Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne a recommandé l'annulation des accords économiques entre l'UE et le Maroc, citant des considérations politiques liées au Sahara occidental. Cette décision a relancé le débat sur le rôle du pouvoir judiciaire dans la diplomatie, soulevant des questions sur les implications plus larges pour la cohérence institutionnelle européenne et sa position en tant qu'acteur mondial. La question du Sahara occidental – qui concerne un territoire décolonisé puis intégré au Maroc après le retrait de l'Espagne en 1975, et qui a depuis connu un développement important – est depuis longtemps l'objet d'un conflit fabriqué ayant des répercussions géopolitiques sur la région.L'intervention de la Cour pourrait toutefois créer un précédent périlleux pour l'avenir de la politique étrangère de l'UE.
Traditionnellement, la diplomatie relève des hommes politiques et non des tribunaux. La souveraineté, la reconnaissance et les relations étrangères sont façonnées par les intérêts nationaux et les liens idéologiques, et non pas uniquement par les interprétations juridiques. Si le droit international fournit un cadre à la diplomatie, c'est en fin de compte aux dirigeants politiques qu'il revient de gérer les intérêts nationaux. Le récent arrêt de la Cour de justice de l'UE risque toutefois de modifier cet équilibre. Comme l'a affirmé le Conseil européen dans sa déclaration du 17 octobre 2024, la politique étrangère reste du ressort du Conseil et devrait être régie par les traités plutôt que par des décisions judiciaires.
Traditionnellement, la diplomatie relève des hommes politiques et non des tribunaux.
Dr. Lahcen Haddad
La Commission européenne, dans sa réponse immédiate à l'arrêt de ladite cour, a souligné le principe «pacta sunt servanda», selon lequel les accords sont juridiquement contraignants pour les parties signataires. En invoquant ce principe, la Commission a souligné la nécessité de préserver l'intégrité de ses accords avec le Maroc, alors même que la Cour tente de s'immiscer dans ce qui est traditionnellement une arène politique.
La décision de la cour n'est pas uniquement discutable d'un point de vue légal, mais elle est également basée sur des hypothèses erronées concernant les réalités politiques et démographiques du Sahara Occidental. Comme l'affirme Samir Bennis dans son récent livre «The Self-Determination Delusion: How Activists and Journalists Have Hijacked the Western Sahara Case», le conflit sur le Sahara Occidental a été fabriqué à des fins politiques.
Les Sahraouis du Sahara occidental administré par le Maroc participent librement aux élections et sont démocratiquement représentés aux niveaux local et national. En revanche, les Sahraouis des camps algériens de Tindouf, où ils sont détenus en tant que «réfugiés», sont entassés illégalement et vivent dans des conditions oppressives, en violation de la convention de Genève sur les réfugiés, qui garantit la liberté de circulation et le droit d'exercer une activité rémunérée. Ces personnes sont incapables d'exercer leurs droits politiques ou civils, ce qui aggrave encore leur marginalisation et leur manque de représentation.
La décision de la cour n'est pas uniquement discutable d'un point de vue légal, mais elle est également basée sur des hypothèses erronées.
Dr. Lahcen Haddad
L'Algérie, qui délègue illégalement l'administration de ces camps au Front Polisario – un fait relevé lors de l'Examen périodique universel 2018 des droits de l'homme en Algérie par le Conseil des droits de l'homme basé à Genève – a toujours refusé de compter ou d'identifier les populations qui y sont dséquestrés, malgré les appels du Conseil de sécurité des Nations unies et du HCR. La gestion autoritaire de ces camps par le Polisario compromet encore davantage sa légitimité en tant que représentant de la population sahraouie. Pourtant, la décision de la Cour de justice de l'UE a fait fi de ces réalités, préférant accepter le récit du Polisario sans tenir compte du contexte politique plus large, y compris le fait que le Polisario a violé le cessez-le-feu négocié par l'ONU depuis 2020, comme indiqué dans le dernier rapport du secrétaire général de l'ONU sur le Sahara occidental. Cette violation continue du cessez-le-feu sape davantage la crédibilité du Polisario en tant qu'acteur légitime à ce sujet.
L'une des erreurs les plus flagrantes dans les arrêts de la cour concerne la démographie du conflit du Sahara Occidental. La Cour a affirmé que 80% des Sahraouis sont hébergés dans les camps de Tindouf, et que seulement 20% vivent sous la souveraineté marocaine. Cette affirmation est totalement fausse. En 2021, environ 612 000 Sahraouis vivaient dans le Sahara occidental sous contrôle marocain, tandis que les estimations de la population des camps de Tindouf variaient entre 60 000 et 90 000 personnes. Le Programme alimentaire mondial fournit des rations à 135 000 personnes, mais il existe des preuves substantielles, y compris des conclusions du Bureau européen de lutte antifraude (OLAF), qu'une partie de l'aide humanitaire destinée aux camps est détournée. Le refus de l'Algérie et du Polisario de procéder à un décompte officiel ne fait qu'aggraver les soupçons sur les chiffres réels.
Au Sahara occidental sous souverainté marocaine, des processus démocratiques sont en place, permettant à la population sahraouie de voter et de participer à la gouvernance. Le contraste est saisissant avec la situation dans les camps de Tindouf, où aucune élection libre n'a jamais été organisée. Le Front Polisario manque de légitimité en tant qu'organe représentatif, étant donné qu'il n'a jamais demandé le consentement de la population qu'il prétend représenter. Malgré ces faits, la cour a choisi d'ignorer les complexités de la représentation, sapant ainsi sa crédibilité dans le traitement de la question du Sahara occidental.
Enfin, la consultation est possible pour 85% des Sahraouis vivant sous le régime marocain, où des élections libres sont organisées régulièrement, assurant une représentation légitime et l'adhésion à l'état de droit internationalement reconnu. En revanche, dans les camps de Tindouf, sur le sol algérien, où il n'y a pas d'élections libres et où la représentation légitime n'existe pas, une véritable consultation est impossible. Les personnes vivant dans les camps, qui ne représentent qu'environ 15% de la population sahraouie, ne peuvent pas exprimer leur volonté politique et, même dans ce cas, certaines d'entre elles seraient d'origine sahélienne et non sahraouie.
L'UE doit reconsidérer le rôle de ses tribunaux en matière de politique étrangère. Le récent arrêt de la cour sur les accords Maroc-UE n'est pas seulement basé sur des hypothèses inexactes, mais représente également une intrusion dans le domaine de la diplomatie. En tentant d'intervenir dans un processus politique complexe, la Cour risque de saper la crédibilité de l'UE en tant qu'acteur diplomatique. Alors que 20 pays européens reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental et que l'UE continue de soutenir les efforts de l'ONU pour résoudre le conflit, il serait prudent pour la cour d'accorder la priorité aux questions judiciaires tout en permettant à la diplomatie de rester entre les mains des acteurs politiques. Cette approche permettrait à l'UE de conserver son rôle d'acteur cohérent et efficace sur la scène internationale.
Le Dr Lahcen Haddad est consultant international en développement social, vice-président du Sénat marocain et coprésident de la commission parlementaire mixte Maroc-UE. Il a précédemment été vice-président de la Société pour le développement international (2017-2022) et du Réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le FMI (jusqu'en 2021). Actuellement, il enseigne la négociation internationale à la Toulouse Business School et l'entrepreneuriat et l'innovation à l'African Business School de l'Université polytechnique Mohammed VI.
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