. Ma seule chanson diffusée sur France Inter!", ironise-t-il.

"Sans prétention, les textes étaient plutôt intéressants à l'époque. Aujourd'hui, ils ont perdu un peu en qualité", juge-t-il. Dans la jeune génération, Zaho de Sagazan et Vianney sont toutefois ses préférés.

"Depuis toujours, j'aime amuser la galerie avec des blagues caustiques mais je suis un gentil avec un bon fond", assure le chanteur, victime d'une lourde chute en 2022 qui a entraîné quatre jours de coma, avec, pour seules séquelles, la perte de l'odorat et du goût.

A 80 ans, le chanteur rêve d'un album "à un million d’exemplaires, comme Henri Salvador à la fin de sa vie".

"Pour le plus tard possible", Dave a laissé des instructions pour qu'on grave sur son urne funéraire le mot "ouf": "parce que je serai probablement content que cela se termine et parce que +ouf+ en verlan, veut dire fou. Un bon résumé de ma vie".