Les alliés d’Israël perdent le contrôle du récit, alors que le bilan s’alourdit

L’acteur Brian Cox, invité de l’émission Sunday with Laura Kuenssberg à Londres, en Grande-Bretagne, le 17 décembre 2023 (Photo, Reuters).
L’acteur Brian Cox, invité de l’émission Sunday with Laura Kuenssberg à Londres, en Grande-Bretagne, le 17 décembre 2023 (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 20 décembre 2023

Les alliés d’Israël perdent le contrôle du récit, alors que le bilan s’alourdit

Les alliés d’Israël perdent le contrôle du récit, alors que le bilan s’alourdit
  • Rien ne justifie la punition collective contre une population entière ni le nombre catastrophique de morts, parmi lesquels un grand nombre de petits enfants
  • À New York, on a même interdit à un père Noël de faire son numéro après qu’il a exprimé des opinions proarabes

La semaine dernière, au Royal College of Arts (RCA) de Londres, des événements remarquables se sont produits. Le personnel a découvert que l’ambassadeur israélien devait prendre la parole lors d’un événement organisé pour promouvoir les investissements en Israël. Les employés sont immédiatement sortis en masse et ont organisé une grande manifestation spontanée, obligeant la direction du RCA à se désolidariser de l’événement et de ses objectifs.

Cette réaction indignée de la part de travailleurs ordinaires qui, en principe, servent de la nourriture, balaient les étages et gèrent la sécurité sert de métaphore frappante aux rébellions populaires observées dans le monde entier contre les dirigeants internationaux qui tolèrent et facilitent le génocide à Gaza.

Les cadres moyens du département d’État américain et d’autres ministères ont violemment réagi à la manière dont le président Joe Biden a, sans réfléchir, accordé le soutien de l’administration à un régime d’extrême droite qui a tué des dizaines de milliers de civils et en a déplacé plus de deux millions. Cela se reflète dans le comportement d’une partie importante de la population au sein du Parti démocrate – les progressistes, les jeunes, les minorités et les électeurs ordinaires de la classe ouvrière. Ils contribuent ainsi à saper le soutien à un président bientôt candidat à sa réélection.

Une crise similaire a éclaté au sein du Parti travailliste britannique, qui s’est empressé d’assouplir sa position à la suite du tollé suscité par le refus de son leader, Keir Starmer, d’appeler à un cessez-le-feu. Les ministres des Affaires étrangères britannique et allemand ont radicalement changé de position, la semaine dernière, appelant à un «cessez-le-feu durable» après avoir fait face à une vague d’indignation à grande échelle déclenchée par leur soutien sans faille à Israël.

Ailleurs, Gaza s’avère un sujet particulièrement conflictuel, alors que des millions de citoyens ordinaires réagissent instinctivement aux massacres rapportés en temps réel sur les réseaux sociaux et que beaucoup participent aux manifestations pour dénoncer les actions d’Israël. Les républicains de droite accusent les réseaux sociaux comme TikTok de promouvoir délibérément des contenus propalestiniens. Mais la réalité est toute simple: la plupart des personnes qui créent et partagent du contenu sur les réseaux sociaux sont des jeunes et ces derniers se montrent excessivement propalestiniens et favorables à l’humanité. Néanmoins, des campagnes concertées ont été menées pour supprimer les contenus en ligne qui ne soutiennent pas le discours d’Israël, parmi lesquels des éléments aussi inoffensifs que l’acteur Brian Cox en train de réciter un poème profondément émouvant du poète gazaoui Refaat Alareer, qui a été tué, avec une grande partie de sa famille, lors d’une frappe aérienne israélienne.

À travers le monde occidental, des artistes et des personnalités publiques – dont plusieurs sont juifs – ont été victimes de boycott pour avoir exprimé un soutien relativement anodin aux Palestiniens. À New York, on a même interdit à un père Noël de faire son numéro après qu’il a exprimé des opinions proarabes.

Le champ de bataille idéologique le plus fébrile est celui des universités, où une génération d’étudiants a été instantanément politisée. Cet ouragan de débats et d’indignation, souvent profondément toxique, a été extrêmement traumatisant pour les étudiants juifs et musulmans d’institutions comme Harvard, entraînés malgré eux dans le conflit.

Cependant, les appels à l’intifada et d’autres slogans propalestiniens ont été interprétés par des militants de droite comme une incitation au génocide. Cette attitude a été accompagnée d’exigences de démission des autorités universitaires, de dissolution de groupes d’étudiants propalestiniens et d’annulations d’événements, en violation des traditions universitaires en matière de liberté d’expression. En réalité, les récents appels au génocide ont émergé principalement des partisans d’un camp; l’un des exemples les plus marquants est celui de l’ancien membre de la Knesset Danny Neumann, qui prône l’extermination de la population de Gaza et la reconstruction de la bande pour les Israéliens.

Les efforts qui visent à diaboliser tous les sentiments propalestiniens en les qualifiant d’«antisémitisme» ont été contre-productifs puisque des millions de jeunes, confrontés à ces controverses pour la première fois, perçoivent immédiatement ces dénonciations pour ce qu’elles sont: des efforts illégitimes de parties directement intéressées pour monopoliser le récit et mettre fin aux débats autour des crimes contre l’humanité.

L’assassinat de trois otages israéliens qui brandissaient un drapeau blanc ainsi que les vidéos qui montrent des assassinats sommaires de Palestiniens non armés démontrent amplement de quelle manière les soldats israéliens attaquent tout ce qui bouge. Le journaliste d’Al Jazeera Samer Abou Daqa a été tué. Son collègue Wael al-Dahdouh, blessé à ses côtés, a perdu sa famille dans une frappe aérienne israélienne. Jusqu'à présent, au moins 64 journalistes et professionnels des médias ont été tués dans le conflit. Ce nombre vient s’ajouter aux 101 membres du personnel de l’ONU tués jusqu’à présent pendant la guerre – de loin la plus grande perte lors d’un conflit dans l’histoire de l’ONU –, alors que le bilan global des morts frôle les 20 000, dont 70% de femmes et d’enfants.

Comme le dit avec éloquence le journaliste israélien Gideon Levy: «Une grande partie de la société israélienne s’isole de l’opinion mondiale, croyant qu’elle est le peuple élu, déshumanisant systématiquement les Palestiniens qui, selon elle, méritent l’extermination – tout en se présentant comme victime.» M. Levy est l’une des nombreuses personnalités juives progressistes à clamer haut et fort que les actions d’Israël sont moralement répréhensibles et catastrophiques sur un plan pratique. Un débat virulent, jamais vu auparavant, a pris place au sein de la communauté juive elle-même.

La manière cinglante dont les responsables israéliens rejettent toute discussion sur un retour aux négociations de paix – comme le suggèrent leurs plus proches alliés – montre à quel point ils se dissocient de l’opinion mondiale. L’ambassadrice d’Israël au Royaume-Uni, Tzipi Hotovely, connue pour ses opinions radicales, affirme qu’Israël n’accepterait «absolument pas» une solution à deux États. Si ces événements catastrophiques n’ont pas convaincu les Israéliens instruits de l’urgence chronique du rétablissement de la paix, alors seul Dieu pourra nous venir en aide.

«Le champ de bataille idéologique le plus fébrile est celui des universités, où une génération d’étudiants a été instantanément politisée.»

Baria Alamuddin

De plus, de nombreux régimes parias suivent de près l’effusion de sang à Gaza dans l’espoir de pouvoir s’en sortir lors de futures périodes de répression et de nettoyage ethnique. Alors que le droit international est violé de manière tellement flagrante par Israël, nous ne devrions pas être surpris lorsque de tels crimes deviennent la norme mondiale.

Des millions de personnes dans le monde voient cette évolution en termes très simples: rien ne justifie la punition collective contre une population entière ni le nombre désolant de morts, parmi lesquels un grand nombre de petits enfants. Rien ne justifie le déplacement illégal d’une population entière ni l’alimentation d’une haine dangereusement irrévocable des deux côtés.

Ceux qui acclament Israël ne peuvent contester de manière crédible ces faits élémentaires. Leur incapacité à contrôler le récit laisse paradoxalement espérer que cette brutalité stimule un éveil mondial suffisamment puissant pour redessiner, de manière permanente, les contours de ce conflit.

Blessé, en colère, Israël a déployé plus d’efforts que quiconque pour garantir que la Palestine ne soit pas une question «arabe» ou «musulmane», mais plutôt une cause qui concerne la justice humanitaire mondiale, avec les répercussions les plus profondes sur l’ensemble de l’humanité.

 

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com