La France après le 7 octobre: Quid de la liberté d’expression?

Des gens brandissent le drapeau palestinien alors qu'ils défilent en soutien au peuple palestinien, appelant à un cessez-le-feu dans la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, lors d'un rassemblement à Paris le 6 janvier 2024. (AFP)
Des gens brandissent le drapeau palestinien alors qu'ils défilent en soutien au peuple palestinien, appelant à un cessez-le-feu dans la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, lors d'un rassemblement à Paris le 6 janvier 2024. (AFP)
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Publié le Mercredi 10 janvier 2024

La France après le 7 octobre: Quid de la liberté d’expression?

  • L’attaque massive menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre a eu pour effet immédiat en France, la confiscation de l’expression de la liberté publique
  • Dès le lendemain du 7 octobre, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a transmis aux préfets des consignes d’interdiction de toute manifestation de soutien aux Palestiniens ainsi que toute expression de solidarité avec le peuple de Gaza

PARIS: Le 7 octobre dernier et pour la première fois, Israël apparaît aux yeux de l’Occident comme un État vulnérable et fragilisé, autour duquel il fallait faire front et lui manifester une solidarité inébranlable. L’attaque massive menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre a eu pour effet immédiat en France, la confiscation de l’expression de la liberté publique. Celle-ci s’est en effet subitement figée.

Faisant fi de presque soixante-quinze ans de conflit entre Israéliens et Palestiniens, une quasi-unanimité politique et médiatique s’est imposée: une distinction tranchée entre l’agressé, en l’occurrence Israël, et l’agresseur, qui n’est autre que le Hamas, mouvement qualifié de «terroriste» par l’Union européenne (UE).

Entre les deux belligérants, aucune place pour un «oui, mais» ni pour un «en même temps», pour reprendre l’expression fétiche du président de la république, Emmanuel Macron. Le seul choix décrété admissible est le soutien indéfectible à Israël et à son droit à se défendre face à ses agresseurs.

Inédit en France où la liberté d’expression est reconnue et garantie par la Constitution, inédit également pour un président de la république qui en 2020 a déclaré: «Je suis là pour protéger toutes les libertés, y compris la liberté de blasphémer.»

Dans la foulée, la journaliste Zineb el-Rhazoui, rescapée de l’attaque djihadiste contre le journal satirique Charlie Hebdo il y a neuf ans, s’est vu retirer le prix Simone Veil qui lui a été attribué en 2019, après ses déclarations de soutien aux Palestiniens de Gaza, qualifiées de «choquantes et outrancières».

Dans les entreprises, un mot d’ordre souvent tacite et parfois explicite recommandait aux salariés d’éviter tout propos ou prise de position pouvant heurter les sentiments des personnes concernées par la violence au Proche-Orient…

Sommé ainsi de se taire, Rayan, salarié dans une grande société de communication, indique à Arab News en français que la camaraderie au sein de l’entreprise a cédé la place à la méfiance.

Étant de sensibilité humaniste, il rejette toute hiérarchisation des victimes et des pertes humaines, ce qui l’oblige depuis le 7 octobre à garder le silence et à s'isoler avec le groupe de salariés qui partagent ses valeurs.

La tonalité est identique dans les universités et les grandes écoles françaises, pourtant réputées pour être des lieux d’échange et de confrontation des idées, où les étudiants ont été appelés à manifester leur solidarité avec les victimes du terrorisme en Israël.

Médusée face à la teneur simpliste de cet appel, Léna, étudiante de 23 ans, s’est référée à la direction de son établissement, recevant pour toute réponse une offre gratuite de soutien psychologique.

Inédit en France où la liberté d’expression est reconnue et garantie par la Constitution, inédit également pour un président de la république qui en 2020 a déclaré: «Je suis là pour protéger toutes les libertés, y compris la liberté de blasphémer», en référence à Charlie Hebdo qui avait choisi de publier une caricature du Prophète.

Le cap est d’ailleurs fixé au plus haut sommet de l’État, le président, Emmanuel Macron, ayant réagi à l’offensive du Hamas par l’expression d’un soutien inconditionnel à Israël et l’affirmation de son droit à se défendre face au terrorisme.

Une liberté d’expression confisquée

Dès le lendemain du 7 octobre, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a transmis aux préfets des consignes d’interdiction de toute manifestation de soutien aux Palestiniens ainsi que toute expression de solidarité avec le peuple de Gaza, sur la place publique.

Amendée le 18 octobre par le Conseil constitutionnel, cette consigne suscite une certaine perplexité. Comment un pays tel que la France, grand champion de la démocratie et des droits universels, peut-il confisquer la liberté d’expression?

Le cap est d’ailleurs fixé au plus haut sommet de l’État, le président, Emmanuel Macron, ayant réagi à l’offensive du Hamas par l’expression d’un soutien inconditionnel à Israël et l’affirmation de son droit à se défendre face au terrorisme.

Comment ce pays peut-il se contenter d’un raccourci qui confond et criminalise toute sympathie pour le peuple palestinien comme étant un soutien au Hamas?

Dans le même registre, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a stipulé que toute tentative publique visant à présenter l’attaque du Hamas comme un acte de résistance est constitutive d’une «apologie du terrorisme», instaurant ainsi un cadre légal à l’asphyxie de toute voix dissonante.

Entre les deux, aucune place à la retenue, au recul ou à la pédagogie, aucune possibilité d’invoquer le blocus suffocant imposé à la bande de Gaza depuis plus de quinze ans ni de mentionner la colonisation effrénée en Cisjordanie qui rend utopique la fameuse solution des deux États.

Aucune allusion aux droits des Palestiniens internationalement reconnus, seul compte le narratif israélien systématiquement relayé par la classe politique et les médias qui se sont affranchis des règles de base du métier de journaliste, dont en premier l’objectivité et la vérification de l’information.

La France de Chirac et de 2003

On est loin, très loin de 2003, année au cours de laquelle la France disait non aux États-Unis pour la guerre en Irak, on n’est plus, selon une source diplomatique française, au temps où l’ancien président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, venait à Paris à défaut d’être reçu à Washington.

La France d’aujourd’hui n’est plus celle de l’ancien président, Jacques Chirac, concède une autre source diplomatique, dans une rencontre avec un groupe de journalistes arabes.

Dans ce contexte, quoi de plus simple que de vilipender le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon (extrême gauche), et certains de ses proches, accusés de soutien au terrorisme, voire d’antisémitisme pour avoir tenté de contextualiser l’attaque du 7 octobre, non sans la condamner.

À son tour, l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, s’est retrouvé accusé de tenir «des propos douteux», et de véhiculer des «poncifs antisémites» pour avoir déclaré qu’il ne fallait pas confondre le Hamas et les Palestiniens et pour avoir plaidé en faveur d’une riposte mesurée et ciblée à Gaza.

Le même opprobre n’a pas épargné les personnalités civiles; ainsi la basketteuse française Émilie Gomis, déchue de son titre d’ambassadrice des jeux Olympiques de Paris à la suite d’une publication sur les réseaux sociaux dénonçant la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens.


Les députés s'apprêtent à baisser le rideau sur la partie «recettes» du budget de l'Etat

Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
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  • Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession
  • La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent

PARIS: Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle.

Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent.

Les députés s'empareront mardi en séance du budget de la Sécurité sociale, rejeté en commission vendredi.

Celui-ci doit faire l'objet d'un vote solennel le 12 novembre, après lequel pourront reprendre les discussions sur le projet de loi de finances, jusqu'au plus tard le 23 novembre à minuit - les délais constitutionnels obligeant alors le gouvernement à transmettre le texte au Sénat. Le gouvernement tablait ces jours-ci sur un vote le 18 novembre pour la partie "recettes" du budget de l'Etat.

Mais d'ores et déjà le rapporteur général du Budget, Philippe Juvin (LR), anticipe son rejet: "Je ne vois pas très bien comment cette partie 1 pourrait être votée, parce qu'en fait elle ne va satisfaire personne", a-t-il dit sur LCI dimanche.

En cas de rejet de cette première partie, le projet de budget partirait au Sénat dans sa version initiale.

"Ecœurement" 

L'adoption du texte nécessiterait l'abstention des socialistes et des écologistes (et le vote positif de la coalition gouvernementale). Or rien ne la laisse présager à ce stade.

Le chef des députés PS, Boris Vallaud, a ainsi fait part dans une interview à La Tribune Dimanche de son "écœurement", après le rejet vendredi de la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra-riches, et alors que la gauche peine de manière générale à "mettre de la justice dans ce budget".

"Si on devait nous soumettre le budget aujourd'hui, nous voterions évidemment contre, en sachant tout ce que cela implique, à savoir la chute du gouvernement", a ajouté celui dont le groupe avait décidé de laisser sa chance à Sébastien Lecornu en ne le censurant pas.

Les écologistes se montrent eux aussi sévères, vis-à-vis du gouvernement mais aussi des socialistes, dont ils semblent critiquer une quête du compromis à tout prix: "Je ne comprends plus ce que fait le PS", a déclaré la patronne des députés écolos Cyrielle Chatelain sur franceinfo vendredi soir.

Mais le texte ne fait pas seulement des mécontents à gauche. Le gouvernement a lui aussi marqué ses réticences face à des votes souvent contraires à ses avis, qui ont abouti à alourdir la pression fiscale.

"Je pense qu'il faut qu'on arrête de créer des impôts (...) Aujourd'hui, si je compte les mesures sur l'impôt des multinationales, sur les rachats d'actions, sur la taxe sur les super-dividendes et l'ensemble des amendements qui ont été votés, le taux de prélèvements obligatoires atteindrait au moins (...) 45,1% du PIB, c'est plus qu'en 2013 où il était à 44,8%", a fustigé Amélie de Montchalin vendredi soir.

"Sorcellerie fiscale" 

Le ministre de l'Economie Roland Lescure a lui mis en garde contre la "sorcellerie fiscale" et le vote de mesures "totalement inopérantes". Particulièrement dans son viseur, une "taxe Zucman" sur les multinationales censées rapporter 26 milliards d'euros, selon son initiateur Eric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances.

Montré du doigt par la droite pour son soutien à la mesure, le Rassemblement national a assumé son vote: le président du RN Jordan Bardella a défendu sur X un "mécanisme de lutte contre la fraude fiscale des grandes multinationales étrangères".

Sur France Inter dimanche, le vice-président du RN Sébastien Chenu a cependant fustigé un budget "de bric et de broc", qui crée "beaucoup d'impôts" sans s'attaquer "aux dépenses toxiques".

Vendredi, reconnaissant les limites de la discussion budgétaire pour parvenir à une copie d'ensemble cohérente, le Premier ministre a demandé "à l'ensemble des ministres concernés" de réunir les représentants des groupes pour "essayer de se mettre d'accord sur les grands principes de l'atterrissage d'un texte pour la Sécurité sociale et pour le projet de loi de finances".

 


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.